Aides du gouvernement américain en réponse au Covid-19 : les enquêtes arrivent

Aides du gouvernement américain en réponse au Covid-19 : les enquêtes arrivent

12.06.2020

Gestion d'entreprise

Pour soutenir ses entreprises, le gouvernement américain n'a pas hésité à leur accorder diverses aides financières… Qui s'accompagnent inévitablement de contrôles pour surveiller les abus. Dans sa chronique, Jon Meyer, avocat associé chez Sheppard Mullin, nous explique ce qui attend désormais les entreprises aux Etats-Unis et les risques encourus.

Alors que les États-Unis continuent de subir la pandémie du Covid-19, le gouvernement fédéral a tenté d’atténuer les souffrances économiques en offrant diverses formes d’aides financières aux entreprises. A cette fin, le Congrès américain a adopté une série de lois, notamment le CARES Act. Cette loi et d'autres mesures d’urgence ont alloué environ 3 000 milliards de dollars d’aides aux entreprises, avec d’autres aides encore probables à venir en juin.

A ce jour, la plupart des entreprises américaines se sont concentrées sur la façon dont elles peuvent être éligibles aux aides, que ce soit en tant que PME, compagnie aérienne, entreprise de sécurité nationale, entreprise du domaine de la santé ou autres catégories créées par le CARES Act. Cependant, à mesure que les entreprises reçoivent ces fonds, l’attention se tourne maintenant sur la surveillance et le contrôle, lesquels ont déjà commencé et vont augmenter considérablement au cours des prochains mois.

On s’en souvient, l'Amérique faisait face, en 2008-2009, à la pire crise économique de son histoire. Le Congrès avait alors choisi d’injecter des fonds dans l’économie pour atténuer le ralentissement économique, notamment avec le « Troubled Asset Relief Program » et l'« American Recovery and Reinvestment Act ». Ces dépenses ont totalisé environ 1 200 milliards de dollars, soit seulement un tiers de ce qui a déjà été dépensé en 2020 à ce jour. Cette aide financière massive a été suivie par d’importantes activités de surveillance, de contrôle et d’application de la loi par le gouvernement fédéral américain, mais aussi par de nombreuses enquêtes menées aussi bien par le Justice Department (ministère de la Justice ou « DOJ ») que par plusieurs inspecteurs généraux ou le Congrès américain, qui ont conduit à plus de 300 condamnations à des peines de prison et 11 milliards de dollars d’amendes et de restitutions. Des chiffres vertigineux, qui pourraient pourtant être largement dépassés le CARES Act (Coronavirus Aid, Relief, and Economic Security Act ) et les autres mesures de relance économique adoptées pour aider les entreprises à affronter la pandémie.

Qui mènera la surveillance et les enquêtes ?

Toute loi est soumise à un contrôle de surveillance de son application dans le cadre du fonctionnement régulier du gouvernement américain. Cependant, en raison des dispositions législatifs créant de nouveaux mécanismes de contrôle et de la mise en lumière du CARES Act dans l’opinion publique, le volume et l’intensité de la surveillance et du contrôle vont être renforcés à la suite de la pandémie du Covid-19.

Premièrement, le DOJ est chargé de faire appliquer le CARES Act. A cette fin, il a déjà entamé des poursuites relatives au Covid-19, et ce n'est que le début. En effet, grâce à ses 93 procureurs généraux, le DOJ a la capacité d’enquêter et de poursuivre les délits, tels que la fraude ou les fausses déclarations au gouvernement fédéral, dans des dizaines de juridictions à la fois. En outre, la division civile du DOJ poursuit les actions civiles pour détournement de fonds publics, travaillant souvent en coopération avec des individus qui dénoncent des comportements illégaux.

En particulier, le « False Claims Act » est le principal outil du gouvernement fédéral pour lutter contre la fraude envers le gouvernement. Cette loi permet au gouvernement d’engager des poursuites pour fraude mais incite également les individus à alerter le gouvernement sur de telles activités en déposant une plainte au nom du gouvernement et en partageant au final jusqu’à 30 % des recouvrements. Cette mesure incitative pour les particuliers va attirer une attention particulière sur les exigences du CARES Act.

