"Aujourd’hui, nous devons faire face à une crise des compétences plutôt qu’à une crise de l’emploi"

"Aujourd’hui, nous devons faire face à une crise des compétences plutôt qu’à une crise de l’emploi"

07.10.2024

Gestion du personnel

Smic, allègements de charges sociales, apprentissage, emploi des seniors… Benoît Serre, vice-président délégué de l’ANDRH, revient sur la feuille de route esquissée, mardi dernier, par Michel Barnier. Interview.

Michel Barnier a annoncé, le 2 octobre, lors de son discours de politique générale, une augmentation du Smic de 2 % par anticipation au 1er novembre prochain. Quel sera l’impact d’une telle mesure dans les entreprises ?

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

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Le plus urgent est de s’atteler aux fameuses "trappes sur les bas salaires" 

Le sujet fait désormais consensus : il faut trouver des voies pour que le travail paie mieux. La forte augmentation du Smic, opérée depuis les deux dernières années d’inflation, n’a pas pu inverser la tendance dans le ressenti des personnes, spécialement pour celles et ceux qui étaient juste au-dessus du salaire minimum. Mais ce n’est pas la seule réponse. Comme l’a rappelé la ministre du travail, Astrid Panosyan-Bouvet, si le Smic peut être un point d’entrée, il ne doit certainement pas être un salaire à vie.

Au-delà, le plus urgent est de s’atteler aux fameuses "trappes sur les bas salaires" ; un phénomène dû à notre système d’allégement de charges qui entrave la progression des rémunérations. Certaines entreprises sont, en effet, tentées d’embaucher des salariés aux premiers niveaux des grilles salariales plutôt qu’à des niveaux plus élevés, pour tenir compte des seuils plus importants d'exonération des cotisations sociales. Non par choix mais par manque de marges de manœuvre financières.

D’où l’importance de repenser les politiques de l’emploi, conçues, dans les années 1990, à l’époque du chômage de masse, à l’aune des travaux des deux économistes, Antoine Bozio et Etienne Wasmer (lire notre article dans l'édition du jour). L’idée d’augmenter les allègements les cotisations entre 1,2 et 1,9 Smic (et à l’inverse de les réduire entre 1 et 1,2 Smic) est une piste intéressante pour revaloriser les salaires intermédiaires, au-dessus du Smic.

N'oublions pas qu’une revalorisation des rémunérations permettrait aux entreprises, a fortiori aux petites, de gagner en attractivité et en fidélisation. Même si nous n’avons pas encore atteint le plein emploi, nous ne pouvons plus faire l’économie de ces réflexions car la démographie comme les transformations des métiers nous obligent.

Quel sera l’impact de telles mesures sur les NAO 2025 ?

 Beaucoup de PME et de TME devraient donc jouer la prudence tant les inconnues sont encore importantes

Les prochaines NAO vont, sans nul doute, s’organiser dans un climat un peu délicat. Non seulement les entreprises vont devoir prendre en compte cette revalorisation du Smic et prévoir autant que faire se peut des budgets de rattrapage pour les salariés placés juste au-dessus, mais elles devront également anticiper les impacts fiscaux sur les sociétés annoncés par le Premier ministre qui ne concernent certes que les très grandes mais on ne peut exclure un impact relatif sur leurs fournisseurs et prestataires. Beaucoup de PME et de TME sont, pour l’heure, dans l’expectative. Elles devraient donc jouer la prudence tant les inconnues sont encore importantes.

Concernant l’apprentissage, le gouvernement devrait réduire les aides au recrutement. Y êtes-vous favorable ? Et où placer le curseur ?

 Face à l’obsolescence très rapide des savoir-faire, nous n’avons pas d’autres choix que d’investir dans la formation

L’apprentissage est aujourd’hui un succès quantitatif (près d’un million d’apprentis) et qualitatif. Il est tout d’abord un formidable moyen d’inclusion car il permet à des jeunes qui ne pouvaient pas poursuivre leurs études, pour des raisons économiques, de décrocher des diplômes de niveaux bac +4 et bac +5. Il s’agit également d’un véhicule important de recrutement car le taux de transformation en CDD ou en CDI est très élevé. A fortiori dans une période de pénurie de talents. La création des CFA d’entreprises y a d’ailleurs beaucoup contribué. Il faut donc agir avec prudence.

On peut toutefois envisager trois pistes pour réduire le coût de l’apprentissage : avoir une approche par bassin d’emploi en laissant libre les régions de compenser partiellement ou non la réduction attendue des aides aux entreprises et éventuellement des coûts contrat ; cibler ces coups de pouce sur les entreprises de moins de 250 voire de 300 salariés ou encore privilégier le financement des filières de formation dites d’avenir, à l’instar de ce que Carole Grandjean, alors ministre de l'enseignement et de la formation professionnels, avait proposé pour la réforme des lycées professionnels.

N'oublions pas, nous devons faire face aujourd’hui à une crise des compétences plutôt qu’à une crise de l’emploi. Il serait donc regrettable de mettre en danger cette dynamique stratégique. Face à l’obsolescence très rapide des savoir-faire, nous n’avons pas d’autres choix que d’investir dans la formation. A la fois pour garantir meilleure adaptation possible des compétences aux enjeux économiques. Mais aussi pour nous protéger d’un risque social lié à l’incompétence ou à la disparition de certains métiers.

Le Premier ministre a annoncé un "renouveau du dialogue social". Pensez-vous qu’il y a une "méthode Barnier" sur ce sujet ?

L’ANDRH a toujours prôné le plus large recours au dialogue social 

C’est une position très courageuse de la part du Premier ministre, comme de la ministre du travail, de proposer aux partenaires sociaux de repartir de l’accord de novembre 2023 sur l’assurance chômage, annulant de fait la réforme portée par le gouvernement précédent. Quand les sujets relèvent, au premier chef des partenaires sociaux, il est toujours positif de les laisser trouver les bonnes solutions car par nature elles s’appuient sur le compromis et les réalités de terrain. On le constate souvent avec, par exemple, la gestion de l’Agirc-Arrco ou encore l’accord national interprofessionnel sur le partage de la valeur. L’ANDRH a toujours prôné le plus large recours au dialogue social. C’est donc une bonne nouvelle.

Et qu’attendez-vous de la nouvelle négociation sur l’emploi des seniors ?

Il paraît important de relancer le débat sur l’instauration d’un CDI senior 

Certes nous demeurons peu performant sur l’emploi des séniors en général mais cela s’améliore. Le problème urgent est plutôt celui de l’embauche des séniors privés d’emploi à partir de 57 ans comme le montrent les chiffres. Il faut donc rendre plus fluide leur recrutement. A ce titre, il paraît important de relancer le débat sur l’instauration d’un CDI senior que l’ANDRH a porté et nous notons évidemment avec satisfaction que la ministre y a déjà fait référence; D’une part, parce qu’il permet à des demandeurs d’emploi âgés de 59 ou 60 ans, inquiets à l’idée de ne pas atteindre l’âge d’une retraite à taux plein, de se réinsérer. D’autre part, parce qu’il apporte plus de prévisibilité aux entreprises sur la date possible de leur départ.

Le CDI senior répond à ces blocages et c’est aux partenaires sociaux de trouver le bon équilibre. Enfin, sur ce thème fondamental, nous appelons toujours à la construction d’un plan "1 senior 1 solution" à l’instar de ce qui avait été sur les jeunes et qui avaient marché car les entreprises avaient joué le jeu. J’observe que nombreuses sont celles qui le font déjà pour les seniors ou plutôt les "expérimentés".

Anne Bariet
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