Contention et isolement : deux QPC relatives aux droits du malade transmises au Conseil constitutionnel

01.03.2023

Droit public

Présentent un caractère sérieux justifiant une transmission au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité soulevant la non-conformité de la procédure de placement à l’isolement et en contention en psychiatrie en ce que celle-ci ne prévoit pas de notification obligatoire de ses droits et voies de recours existants à la personne faisant l'objet de la mesure ni d'assistance obligatoire du malade par un avocat lors de la procédure de contrôle juridictionnel par le JLD.

La loi du 16 janvier 2022 relative à l’état d’urgence sanitaire (loi n° 2022-46 du 22 janvier 2022 renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire et modifiant le code de la santé publique), en modifiant l’article L. 3222-5-1 du code de la santé publique, a créé un dispositif encadrant le recours à la contention et à l’isolement en psychiatrie en introduisant un contrôle obligatoire par le juge des libertés et de la détention (JLD) à certaines échéances.

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

Découvrir tous les contenus liés

Ce dispositif avait été introduit à la suite d’une abrogation de l’ancienne version de l’article L. 3222-5-1 par le Conseil constitutionnel (Cons. const., 19 juin 2020, n° 2020-844 QPC) qui reprochait au législateur de n’avoir pas prévu d’intervention systématique du juge alors même que ces pratiques constituent une « privation de liberté » qui impliquerait un contrôle de la mesure sur le fondement de l’article 66 de la Constitution. En réaction à cette décision, le Parlement avait adopté, dans la LFSS pour 2021 (loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020, art. 84), une nouvelle version du texte qui encadrait la durée de ces mesures mais, afin de ne pas compliquer le travail des établissements psychiatriques et alourdir celui du JLD, ne prévoyait qu’une information obligatoire de ce dernier à 24 h pour la contention et à 48 h pour l’isolement et non un contrôle de légalité systématique.

Cependant, à la suite d’une nouvelle saisine sur QPC par la Cour de cassation (Cass. 1re civ., 1er avr. 2021, n°s 21-40.001, 21-40.002, 21-40.003 QPC), le Conseil constitutionnel abrogeait cette nouvelle version en reprochant au législateur cette transposition minimaliste de sa décision initiale (Cons. const., 4 juin 2021, n° 2021-912/913/914 QPC). Ainsi contraint de créer un véritable contrôle obligatoire de légalité systématique, le législateur se résignait à introduire, dans le projet de loi de financement pour la sécurité sociale pour 2022, une nouvelle version de l’article L. 3222-5-1. Hélas, le Conseil constitutionnel censurait une nouvelle fois le texte mais au motif, cette fois-ci, que celui-ci constituait un cavalier législatif qui n’avait rien à faire dans une loi sur le financement de la sécurité sociale (Cons. const., 16 déc. 2021, n° 2021-832 DC). En catastrophe, le gouvernement réintroduisait ce texte dans le projet de loi « renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire » visant à créer le pass vaccinal. Cette loi était soumise au Conseil constitutionnel dans sa partie relative au pass vaccinal mais pas concernant celle réformant le placement à l’isolement ou en contention.

C’est pour cette raison qu’un dispositif ayant pourtant déjà fait l’objet de trois contrôles successifs par le Conseil constitutionnel, et ayant donné lieu en ces occasions à deux abrogations puis à une censure a priori, peut à nouveau faire l’objet de QPC. Tous ces événements en disent malheureusement long sur la qualité du processus de production législative que connaît la France ces dernières décennies.

Absence de notification des droits

Sur le fond, ces deux QPC soulèvent, il est vrai des arguments qui n’avaient été examinés par le Conseil constitutionnel dans aucune de ses trois décisions antérieures. La première QPC (Cass. 1re civ., 26 janv. 2023, n° 22-40.019) soulève le problème de l’absence de notification de ses droits à la personne faisant l’objet de la mesure de contention ou d’isolement. La question est ainsi formulée : « Les dispositions de l'article L. 3222-5-1 du code de la santé publique, en ce qu'elles ne prévoient pas d'obligation pour le directeur de l'établissement spécialisé en psychiatrie ou pour le médecin d'informer le patient soumis à une mesure d'isolement ou de contention - et ce, dès le début de la mesure - de la voie de recours qui lui est ouverte contre cette décision médicale sur le fondement de l'article L. 3211-12 du même code et de son droit d'être assisté ou représenté par un avocat choisi, désigné au titre de l'aide juridictionnelle ou commis d'office, [sont-elles] conforme[s] à la Constitution et notamment au principe constitutionnel des droits de la défense, du droit à une procédure juste et équitable, au principe de dignité de la personne, à la liberté fondamentale d'aller et venir et du droit à un recours effectif, ainsi qu'à l'objectif à valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice résultant des articles 12, 15 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ? ».

