Vaccin contre l'hépatite B et sclérose en plaques : la Cour de cassation s'en remet au pouvoir souverain des juges du fond

06.11.2017

Droit public

La Cour de cassation confirme le rejet de demandes indemnitaires introduites par des personnes atteintes d'une sclérose en plaques qu'elles imputaient au vaccin contre l'hépatite B.

La Cour de cassation était saisie de deux pourvois, le premier introduit par une personne atteinte d’une sclérose en plaques et le second par les ayants droit d’une personne décédée des suites de la même pathologie démyélinisante, imputable, selon elles, à des injections de vaccins contre le virus de l’hépatite B reçues au cours des années 90.
Déboutée de leurs demandes indemnitaires par la cour d’appel de Paris à l’issue de deux premières cassations, les demandeurs viennent de voir leurs pourvois respectifs rejetés par deux décisions du 18 octobre 2017, la Cour de cassation confirmant, au regard des appréciations souveraines des juges du fond, qu’il n’est pas établi, d’une part, que les vaccins administrés étaient affectés d’un défaut et, d’autre part, que la concomitance entre la vaccination et l’apparition de la maladie, ainsi que l’absence d’antécédents neurologiques personnels et familiaux, ne constituaient pas des présomptions suffisamment graves, précises et concordantes de nature à retenir l’existence d’un lien de causalité entre les vaccins administrés et la sclérose en plaques.
Si les deux affaires présentent, à l’évidence, des points communs – ce qui explique qu’elles aient été jugées conjointement – elles comportent cependant quelques spécificités, la première impliquant plus particulièrement la question du lien de causalité, la seconde portant sur l’appréciation du défaut du produit.
Dans les deux cas – et comme on pouvait s’y attendre – la Cour de cassation s’en est remise au pouvoir souverain des juges du fond, vérifiant toutefois que ces derniers ont bien procédé à une analyse in concreto des éléments de preuve qui étaient rapportés par les victimes demandant à être indemnisées des dommages qu’elles imputaient au vaccin contre l’hépatite B.
Appréciation souveraine du lien de causalité
Le contexte et la procédure de la première affaire (pourvoi n° 14-18.118) étaient les suivants. Un homme est vacciné contre l’hépatite B en décembre 1998, janvier et juillet 1999. Il présente, dès août 1999, des troubles neurosensoriels. Le diagnostic de la sclérose en plaques est établi en novembre 2000.
Décédé par la suite, sa famille poursuit l’action intentée contre le fabricant du vaccin (la société Sanofi), mais la demande indemnitaire, acceptée en première instance, est rejetée par un arrêt infirmatif de la cour d’appel de Versailles du 10 février 2011, cette dernière invoquant le fait que le rapport bénéfices sur risques du vaccin n’a jamais été remis en cause et que, par conséquent, le défaut de sécurité du produit n’est pas démontré.
L’arrêt est censuré par la Cour de cassation (Cass. 1re civ., 26 sept. 2012, n° 11-17.738), au motif que les juges du fond ne sauraient retenir l’existence d’un lien de causalité en se fondant sur des présomptions présentant un caractère suffisamment grave, précis et concordant, tout en écartant, par des considérations générales et abstraites liées à l’absence d’inversement du rapport bénéfices sur risques du vaccin, l’existence d’un défaut, ce dernier pouvant également être caractérisé par des présomptions de fait, impliquant des indices de nature sémiologique et chronologique.
La cour de renvoi (CA Paris, 7 mars 2014, n° 13/01546) estime toutefois que les éléments avancés par les ayants droit ne constituent pas des présomptions suffisamment graves, précises et concordantes, permettant de retenir l’existence d’un lien de causalité entre la pathologie présentée par la victime et sa vaccination contre l’hépatite B.
Derechef saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation (Cass. 1re  civ., 12 nov. 2015, n° 14-18.118) décide alors de surseoir à statuer et de renvoyer une série de questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne.
