A l'école du travail social « à la française »

A l'école du travail social « à la française »

27.07.2018

Action sociale

Venus de New York ou de Memphis, vingt travailleurs sociaux viennent de passer trois semaines de cours d'été à Paris, à la d��couverte d'établissements innovants, mais aussi des politiques sociales de France… La Sécu et les Caarud, en définitive, peuvent inspirer Outre-Atlantique. Visite guidée avec les étudiants enthousiastes de la "summer school of social work" de l'EPSS.

Dans la cohue de la Gare du Nord, à Paris, Meera Chakraverty vérifie qu’elle est toujours suivie par son groupe. Hors de question de brandir un quelconque panneau, ou un parapluie aux couleurs de son centre de formation : « Je ne suis pas tour opérateur », évacue cette chargée du développement international et de la communication, de l’Ecole pratique de service social (EPSS). En ce matin du 5 juillet, du reste, la visite qu’elle a organisée n’a vraiment rien de touristique. Les dix travailleurs sociaux qui la suivent, presque tous étudiants aux Etats-Unis, s’apprêtent à découvrir un nouveau monument de l’addictologie française : la salle de consommation à moindres risques (SCMR), ouverte en 2016, par l’association Gaïa.

Doctors of the world

Sur le trottoir de l’hôpital Lariboisière, le groupe dépasse deux contrôles de police, avant d’atteindre un portail gris. Le bien nommé José Matos, chef de service du centre de réduction des risques, les accueille : « Hello ! » Aux stagiaires assemblés en demi-cercle, il commence à raconter les origines de ce Caarud, depuis le premier programme d’échange de seringues de « doctors of the world » (1), en 1989… Les premières questions fusent, expertes. A-t-on accès en France à la naloxone, cet antidote vital en cas de surdose d’opiacé ? Existe-t-il à Paris des hébergements réservés aux usagers de drogues ?... Oui, développe José Matos, toujours en anglais, avant d’entamer la visite guidée de la salle, fermée aux usagers le matin.

Olivier Bonnin

Habitat féministe

Depuis qu’ils ont été accueillis, le 2 juillet, dans la fameuse « école de Montparnasse », les étudiants de la « Paris summer school of social work » ont déjà eu un programme nourri. Tour à tour, les inscrits ont pu suivre un cours d’histoire du travail social, passer une journée de stage en établissement, ou découvrir à Montreuil la Maison des Babayagas, cet habitat « féministe et autogéré » pour « vieillir autrement »… Pourtant, ce matin, malgré le décalage horaire persistant, les dix visiteurs affichent une concentration imperturbable.

Barack Obama

« Barack Obama vient ici chaque semaine », avance José Matos aux étudiants interloqués - avant de leur expliquer qu’à l’accueil, chaque usager peut se donner le nom qu’il souhaite… Une fois détaillés les principes du centre – pas de deal, pas de violence -, le chef de service peut les conduire dans la salle d’injection. Autour des seringues en sachets, les questions se succèdent encore : modes de financement, place des femmes, rapports avec le voisinage… La visite se poursuit dans le bureau médical, puis dans la salle de repos. « No more questions ? » 

Impressionnée

A la sortie de cette heure et demi de visite, Antonya May, de Memphis, Tennessee, se dit impressionnée par ce « très bon moyen de prévenir le VIH et le VHC » : « Je pensais qu’ils leur donnaient la drogue, mais ce n’est pas le cas ! » Quant à Alexa Aliberti, elle espère que le projet analogue dans sa ville de New York se concrétisera, à son tour, malgré les controverses : « Cela semble très utile. »

José Matos appréciera. S’il a accepté de mener cette visite guidée pour des travailleurs sociaux étrangers, c’est bien pour « démystifier ce qui se passe dans une salle de consommation, et montrer que ce n’est pas simplement un lieu où l’on peut « shooter », mais bien un endroit où l’on crée du lien et où l’on réduit les risques... »