En plus du DOJ, chaque agence fédérale ayant des responsabilités de soutien économique en relation avec le Covid-19 dispose de son propose système de surveillance interne sous la forme d’un inspecteur général (le « IG »), lequel est chargé d’enquêter sur les allégations de gaspillage, de fraude et d’abus. Ces IG se préparent d’ores et déjà pour des audits et des enquêtes liés au Covid-19. A ce titre, la Small Business Administration a annoncé son intention d’auditer systématiquement tous les prêts du CARES Act de plus de 2 millions de dollars ainsi que d’effectuer des vérifications ponctuelles pour d’autres prêts. Nous pouvons aussi nous attendre à ce que les IG du Treasury Department (ministère de l’économie et des finances) et Department of Health & Human Services (ministère de la Santé) soient aussi actifs dans ce domaine. Le Congrès a affecté 140 millions de dollars spécifiquement à ces efforts de surveillance et contrôle.

En plus de s’appuyer sur les IG existants, le Congrès a également créé un nouvel IG. Il s’agit de l’Inspecteur général spécial pour la reprise après une pandémie (« The Special Inspector General for Pandemic Recovery »), lequel est spécialement autorisé à enquêter sur les activités liées au CARES Act. Allant encore plus loin, le Congrès a également créé un comité de responsabilisation, composé d’environ deux douzaines d’IG existants, chargé de superviser l’ensemble du CARES Act, et a attribué 80 millions de dollars à leurs efforts.

La multitude d’entités de surveillance et de contrôle ne s’arrête pas au seul pouvoir exécutif fédéral. Le Congrès a également autorisé plusieurs organes du pouvoir législatif à examiner attentivement la mise en œuvre des mesures de soutien économique en relation avec le Covid-19. Ainsi, le CARES Act a créé une nouvelle commission de surveillance du Congrès, composée de quatre membres du Congrès nommés par les dirigeants des partis dans chaque chambre du Congrès, avec un président appointé par le président de la Chambre des Représentants et le chef de la majorité du Sénat.

De plus, la Chambre des Représentants au Congrès a nommé un Select Committee (comité restreint) pour superviser le CARES Act. Ce comité sera présidé par l'un des plus anciens législateurs démocrates, le représentant James Clyburn de la Caroline du Sud. Les républicains, quant à eux, seront représentés par l'un des plus proches alliés du président Donald Trump, le représentant Jim Jordan de l’Ohio. L’ancienneté de ces deux chefs de comité souligne l'importance particulière qui a été accordée à ce comité.

Il est cependant peu probable que ce comité restreint remplace les comités de surveillance déjà existants en charge du CARES Act. En particulier, le House Committee on Oversight and Reform (comité de surveillance et de réforme de la Chambre des Représentants au Congrès) dispose d’une grande compétence pour mener des enquêtes et est réputé pour ses audiences de grande envergure, souvent combatives. Du côté du Sénat, le Permanent Subcommittee on Investigations of the Senate’s Homeland Security and Governmental Affairs Committee (sous-comité permanent des enquêtes du comité sénatorial sur la sécurité intérieure et les affaires gouvernementales) est réputé pour ses enquêtes approfondies, longues et détaillées, sur les entreprises du secteur privé. Il est susceptible de reprendre le rôle qu'il a joué lors des mesures de relance économique de la crise des années 2008-2009, et ce, en menant des enquêtes détaillées sur l'utilisation présumée abusive de fonds publics.

Enfin, le General Accountability Office, un organe d’enquête du Congrès, et la principale institution d’audit du gouvernement fédéral, a reçu 20 millions de dollars pour auditer et enquêter sur les activités liées au CARES Act. On peut également s’attendre à ce qu'il explore en profondeur l’utilisation des fonds du CARES Act.

