Vidéo / Loi Travail : la contestation va se poursuivre sur le plan juridique

Vidéo / Loi Travail : la contestation va se poursuivre sur le plan juridique

15.09.2016

Représentants du personnel

Les manifestations d'hier contre la loi Travail sont peut-être un baroud d'honneur. La CGT et FO vont désormais tenter de contester sur le plan juridique un texte jugé dangereux par les délégués syndicaux rencontrés hier à Paris, lesquels évoquent aussi bien la durée du temps de travail que les licenciements économiques. Explications en texte et en vidéo.

 

 

Hier a peut-être eu lieu la dernière journée de mobilisation intersyndicale contre la loi Travail (*), qui s'est traduite à Paris par un défilé de Bastille à République (voir dans notre vidéo ci-dessus les interview de Jean-Claude Mailly, le secrétaire général de FO, de Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, et d'Eric Beynel, porte-parole de Solidaires). "Nous n'avons pas voulu manifester à Vendôme, nous confie Mickaël Drouault, secrétaire de l'union locale CGT de cette sous-préfecture du Loir-et-Cher, car si c'est pour se retrouver une petite centaine seulement, ce n'est pas la peine. Même si la loi nous reste en travers de la gorge, on va arriver à bout de souffle".

Ce n'est pas un baroud d'honneur 

Et ce délégué syndical de la société métallurgique HMY (330 salariés et 120 intérimaires) à Vendôme d'ajouter : "Autant continuer la contestation sur le plan juridique".  D'autres délégués syndicaux paraissent tenir aux manifestations de rue : "Cette journée est aussi importante que les précédentes, il faut continuer pour que le patronat ne gagne pas. Il n'est pas trop tard : regardez ce qui se passe avec Alstom, il ne faut rien lâcher", nous confie la déléguée syndicale SUD de l'entreprise informatique GFI. "Je suis favorable à ce que ça continue. Car sans la pression de la rue, les recours juridiques ne donneront rien", renchérit Thierry Nuttin, secrétaire CGT du CCE de l'activité logistique d'Intermarché. Dominique Manissier, secrétaire du syndicat FO de la caisse régionale du Crédit agricole du Centre-Est, est plus mesuré : "Ce n'est pas un baroud d'honneur aujourd'hui. Ce n'est pas parce que la loi a pu être votée grâce à trois recours au 49.3 qu'il n'y a plus d'opposition. Mais ce sont les confédérations qui vont décider de la suite.."

L'échéance de l'élection dans les TPE

Justement, il semble bien que les confédérations, fût-ce au grand dam de Solidaires qui évoquait déjà hier la date du 7 octobre pour une prochaine action, aient peur d'un essoufflement de ces mobilisations à répétition, alors que la loi a été votée et promulguée cet été et qu'elle va entrer progressivement en application. D'autre part, la campagne des élections professionnelles dans les très petites entreprises (TPE), dont le scrutin a lieu du 28 novembre au 12 décembre, conduit les organisations syndicales (OS) à se concentrer sur cette bataille d'audience, importante en vue de la représentativité de chaque syndicat pour 2017 (notre article). Cette campagne va inévitablement accuser les différences entre les OS, et donc affaiblir les possibilités d'action commune. Surtout, CGT et FO vont désormais contester, chacune à leur manière, la loi sur le plan juridique.

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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La voie de la QPC

Quatre fenêtres de tir seront sans doute mobilisées par la CGT et FO. D'une part, la question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Il s'agit ici de montrer qu'un ou plusieurs points de loi soulèvent, en pratique dans leur application, un problème de constitutionnalité, autrement dit autorisent une pratique qui n'est pas conforme aux principes de la Constitution : rupture d'égalité entre citoyens, atteinte aux libertés individuelles, etc. En théorie, cela pourrait conduire le Conseil constitutionnel à censurer la loi Travail. Pour pouvoir déposer une QPC, encore faut-il que la loi soit applicable, c'est à dire que les décrets relatifs à la disposition contestée soient parus, ce que le ministère promet d'ici décembre 2016 pour la plupart des textes réglementaires (notre article), et qu'un cas pratique posant problème se soit réellement posé. Il faut ensuite que cette QPC soit effectivement transmise au Conseil constitutionnel afin que celui-ci tranche la question. Cet été, le Conseil constitutionnel a en effet bien précisé qu'il n'avait examiné que les points soulevés par les parlementaires qui contestaient la loi, d'où une censure très partielle, ciblée sur les réseaux de franchise et les locaux syndicaux (notre article). C'est la Cour de cassation ou le Conseil d'Etat, selon la nature du contentieux, qui décide si la question posée mérite d'être tranchée par le Conseil constitutionnel.