Olivier Bonnin

Exporter les idées

Pour l’école également, cette nouvelle visite pourra sembler concluante. Cette classe internationale d’été, organisée par l’EPSS pour la troisième année, est censée « donner l’opportunité à des étudiants étrangers de découvrir la richesse du travail social français », comme l’énonce Meera Chakraverty, à l’origine du projet. Car toutes les innovations sociales qui peuvent s’inventer, ici, ne s’exportent pas facilement : « Presque personne ne s’exprime en anglais », rappelle John Ward, un travailleur social britannique, longtemps formateur à l’IRTS de Montrouge et engagé dans cette summer school. « La France internationalise mal ses projets, et je trouve ça très frustrant ! »

Enthousiasme et envie

En outre, de CHRS en Esat ou en Mecs, les confrères étrangers peuvent découvrir ici « des travailleurs sociaux qui consacrent du temps à leurs missions, en dépit des restrictions budgétaires », observe Meera Chakraverty. Et la surprise est de voir ces visiteurs en manifester de l’enthousiasme, sinon de l’envie… « Cela apporte une bouffée d’air frais aux équipes, qui réalisent qu’elles font, tout de même, du bon travail – même si évidemment tout n’est pas parfait en France ! » Du reste, pour que ces regards extérieurs puissent se nuancer un peu, l’école a tenu, l’an dernier, à prolonger la session d’une semaine...

« Amoureuse du système »

Cet après-midi en tout cas, dans la cour de l’EPSS, Elena Delavega, née au Mexique et professeur à l’université de Memphis, n’a rien perdu de son ardeur. « Je suis amoureuse du système de protection sociale français, en comparaison avec celui des Etats-Unis. » Elle se dit même « fascinée » par ces modèles européens, « qui concilient le capitalisme avec la dignité de la personne ». Cette spécialiste des politiques sociales en est ainsi à son deuxième séjour avec l’EPSS, avec, cette fois, six étudiants pour l’accompagner…

Olivier Bonnin
En classe

L’heure est venue pour les vingt inscrits de l’été de se retrouver en classe. Le Britannique John Ward (ci-dessus) donne son premier cours, sur les « politiques sociales » en France. « Ici, pour suivre l’actualité réglementaire, vous êtes obligé de lire TSA », sourit-il d’abord, pour présenter le journaliste dans la salle… Le professeur préretraité commence à décrire cet étrange pays, individualiste, mais laissant un « rôle très fort à l’Etat », jusque dans le travail social. Et les élèves découvrent, intrigués, les quatorze métiers distingués ici, de l’assistant familial à l’ingénieur social… Globalement, les stagiaires « sont surpris par les mœurs françaises, notamment l’indiscipline, et par cette prédominance de l’Etat », commente à la sortie John Ward, engagé pour la troisième année.

Modèle économique

Pourtant en France, l’Etat n’est plus ce qu’il était… Et de fait, ce n’est pas uniquement « pour l’échange » et « pour l’intelligence » que s’investit lui-même Olivier Huet, le directeur général de l’EPSS. « Les instituts de formation en travail social se précarisent, et nos modèles économiques changent », souligne-t-il. « L’international est donc une bonne piste ! » Avec un tarif de 2 600 euros le séjour, à vrai dire, « nous ne gagnons pas encore d’argent, mais c’est un investissement de long terme. »

En Extrême-Orient

Désormais des partenariats sont conclus, avec les universités de Kennesaw (Géorgie) et de Memphis - ce qui explique la forte représentation des Etats-uniens cet été, aux côtés d’une Canadienne, d’un Tadjik ou d’une Tchèque. De la sorte, certains étudiants peuvent valider plusieurs crédits d’enseignement et accéder à une bourse, au terme de leur séjour. Pour l’été prochain, l’école espère attirer d’autres nationalités moins fortunées, en leur réservant des tarifs plus attractifs. Et déjà, le directeur général veut réfléchir à « l’étape suivante » de cette ouverture extérieure – avec, pourquoi pas, une école d’hiver, ou une prospection en Extrême-Orient, ou encore des séjours à l’étranger pour ses propres étudiants…