Cette dernière (CJUE, 21 juin 2017, aff. C-621/15) valide le recours aux présomptions de l’homme pour établir le lien de causalité entre le défaut du vaccin et la survenance d’une sclérose en plaques, insistant sur le fait que l’appréciation des éléments de fait relève du pouvoir souverain des juges du fond et doit s’effectuer au cas par cas, ces derniers devant veiller à préserver leur propre liberté d’appréciation quant au point de savoir si une telle preuve a ou non été apportée à suffisance de droit, notamment au regard des arguments avancés par le défendeur. En revanche, la Cour de justice interdit d’instaurer une présomption de droit qui consisterait à obliger les juges du fond à regarder le lien de causalité comme établi, dès lors que certains éléments de fait sont systématiquement réunis.
Analysant soigneusement la motivation de l’arrêt de la cour d’appel de Paris, la Cour de cassation estime que cette dernière ne s’est pas fondée sur une conception abstraite de l’imputabilité de la sclérose en plaques à la vaccination contre l’hépatite B, pas plus qu’elle n’a déduit l’absence de présomptions graves, précises et concordantes du seul défaut de consensus scientifique sur l’étiologie de cette pathologie.
Dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation, la cour d’appel pouvait donc légalement considérer que la valeur et la portée des indices chronologiques et cliniques qui lui étaient soumis – la concomitance entre la vaccination et l’apparition de la maladie ainsi que l’absence d’antécédents neurologiques personnels et familiaux – ne constituaient pas des présomptions suffisantes pour retenir l’existence d’un lien de causalité entre les vaccins administrés et la maladie auto-immune.
Pour déconcertante qu’elle puisse paraître pour les victimes, cette solution est marquée par la continuité. S’en remettant à l’appréciation souveraine des juges du fond – exigeant simplement que celle-ci s’effectue in concreto au regard de la situation de la victime et non uniquement sur des considérations générales découlant de la littérature scientifique relative au médicament – la Cour de cassation n’a pas souhaité étendre son contrôle normatif sur la qualification juridique de la causalité.
Cette jurisprudence contraste avec celle développée par le Conseil d’Etat, puisque ces mêmes indices ont été, à plusieurs reprises, retenus et imposés pour reconnaître la responsabilité de la puissance publique dans la survenance de scléroses en plaques liées à une vaccination obligatoire contre l’hépatite B (CE, 4 juill. 2008, n° 299832 ; CE, 11 juill. 2008, n° 289763 ; CE, 24 oct. 2008, n° 305622 ; CE, 10 avr. 2009, n° 296630 ; CE, 5 mai 2010, n° 324895 ; CE, 30 avr. 2014, n° 357696).
Il est vrai que, contrairement au juge judiciaire, le juge administratif ne statue pas au regard des dispositions de la directive 85/374/CEE du 25 juillet 1985 (transposées sous les articles 1245 et suivants du code civil). L’interprétation de la Cour de justice ne lui étant pas opposable, le Conseil d’Etat peut donc contraindre les juridictions administratives à présumer le lien de causalité lorsque certains éléments chronologiques et cliniques propres à la victime se trouvent réunis.
Une autre différence – et non des moindres – existe entre les deux ordres juridictionnels. Outre l’appréciation du lien de causalité, le juge judiciaire doit en effet se prononcer sur le caractère défectueux du produit, le demandeur devant prouver le dommage, le défaut du produit et le lien de causalité entre le défaut et le dommage conformément aux exigences de l’article 1245-8 du code civil.
Appréciation autonome du caractère défectueux
La seconde affaire (pourvoi n° 15-20.791) avait précisément trait à l’appréciation du défaut du vaccin contre l’hépatite B. Une femme a reçu plusieurs injections de ce vaccin entre 1986 et 1993 (la répétition des injections s’expliquant par le fait qu’elle ne développait pas d’anticorps). En 1992, des épisodes de paresthésie des mains apparaissent et, en 1995, un état de fatigue et des troubles sensitifs l’obligent à cesser son travail. Le diagnostic de la sclérose en plaques est formellement établi en décembre 1998.
