[A voix haute] Savoir sortir du protocole pour rencontrer l'autre

[A voix haute] Savoir sortir du protocole pour rencontrer l'autre

02.03.2018

Action sociale

Notre série « A voix haute » cherche à donner la parole à ceux qui n'ont longtemps pas eu voix au chapitre : les "personnes accompagnées". A l’instar d’Alexandre Pélissier, 18 ans, qui vit à l’Institut d’éducation motrice (IEM) de Talence. Physiquement paralysé, il raconte son parcours et tient à valoriser le travail de l’équipe pluridisciplinaire de l’établissement.

A 18 ans, Alexandre Pélissier fait preuve d’une maturité et d’une lucidité étonnantes pour son âge. Atteint d’une paralysie cérébrale suite à une naissance très prématurée, il est en fauteuil depuis toujours, et compense sa grande dépendance physique par une vive indépendance d’esprit. Il réside depuis l’âge de quinze ans à l’institut d’éducation motrice (IEM) de Talence, dans l’agglomération bordelaise, qui accueille des jeunes de 15 à 25 ans en situation de handicap, ayant un projet de formation en milieu ordinaire. Une équipe pluridisciplinaire accompagne les 66 résidents, tant sur le plan éducatif, thérapeutique que pédagogique. Chaque jeune élabore un projet personnalisé, avec un éducateur pour référent .

 

Il y a trois ans, Alexandre n’était pas enchanté à l’idée de venir vivre à l’institut d'éducation motrice (IEM). « Mes parents se sont occupés de tous mes soins pendant 15 ans… De cinq à quinze ans, j’avais essentiellement besoin de séances de kinésithérapie. La prise en charge se faisait à domicile, et ma relation aux soignants s’est inscrite sur du long terme, évoluant vers un lien plus intime. J’allais à l’école en milieu classique accompagné d’une auxiliaire de vie scolaire (AVS). Le monde du handicap était assez flou pour moi », raconte-t-il.

"Dans mon esprit, un institut, c’était presque un mouroir !"

Son père prévoit de l’inscrire à l’IEM, car le lycée d’Alexandre ne se situe qu’à quelques dizaines de mètres. L’adolescent est conscient que cela lui permettrait de gagner en autonomie, mais à cette époque, il a une vision très morne de l’institut. « Dans mon esprit, un institut, c’était presque un mouroir ! Je trouvais que les personnes handicapées étaient trop maternées. Je suis arrivé avec un gros a priori. Les premiers jours ont été difficiles, je ne m‘ouvrais pas. Et puis j’ai du mal à créer des liens avec les personnes handicapées cérébrales. Je peux être un peu dur avec les autres, plus immatures ou qui se plaignent », admet-il.

« Vivre sa vie de jeune »

Finalement, il s’adapte vite, rencontre d’autres jeunes qui deviendront de très bons amis. « Vivre en IEM m’apporte beaucoup. Certains ont des pathologies plus compliquées, cela fait relativiser. Je suis plus tolérant. Les équipes sont à l’écoute, s’adaptent beaucoup, nous poussent à l’autonomie. Ici, tu dois organiser ta vie : prévoir tes rendez-vous médicaux, prévenir si tu manges sur place ou pas, ou préciser si tu as des besoins particuliers... Grâce à ce cadre, on a la possibilité de vivre sa vie de jeune. Je peux sortir le soir, rentrer dans la nuit. Dans d’autres endroits, l’assistanat est trop présent. Ce n’est pas dû aux structures, mais à certains professionnels ou à des jeunes peu autonomes. Cela ne part pas d’une mauvaise intention, mais c’est infantilisant. Dans des centres de rééducation ou des hôpitaux, on m’a parlé comme si j’étais un enfant ou un idiot. Je n’aime pas quand on sous-estime d’emblée les capacités d’une personne handicapée. C’est de la condescendance », s’agace Alexandre.  

« Ici les soignants ont du temps »

Il y a deux ans, il subit une lourde opération du dos – une arthrodèse. S’ensuit une période de « grosse rébellion. J’ai tout envoyé bouler, je ne voulais plus aller au lycée. Les équipes ont été bienveillantes, m’ont laissé tranquille, et du temps. Elles ont été présentes quand j’avais besoin de parler. Les infirmières, que je voyais peu avant l’opération, m’ont aidé à la préparer en amont. Elles sont sensibles, très à l’écoute, ça t’aide dans le soin. Ici les soignants ont du temps. C’est dommage qu’on ne puisse pas adapter cet environnement à l’hôpital ou ailleurs. J’ai d’ailleurs fait un courrier pour dénoncer les conditions de travail dans une clinique où je suis allé en rééducation. Les soignants étaient adorables, mais ils couraient sans cesse et leur travail n’était pas reconnu. Ce n’est bénéfique pour personne », remarque Alexandre.