Olivier Bonnin

Usagers de drogues des campagnes

En attendant, ce 20 juillet, les trois semaines de summer school s’achèvent à l’école de Montparnasse. En guise de clôture, les travailleurs sociaux doivent présenter les « projets à impact social » qu’ils se sont chargés d’imaginer par petits groupes. Le premier (ci-dessus) décrit un programme de livraison postale de matériel propre, pour les usagers de drogues des campagnes. « Ce serait plutôt pour la France », envisage Automne Lowery : « Aux Etats-Unis, on ne propose que l��abstinence ! »

Dîner chez les personnes âgées

Un autre groupe imagine une mobilisation de jeunes volontaires pour venir dîner chez des personnes âgées isolées – compte tenu de « l’importance de la nourriture au sein de la culture française »… Dans la salle,  Léon Gomberoff, de l’association Aurore, s’interroge toutefois sur ce « questionnaire de compatibilité » proposé pour mettre en relation les intéressés – selon qu’ils recherchent un convive homme ou femme, par exemple, ou bien amateur de yoga, ou encore de chant. « Peut-être la société française est-elle plus ouverte », admet Victoria O’Leary…

Un autre groupe propose un accompagnement spécifique pour les mineurs réfugiés, dans les centres d’accueil. « Il vous faudrait un bon avocat », prévient cette fois Ranzika Faid, présidente de l’association Mobil’douche : « La France, aujourd’hui, essaie davantage de se débarrasser des réfugiés que de les accueillir. »

Olivier Bonnin

La bizarre coutume de "la bise"

La Paris summer school se termine. En définitive, face au travail social à la française, les enthousiasmes se mêlent à quelques déceptions (lire ci-dessous). Mais dans la salle de classe, les Américains redoublent d’applaudissements et de cris de joie. La plupart acceptent, même, de sacrifier à la bizarre coutume de « la bise ». Avant de décoller, ils pourront encore visiter Montmartre ou Chantilly, mais ce sera, cette fois, réellement du tourisme.

 

(1) Médecins du monde.

 

Simona Denes (Atlanta) :

« Les m��mes valeurs qu’en Roumanie »

 

Olivier Bonnin

« Je viens de Roumanie, et je me suis installée il y a cinq ans aux Etats-Unis. Cela a été rafraîchissant pour moi de retrouver en France les mêmes valeurs qu’en Roumanie – avec, certes, davantage de moyens ! Aux Etats-Unis, c’est très différent, on attache de l’importance à l’argent plutôt qu’aux personnes. Par exemple dans un centre pour personnes handicapées mentales, la logique n’y est pas de les rendre autonomes, comme ici, mais plutôt de les garder comme clients. »

 

 

 

 

Victoria O’Leary (New York) :

« Des personnes stigmatisées, ici aussi »

 

Olivier Bonnin

« Je pensais que ce serait différent en France… Mais je réalise qu’ici aussi, les personnes vulnérables sont trop souvent stigmatisées, qu’elles soient réfugiées ou encore sans-abri. J’en conclus que nous, travailleurs sociaux, devons œuvrer encore plus dur ! »

 

 

 

James Villanueva (Memphis) :

« En France, tout le monde est citoyen »

 

Olivier Bonnin
« Cela me rend très humble de voir combien les travailleurs sociaux en France respectent les personnes qui ont des besoins. Aux Etats-Unis, les gens ont honte de demander des aides publiques, car ils ont l’impression d’avoir mal agi. Et ils vont davantage s’adresser à leur communauté, gay ou noire par exemple. Il n’existe pas de système parfait, mais en France, tout le monde est citoyen. Ce modèle me met le feu au cœur, et je voudrais qu’il s’applique partout ! »

 

 

Action sociale

L'action sociale permet le maintien d'une cohésion sociale grâce à des dispositifs législatifs et règlementaires.

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