Crise du Covid-19 : les difficultés rencontrées par les experts-comptables (2°)

28.04.2020

Gestion d'entreprise

Dans le contexte actuel, les cabinets doivent s’adapter pour garder le contact avec leurs clients mais également maintenir une dynamique de groupe en interne. Voici le second volet de notre série.

La communication à distance, pas si facile. En cette période de confinement (depuis le 17 mars), les cabinets sont contraints de revoir leur mode d’organisation. Non sans mal. "Le travail sans contact n'est pas du tout dans l'ADN de nos cabinets et TPE françaises", estime Cyril Degrilart, dirigeant d’une petite structure de 4 personnes.

"C’est plus compliqué pour percevoir les réactions des clients" 

La relation client doit pourtant évoluer. Pour les discussions de bilan, le cabinet SFA en Alsace utilise la visioconférence avec un power point partagé avec le client. Résultat mitigé. "C’est plus compliqué pour percevoir les réactions des clients et il faut faire preuve d’adaptation pour ajouter à notre discours le dialogue non verbal que l’on a de façon privilégiée chaque année lors de la discussion de bilan en présentiel", explique Yves Lachat, expert-comptable et commissaire aux comptes associé. 

La transmission des pièces (comptables…) peut aussi s’avérer épineuse. Même si la plupart des cabinets sont organisés autour de la gestion électronique des documents, certaines entreprises avaient l’habitude de venir déposer leurs pièces directement au cabinet. "Il faut apprendre à distance aux clients à scanner les documents ou organiser la transmission de pièces différemment", admet Yves Lachat. 

Certains échanges, jusque-là impossibles à distance, sont en train de se débloquer. Par exemple, les cabinets sont autorisés, exceptionnellement, à déposer par courriel des actes de sociétés auprès des services de l’enregistrement. En effet, "durant le confinement, recueillir les signatures nécessaires pour procéder à la formalité de l’enregistrement de certains actes et respecter les délais est très difficile…", justifie le Conseil supérieur de l’ordre des experts-comptables qui avait demandé cette dérogation. Cette mesure est applicable pendant toute la période d'urgence sanitaire. Le syndicat ECF demande quant à lui de "rendre accessible gratuitement à toutes et tous les professionnels un service de signature électronique du 17 mars au 15 juillet 2020".

La visioconférence pour garder l’appartenance à un groupe

En interne aussi, les cabinets ont dû s’adapter. Beaucoup ont mis en place le télétravail pour leurs équipes. "Chaque collaborateur a son PC portable connecté à notre serveur interne avec un accès à tous nos outils de production mais avec un grand regret pour la plupart, l’absence de double écran", relève Ivan Tocchio, dirigeant des cabinets Expert&conseil et Expert&audit (10 personnes) à Saint-Rémy-de-Provence dans les Bouches-du-Rhône. Yves Lachat, qui s'occupe d'un bureau de 6 personnes, déplore des problèmes techniques du réseau internet personnel de certains salariés, qui ralentissent l’activité.

Là encore, la communication entre les collaborateurs évolue. "Il convient de bien choisir notre mode de communication", prévient Yves Lachat. Le mail est utilisé pour les questions factuelles simples et le téléphone ou la visioconférence pour les choses compliquées, résume-t-il. Cependant, "la visio reste importante chaque semaine pour faire le point avec l’équipe car le fait de se voir conforte notre appartenance à un groupe". Rester soudés est également primordial pour Ivan Tocchio. "Nous avons créé un groupe WhatsApp du cabinet pour partager en temps réel toutes les infos utiles et/ou galères des uns et des autres. Cela permet de conserver un lien étroit entre chaque membre du cabinet". Les échanges permettent aussi de décompresser durant cette période stressante. "Il n’est pas rare que nous y partagions aussi certaines vidéos de confinement aussi humoristiques qu’absurdes, souvent très drôles", rapporte Ivan Tocchio. 

Garder le rythme durant cette période n’est pas chose facile. Tous les matins, Cyril Degrilart fait un point avec ses collaborateurs en visioconférence "pour maintenir notre dynamique habituelle". "On se répartit les tâches, on réaffecte les binômes. Le travail en équipe est conservé", souligne-t-il. Les cabinets en télétravail essaient tant que possible de conserver des tranches horaires de disponibilités (téléphone, mails..) identiques à celles des horaires d’ouvertures classiques de leur(s) bureau(x). Cependant, certains collaborateurs ont - du fait de la fermeture des écoles - "des contraintes personnelles à gérer à la maison (enfants, devoir, …) et adoptent un rythme parfois décalé pour traiter leur travaux", indique Ivan Tocchio. Qui ajoute que l’essentiel est d’atteindre les objectifs fixés.

Une atmosphère de "fin du monde"

Dans ce contexte de travail à distance, le professionnel peut parfois se sentir isolé. "Quelque fois nous nous sentons seuls lorsque le client exprime sa problématique. On perd la proximité du bureau. Il ne faut pas hésiter à se tourner vers le groupe (les autres collaborateurs) pour échanger", déclare Yves Lachat. Ivan Tocchio, lui, se rend tous les jours au cabinet - à 500m de chez lui - pour travailler. "Les bureaux sont vides, je me sens parfois un peu seul dans cette atmosphère de «fin du monde»", confie-t-il. Le dirigeant a même pensé faire revenir ses collaborateurs au bureau mi-avril. "J’ai voulu faire un déconfinement anticipé, mais c’était surtout pour me rassurer moi-même", admet-il. Ivan Tocchio se dit "angoissé" sur la capacité de son équipe à "se remettre en route" et à revenir à une production classique. "Nos bureaux sont individualisés, c’était jouable". Sauf que tous ses collaborateurs ont exprimé un sentiment d’inquiétude générale sur la sécurisation de leurs conditions de travail. Le cabinet reste donc en télétravail jusqu’au 11 mai et planche sur la mise à jour du document unique pour préparer le déconfinement. 

Conscients des impacts psychologiques non négligeables de cette crise, certains cabinets se sont organisés. In Extenso a mis en place, fin mars, une cellule de soutien psychologique "pour anticiper le stress et l'anxiété" de ses associés et collaborateurs. Malgré les difficultés, Ivan Tocchio se montre toutefois optimiste : "comme tout bon entrepreneur, je vais essayer de transformer cette difficulté en opportunité pour l’avenir et pourquoi ne pas se réinventer un peu au passage…". Car des leçons peuvent être tirées de cette crise. Travailler à distance est même pour certains cabinets une méthode à pérenniser, ou du moins à développer, lorsque l'activité reprendra son cours. In Extenso indique réfléchir à l’organisation de ses collaborateurs en télétravail et à une digitalisation renforcée de sa relation client. Les contraintes liées à la crise actuelle vont-elles enfin accélérer la transition numérique de la profession du chiffre ?

 

Retrouvez également ici le premier volet cette série.

Céline Chapuis

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