La multiplicité des exigences du CARES Act, la prolifération des organes habilités à enquêter sur les abus et l'examen minutieux et agressif que beaucoup aux États-Unis exigent désormais signifient que les années à venir entraîneront des enquêtes, des audits et des poursuites pour les entreprises qui n'ont pas fait preuve de prudence lors de leur demande et réception des fonds fédéraux. 

La multiplicité des exigences du CARES Act, la prolifération des organes habilités à enquêter sur les abus et l'examen minutieux et agressif que beaucoup aux États-Unis exigent désormais signifient que les années à venir entraîneront des enquêtes, des audits et des poursuites pour les entreprises qui n'ont pas fait preuve de prudence lors de leur demande et réception des fonds fédéraux. Ces entreprises doivent s’assurer de documenter leur conformité à la loi, de résoudre toutes les incertitudes qu'elles ont concernant lesdits fonds et d’être prêtes à répondre aux questions si le gouvernement américain les contacte à cette fin.

Quels éléments du CARES Act créent des risques de contrôles et sanctions ?

Le CARES Act, les directives qui s’y rattachent, ainsi que la documentation des prêts qui l’accompagne contiennent de nombreuses dispositions qui soumettent les entreprises à un risque potentiel de contrôle et sanctions avec, en particulier, les certifications que l’entreprise doit faire dans le cadre du processus de demande de prêt, ainsi que des exigences légales pour la gestion des fonds alloués. Par exemple, afin de recevoir un prêt exonéré de remboursement dans le cadre du programme de protection des salaires pour les entreprises de tailles petites et moyennes (TPE et PME) (le « Paycheck Protection Program »), le demandeur doit certifier qu’il :

  • est admissible à recevoir un prêt selon les critères de la Small Business Administration (l’Administration Fédérale des Petites Entreprises) ;
  • comprend que l’exonération de remboursement de prêt sera accordée pour les dépenses en coûts salariaux, paiements d'intérêts hypothécaires, loyers et services couverts (eau, électricité etc.), et que seulement 25 % des dépenses peuvent être pour des coûts non salariaux ; et
  • n'est engagé dans aucune activité illégale.

Certaines certifications, plus vagues, sont encore plus inquiétantes. En particulier, le demander doit certifier que :

  • les informations et documents fournis en support de la demande de prêt sont véridiques et corrects à tous les égards ;
  • et que l'incertitude économique actuelle rend le prêt nécessaire pour soutenir la poursuite des activités de l’entreprise.

Selon les programmes d’aide, les candidats peuvent être confrontés à d'autres exigences qui créent des risques de contrôles et sanctions, telles que:

  • des interdictions de rachats d’actions ;
  • des limitations sur la rémunération des dirigeants ;
  • des limitations quant au nombre d’employés ;
  • des interdictions de licenciement ;
  • des opérations limitées à certaines industries.

De plus, les entreprises dans certains secteurs d’activités sont soumises à des restrictions spécifiques. Par exemple, les prêteurs financiers :

  • ne sont pas autorisés à facturer un taux d'intérêt supérieur à 4 % par an sur 10 ans ;
  • ne peuvent pas facturer des frais de prêt ou imposer des pénalités pour remboursement anticipé aux emprunteurs ;
  • sont tenus de recueillir les certifications de l'emprunteur et de vérifier la documentation montrant que les fonds ont été utilisés pour la paie et les dépenses couvertes.

En outre, pour que les prestataires de soins de santé reçoivent de l'argent de leurs fonds de secours, ils doivent attester qu’ils ont fourni des diagnostics, des tests ou des soins aux personnes présentant des cas possibles ou réels de Covid-19, que le paiement ne sera utilisé que pour prévenir et répondre au coronavirus et qu’ils ne demanderont le remboursement que des dépenses liées aux soins de santé ou des pertes de revenus imputables au coronavirus.

Toutes les déclarations et certifications ci-dessus créent des risques d’audit ou d’enquête par le gouvernement américain des destinataires desdits fonds afin de s'assurer qu'ils respectent les exigences de la loi. Il existe également d’autres prescriptions légales, qui ne sont pas reproduites dans les certifications, et qui présentent des risques supplémentaires de contrôles et sanctions.

Jon Meyer

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