La Cour de cassation juge cette question sérieuse dans la mesure où, « en ce qu'elle ne prévoit pas, dès le début de la mesure de placement en isolement ou sous contention, une information du patient quant à la possibilité de saisir le juge des libertés et de la détention d'une demande de mainlevée de la mesure sur le fondement de l'article L. 3211-12 du code de la santé publique et à son droit d'être assisté ou représenté par un avocat, la disposition contestée est susceptible de porter atteinte aux droits et libertés garantis par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ». Elle est donc transmise au Conseil constitutionnel.

Sans présumer de la réponse que ce dernier produira, on notera qu’il est exact que la notification de ses droits à une personne privée de liberté par l’autorité publique est devenue un fondamental de notre système juridique. L’article 63-1 du code de procédure pénale prévoit ainsi que la personne placée en garde à vue bénéficie « immédiatement » d’une information sur ses droits dès le début de celle-ci. Il en va de même en matière de déclenchement d’une mesure de soins psychiatriques sans consentement puisque l’article L. 3211-3 prévoit que la personne faisant l’objet d’une telle mesure doit être informée également de ses droits « dès l’admission ». Le manquement à ces obligations fait encourir une remise en cause de l’une ou de l’autre mesure : nullité pour la garde à vue ; mainlevée pour la mesure de soins psychiatriques (Cass. 1re civ., 5 juill. 2018 n° 18-50.042). Cependant, on notera que, dans un cas comme dans l’autre, le droit admet que cette notification puisse être retardée lorsque la situation le justifie. Pour la garde à vue, la Cour de cassation prévoit que des « circonstances insurmontables », dont il importe de justifier, peuvent entraîner un décalage dans le temps de cette notification (Cass. crim., 29 sept. 2021, n° 20-17.036). Pour la mesure de soins psychiatriques sans consentement, l’article L. 3211-3 prévoit lui-même que la notification doit avoir lieu dès l’admission « ou aussitôt que [l’état de la personne] le permet ».

On voit mal comment la contention et l’isolement, que le Conseil constitutionnel a bel et bien qualifiés de privation de liberté dans ses deux décisions abrogeant les précédentes versions de l’article L. 3222-5-1, pourraient sur le principe échapper à cet impératif de notification des droits. Néanmoins, il est probable que le Conseil constitutionnel tiendra compte du fait, pour moduler sa critique, que l’état d’une personne placée à l’isolement ou en contention, qui peut être notamment lié à une crise, à de l’excitation ou de l’agressivité (contre soi-même ou autrui) pourra éventuellement justifier un décalage dans cette notification.

Absence d’assistance par un avocat

La seconde QPC (Cass. 1re civ., 26 janv. 2023, n° 22-40.021 QPC), intervenant elle aussi sur le registre des droits de la défense, porte sur la mise en œuvre de ces derniers devant le JLD lors de son contrôle obligatoire de l’isolement et de la contention à l’échéance des délais prévus par la loi : « Le II de l'article L. 3222-5-1 du code de la santé publique est-il contraire à la Constitution en ce qu'il porte atteinte aux principes du respect des droits de la défense qui découle de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et au respect de la liberté individuelle que l'article 66 de la Constitution place sous la protection de l'autorité judiciaire, en ne prévoyant pas l'intervention systématique d'un avocat au côté du patient lors du contrôle des mesures d'isolement et de contention ? ».

A nouveau, la Cour de cassation juge cette question sérieuse et devant être transmise au Conseil constitutionnel, considérant qu’en « ce qu'il ne prévoit pas l'assistance ou la représentation systématique du patient par un avocat lorsque le juge des libertés et de la détention, saisi d'une demande de mainlevée ou de prolongation de la mesure d'isolement ou de contention ou se saisissant d'office, statue sans audience selon une procédure écrite, l'article L. 3222-5-1 du code de la santé publique est susceptible de porter atteinte au principe des droits de la défense garantis par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. »

A nouveau la question est pertinente. On sait, en effet, que l’intervention de l’avocat est un droit fondamental de la procédure dès lors qu’une privation de liberté est en jeu. Le législateur a renforcé ce droit à l’avocat dans un principe d’assistance obligatoire par l’avocat pour les contentieux impliquant des personnes particulièrement vulnérables. Ainsi en est-il en matière de mise en cause de la responsabilité pénale d’une personne soumise à une mesure de protection qui, comme le prévoit l’article 706-116 du code de procédure pénale, « doit être assistée par un avocat » durant la procédure. De même, en matière de soins psychiatriques, la personne, dont on part du postulat qu’elle est atteinte de troubles mentaux, doit impérativement être assistée et/ou représentée par un avocat durant la procédure de contrôle de légalité de la mesure de soins (art. L. 3211-12-2). On ne comprend donc pas pourquoi il n’en irait pas de même pour la procédure de contrôle de légalité de la mise à l’isolement ou en contention.

Mathias Couturier, Maître de conférences à l'université de Caen
Vous aimerez aussi

Nos engagements