Cherchant à engager la responsabilité du fabricant du vaccin (la société Sanofi), sa demande indemnitaire est rejetée par la cour d’appel de Versailles par un arrêt du 5 avril 2012, au motif que le rapport bénéfices sur risques présenté par le vaccin contre l’hépatite B n’a jamais été remis en question et que, par suite, le défaut de sécurité du produit ne saurait être démontré.
Dans la lignée de la précédente affaire, la Cour de cassation invalide cette position (Cass. 1re civ., 10 juill. 2013, n° 12-21.314), considérant que, si les juges du fond retiennent des présomptions suffisamment graves, précises et concordantes de nature à établir une relation causale entre le développement de la maladie et la vaccination contre l’hépatite B, ils ne sauraient se fonder sur le seul motif, d’ordre général et abstrait, d’une absence d’inversion du rapport bénéfices sur risques pour refuser de caractériser le défaut du vaccin.
Mais là encore, la cour de renvoi déboute la demanderesse de ses conclusions indemnitaires (CA Paris, 17 avr. 2015, n° 14/10164). Pour la cour d’appel, si des présomptions suffisamment graves, précises et concordantes ont permis aux premiers juges de retenir l’imputabilité du dommage aux vaccinations, elles apparaissent toutefois discutables et, en tout cas, insuffisantes pour caractériser le défaut du vaccin incriminé, aucun défaut d’information ne pouvant par ailleurs être reproché au fabricant à la date des vaccinations reçues par la demanderesse.
Après avoir prononcé un sursis à statuer dans l’attente de la décision de la Cour de justice qu’elle avait précédemment saisie (Cass. 1re civ., 22 sept. 2016, n° 15-20.791), la Cour de cassation confirme également le rejet de la demande indemnitaire.
La Haute juridiction rappelle qu’il appartient aux juges du fond ayant, au vu des éléments de preuve apportés par la victime d’un dommage, estimé qu’il existe des présomptions susceptibles d’imputer le dommage au produit administré, d’apprécier si ces mêmes éléments de preuve permettent de considérer le produit comme défectueux.
La réfutation, point par point, des éléments de fait retenus pour établir un lien présumé de causalité – à savoir l’état de bonne santé antérieur à la vaccination ainsi que l’absence d’antécédents personnels et familiaux de la plaignante, la coïncidence temporelle entre l’apparition des premiers symptômes et la dernière vaccination, les doutes sérieux exprimés par certains experts et le nombre anormalement important des injections reçues – relevant du pouvoir souverain des juges du fond, la Cour de cassation estime que la cour d’appel pouvait légalement décider, en ne se fondant pas exclusivement sur des considérations générales et abstraites, qu’il n’est pas établi que les vaccins administrés présentaient un caractère défectueux.
Si elle peut sembler en porte-à-faux vis-à-vis de la décision du 10 juillet 2013, cette jurisprudence est loin d’être inédite. En effet, la Cour de cassation a déjà eu l’occasion d’approuver un arrêt ayant rejeté une demande indemnitaire, non pas en considération de l’absence de preuve scientifique, mais à la fois par des observations d’ordre général tendant à la démonstration du caractère positif du rapport bénéfices sur risques de nature à exclure la corrélation entre la vaccination et la survenance de la maladie, ainsi qu’au regard de l’ensemble des éléments propres à la patiente, la preuve d’un défaut extrinsèque du vaccin n’étant pas davantage rapportée du fait de la présentation de la notice à la date des vaccinations litigieuses (Cass. 1re civ., 29 mai 2013, n° 12-20.903).
Cette jurisprudence a pour effet de redonner une certaine autonomie à l’appréciation du critère du défaut, autonomie que la Cour de cassation avait semblé, sinon minimiser du moins relativiser, dans ses arrêts du 26 septembre 2012 et du 10 juillet 2013.
Autrement dit, l’établissement d’un lien de causalité au moyen d’un faisceau d’indices chronologiques et cliniques, constituant des présomptions suffisamment graves, précises et concordantes, ne préjuge en rien de la défectuosité du produit, laquelle reste soumise à l’appréciation in concreto des juges du fond.
 

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Jérôme Peigné, Professeur à l'université Paris Descartes
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