Franck Bonot, consultant en relations sociales et ressources humaines au sein du cabinet Spin Consulting, analyse les enjeux liés au télétravail et les réticences de certaines entreprises à passer au 100 % télétravail pendant le confinement. Selon lui, ce sujet est pourtant crucial pour les années à venir car il porte les mutations à venir du travail.
Depuis la publication de la nouvelle version du protocole national par le ministère du travail, le 29 octobre dernier, nombreux sont les débats autours de l’obligation de la mise en place du télétravail au sein des entreprises en réponse au risque de contamination lié à la Covid-19.
Le fait que le dit protocole précise, que le temps de travail effectué en télétravail doit être porté à 100 % pour les salariés qui peuvent effectuer l’ensemble de leurs tâches en télétravail, a en quelque sorte renforcé la polarisation du débat autours des modalités du recours ou de la mise en place du télétravail.
Quel est le droit applicable ? Quelle est la valeur juridique des préconisations du protocole ? Les positions des avocats côté employeurs et côté salariés, quoique divergentes sur certains points arrivent au consensus que le télétravail est une réponse à l’obligation de sécurité qui incombe à l’employeur.
Sur le terrain, les remontés sont nombreuses de la part des salariés, et nous sommes loin d’avoir une position homogène sur la mise en place du télétravail en réponse au risque lié à la pandémie. Même si le code du travail offre un fléchage sur la réponse à apporter en cas de pandémie (article L.1222-11 du code du travail), les positions des entreprises d’un même secteur d’activité et de taille similaire peuvent être diamétralement opposées sur le sujet.
Pour autant, au regard de la situation d'urgence sanitaire exceptionnelle, en première réponse une mise en place quasiment automatique devrait pourtant avoir lieu pour les postes télétravaillables au titre d'une réponse appropriée à un risque connu exposant les salariés et travailleurs .
S'il l'on retient la règle d'or enseignée aux futurs secouristes, le premier PAS (Protéger Alerter Secourir), la protection dans une situation d'extrême urgence prévaut à toute autre action. Il doit en être de même pour l'entreprise au titre de ses obligations de sécurité (articles L.4121-1 et suivants du code du travail).
Il est donc d'autant plus troublant de constater les réticences, les craintes de certains acteurs, à appliquer cette mesure de protection initiale. Il est tout aussi intéressant de constater a contrario que certaines entreprises ont opté pour une option plus protectrice en décidant, et cela dès mi-février, d’instaurer le télétravail pour l'ensemble des salariés et cela pour une période pouvant aller jusqu'à juin 2021, au seul motif de la protection des salariés (exemple : STEMCELL Technologie). Pour autant le dialogue social, et la négociation des modalités des conditions et de l'application du télétravail, n'ont pas été évacués. La mesure de mise en place du télétravail de façon unilatérale répondait à une situation exceptionnelle urgente.
Les modalités de la mise en place du télétravail en situation d'urgence, et cela de façon unilatérale au titre de l'obligation de protection des travailleurs, ne peuvent pas être similaires, aux modalités propres aux formes de télétravail ordinaire ou occasionnel.
Une voie qui semble être prise par les partenaires sociaux au niveau interprofessionnel, qui consisterait à négocier sur les trois types de télétravail (ordinaire, occasionnel et exceptionnel) , est à mon sens pertinente.
Gestion du personnel
La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :
- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.
La mise en place du télétravail, comme toute nouvelle organisation du travail, même si son objet premier est de supprimer l'exposition des travailleurs à un ou des risques, introduit de facto de nouveaux risques pour les travailleurs.
Des risques tels que les risques psychosociaux, sont les plus souvent cités quand on évoque le télétravail, risques liés à l'isolement, à la perte de repères, à une forme de désociabilisation etc…
La liste des risques introduits est loin d'être exhaustive. L’émergence de certains risques est étroitement liée à l'histoire de l‘entreprises, aux moyens alloués, aux interactions entre les collaborateurs, à l'acculturation aux outils, aux méthodes de management.