 J’ai du mal avec la distance protocolaire des soignants. Pour qu’il y ait de la confiance, c’est important qu’il y ait de la complicité

Après son opération, il retourne au lycée. Un matin, une voiture le renverse. Il doit être réopéré, et reste alité de longues semaines. « J’ai développé une relation privilégiée avec les soignants. Ce fut presque comme une psychothérapie. A l’IEM, des professionnels s’inquiètent pour moi comme le feraient des amis ou des parents. C’est très humain, ils ne restent pas bêtement dans leur fiche de poste », constate-t-il.

« J’ai du mal avec la distance protocolaire des soignants, comme celle qu’adoptent parfois des stagiaires. Pour qu’il y ait de la confiance, pour accepter des conseils, c’est important qu’il y ait de la complicité, de la sympathie, tout en se respectant. Il faut adapter son accompagnement à celui que tu as en face, savoir s’accorder. Par exemple, je prenais un traitement contre la spasticité, et je n’avais pas l’impression qu’il était efficace. J’ai dit au médecin que j’allais l’arrêter. Il m’a laissé faire. Deux semaines plus tard, c’était bien pire, je l’ai donc repris. C’est important de laisser le jeune faire son expérience, sans qu’il se mette en danger bien sûr ».

Une phase de dépression

Alexandre n’aime pas qu’on lui dise ce qu’il doit faire. Bon élève, il est actuellement déscolarisé mais prépare son bac en candidat libre, en suivant 20 heures de cours par semaine par le biais de l’unité d’étude de l’IEM. Il se consacre en parallèle à des projets qui l’enthousiasment. Tout cela est écrit dans son projet personnalisé, qu’il a élaboré avec les éducateurs au fil du temps. « J’ai découvert leur travail ici. J’ai commencé à voir une éducatrice en septembre 2016, au moment de mon opération, ainsi que le coordinateur des études. A cette époque, je refusais de continuer le lycée, je traversais une phase de dépression, j’étais inconstant. Elle a pris beaucoup de temps pour parler avec moi. Je reprenais les cours, puis j’arrêtais… Je culpabilisais de ne pas tenir parole par rapport aux équipes, à mes parents.

"Un éducateur doit avoir foi dans les jeunes"

En septembre 2017, j’ai travaillé avec une nouvelle éducatrice. Dès la première semaine de la rentrée, elle a tenu à ce que nous écrivions mon projet personnel. Elle me disait de prioriser mes cours, et je n’aime pas que l’on m’influence de cette façon. Je suis autonome dans mes prises de décision. Au bout de deux semaines, j’ai pété les plombs. J’étais en colère et déterminé cette fois : j’en avais marre de promettre des choses que je ne tenais pas, et je voulais faire ce qui me plaisait », se remémore-t-il.

On rencontre ici beaucoup de bienveillance, c’est important de le dire 

Il se consacre au rap, musique sur laquelle il écrit des articles, monte des ateliers d’écriture… « Nous avons donc réécrit mon projet avec l’éducatrice. Elle m’a soutenue, mettant de côté sa vision des choses et ses exigences personnelles.

Je veux expérimenter : si ça ne marche pas, je reprendrais mes études. Pour moi, un éducateur n’a pas à être dans le jugement. Il travaille avec des jeunes qui sont tout le temps jugés. Au contraire, il doit avoir foi en eux », estime-t-il. La collaboration, la transmission entre les équipes soignantes et éducatives fonctionnent bien à l’IEM, ce qui permet un meilleur accompagnement. « L’intérêt d’une équipe pluridisciplinaire, c’est la confrontation des points de vue. La cohésion et la dynamique d’équipe sont positives. Ces gens sont passionnés par leur métier, investis, sur le terrain. On rencontre ici beaucoup de bienveillance, c’est important de le dire », conclut Alexandre. La prochaine étape pour lui : vivre dans son propre appartement, en toute autonomie.

 

Pourquoi cette série "A voix haute" ?

Depuis plusieurs mois, nous nous intéressons, à travers notre série "En quête de sens", aux interrogations, découragements et enthousiasmes de travailleurs sociaux sur leurs métiers aujourd'hui chahutés. Il nous a paru logique de faire entendre, en regard, ceux qui expérimentent directement, du fait d'une situation de vulnérabilité provisoire ou permanente, des dispositifs sociaux ou médico-sociaux pensés pour eux... mais pas toujours avec eux.

Les temps changent toutefois : aujourd'hui, la parole des « usagers » de l'action sociale et médico-sociale est davantage et mieux prise en compte, voire encouragée. La loi 2002-2 et ses outils de participation sont passés par là. Les concepts d'empowerment et de pair-aidance infusent peu à peu. Beaucoup reste à faire, mais une idée s'est imposée : premières expertes de leur vécu, les personnes accompagnées ont des choses à dire. Et les professionnels et décideurs, beaucoup à gagner à les écouter

 

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Laetitia Bonnet
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