Directives européennes et recours à l'OIT

Deuxième fenêtre de tir évoquée hier par Jean-Claude Mailly : invoquer le non-respect des directives européennes devant la cour de justice de l'Union européenne, la CJUE étant compétente pour veiller au respect des obligations qui pèsent sur les Etats membres du fait des dispositions européennes. L'angle d'attaque pourrait concerner le temps de travail. Troisième possibilité de contestation de la loi Travail : saisir l'Organisation internationale du travail (OIT). L'OIT peut être en effet amenée à examiner si un Etat applique correctement les conventions internationales sur le travail qu'il a ratifiées. FO travaille sur ces possibilités de recours avec ses juristes et ne veut pour l'instant pas en dire plus. Mais la question de la durée du travail pourrait être avancée, confie Patrick Privat, du bureau confédéral, de même que l'absence de concertation préalable des partenaires sociaux, pourtant prévue par l'article L1 du code du travail lorsqu'un projet de loi concerne des thèmes sociaux. Enfin, une dernière façon de contester la loi consiste à appuyer sur le plan juridique les recours devant un tribunal d'un salarié qui contesterait par exemple l'application d'un accord collectif signé en application de la loi Travail et qu'il estimerait contraire à ses droits, ce qui pourrait aussi nourrir des QPC.

La crainte du recours au référendum auprès des salariés

Quoi qu'il en soit, si les représentants du personnel ne paraissent pas tous d'accord sur la bonne façon de s'opposer à la loi Travail, tous ceux rencontrés hier à Paris disent redouter les effets calamiteux de ce texte pour les salariés. Mickaël Drouault, DS CGT de HMY à Vendôme, craint que sa direction ne fasse entériner des accords collectifs minoritaires (sur le temps de travail par exemple) en utilisant l'arme du référendum auprès des salariés. "Nous sommes trois OS dans l'entreprise et ce n'est pas la CFE-CGC et la CFDT qui s'opposeront à la tenue d'un référendum", dit-il en évoquant aussi sa crainte d'une utilisation du nouveau cadre d'accord emploi offensif. Dans la chimie, "notre DRH dit ne pas saisir ce qu'apporte la loi Travail", nous dit pour sa part Martina Evelyne, déléguée syndicale CGT de Cooper (504 salariés), ce qui ne l'empêche pas d'être inquiète : "Mais c'est le DRH, pas le DG. Et nous venons d'être repris par un groupe britannique. La loi Travail facilite quand même les licenciements économiques et une moindre rémunération des heures sup".

Licenciements économiques et temps de travail

De fait, ces questions ne laissent pas d'inquiéter les élus. "Ce que nous pourrions perdre avec la loi Travail en cas d'accord ? Des jours RTT et des heures sup moins majorées", nous répond Thierry Nuttin (CGT, Intermarché). "La loi Travail redéfinit le licenciement économique en le justifiant dès lors qu'il y a une baisse du chiffre d'affaires. Dans notre groupe, où il y a déjà eu beaucoup de ruptures conventionnelles dans certaines filiales, on pourrait voir réapparaître des licenciements éco", redoutent Hocine Chemlal et Abdlaziz Benabderrahman, de la CGT Sopra-Steria (informatique).

On pourrait voir réapparaître des licenciements économiques

"Nous pensons que la direction va aller dans le sens de la déreglementation du travail et de sa durée", avance Patrick Ardouin, DSC FO d'Eurovia, branche travaux publics de Vinci. Ce denrier s'attend à ce que l'entreprise tente de mettre en place une pluriannualisation du temps de travail (NDLR : la loi Travail le permet jusqu'à 3 ans par accord d'entreprise si la branche le prévoit), ce qui serait à ses yeux une façon de limiter encore le paiement d'heures supplémentaires en lissant le temps de travail...

Ce n'est en tout cas pas la loi Travail qui va relancer, aux yeux de Dominique Manissier, les négociations salariales au sein du Crédit agricole : "Les NAO sont bien ouvertes à chaque fois, mais il n'y a pas de réelle négociation. Alors que pour les rémunérations des dirigeants, on a des progressions à deux chiffres".

(*) A l'appel de la CGT, FO, FSU, Solidaires, UNEF, UNL et FIDL.

Bernard Domergue (texte) et Julien François (vidéo)
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