Il donc illusoire penser qu’une réponse unique puisse exister pour l’ensemble des entreprises en terme de télétravail. En addition à un accord interprofessionnel sur le ou les "télétravail", il est primordial que les acteurs sociaux, institués ou non, de chaque entreprise soient parties prenantes de l'élaboration des modalités de mise en place des différentes formes de télétravail au sein de leur entreprise.
A travers les remontées terrain que nous avons pu collecter dans divers secteurs d’activité, auprès de salariés, managers ou dirigeants, pour des entreprises fortement réticentes à la mise en place du télétravail en réponse à un risque connu et présent, le sujet du contrôle de l’activité du collaborateur, est revenu systématiquement. Diverses publications relèvent ce point, sur la peur de l’encadrement du dirigeant engendrée par une perte de contrôle des équipes en situation de télétravail. Certains acteurs comme Hubstaff ont développé des outils de contrôle de surveillance afin de répondre aux inquiétudes liées à la réalité de la productivité des télétravailleurs. Assez effrayant à notre sens, quand on prend connaissance des options proposées par ces outils, qui peuvent prendre des photos toutes les cinq minutes pour s’assurer de la présence du télétravailleur.
Cela illustre la persistance d’une certaine vision qui voudrait que le management ait pour principal but de contrôler la productivité en s'assurant que les salariés soient physiquement pleinement mobilisés à la tâche qui leur est attribuée. Pour autant le présentiel, n’évacue pas le présentéisme, et le télétravail n’introduit pas le farniente. Il semble assez évident que pour une partie du management, il est nécessaire et urgent de revoir le logiciel d'encadrement des équipes, dans une période où le travail à distance tend à se développer.
Comment donner du sens au travail au delà du résultat stricto sensu ? Comment "faire collectif" avec des collaborateurs isolés ? Comment animer ces mêmes collectifs ? Comment recréer les moments d’échanges informels si importants tels que la pause café ? Dans l'absolu, que de belles opportunités pour repenser ou faire évoluer les relations de travail au sein des entreprises en y associant les IRP.
Lors des prochaines réunions de négociation sur le télétravail, un point ne doit surtout pas être occulté, sur les implications potentielles liées à l'évolution vers un recours massif ou, du moins, plus important du télétravail dans un futur proche, voire immédiat.
La généralisation du télétravail, les coûts liés à certaines obligations pour l’employeur entre autres peuvent ouvrir des réflexions sur une potentielle plateformisation de certains services de l’entreprise. Ce point est abordé par Jean Emmanuel Ray dans une interview de septembre sur le télétravail. Dans son intervention, il pose une question loin d'être anodine. " Si le travail « à distance » se développe, avec donc une montée de l’obligation de résultat, les télétravailleurs de demain seront-ils encore salariés ?, En l'absence d’évolution législative, vu les risques juridiques dans les faits peu maîtrisables en matière de durée du travail, de santé-sécurité ou d’égalité de traitement, les entreprises vont-elles continuer à embaucher sur certains postes des salariés ? Avec à la clef une ubérisation bien supérieure aux VTC".
Cette réflexion, nous la partageons pleinement, d'autant plus que certains CSE, ont déjà sollicité un des experts, pour essayer de trouver des indicateurs pertinents afin d'identifier l'externalisation progressive vers des indépendants de certaines tâches administratives ou dites intellectuelles.
En terme d’exemple à Boston ce genre de plateforme pour des fonctions projets, existe déjà depuis quelques années et permet à des entreprises "d'embaucher" des indépendants avec des profils d’ingénieurs, directeurs de projets, voir des équipes complètes le temps d'une mission. La société Catalant, par son directeur commercial se définit comme le Uber des "elite external experts and firms on demand" , et leur slogan est "Align employees with your key objectives and strategic work ». Catalant revendique plus de 70 000 freelancers.
Le fait que des entreprises entrevoient une plateformisation d'une partie de leurs activités est à décliner au présent. La négociation nationale sur le télétravail, doit à notre sens, prendre la pleine mesure de cette "opportunité" dans laquelle certaines entreprises vont s’engouffrer.
Il est donc primordial au regard des évolutions rapides, des enjeux sociaux, que l’ensemble des acteurs sociaux soient correctement équipés afin de mieux appréhender les mutations majeures qui se profilent en terme d’organisation et relations de travail.
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