CSE : état des lieux et propositions pour aller mieux !

CSE : état des lieux et propositions pour aller mieux !

15.04.2019

Représentants du personnel

Les premiers retours d'expérience de la part des membres des CSE et de leurs experts montrent que le dialogue social ne se trouve pas amélioré dans les entreprises par l'instance unique, c'est le moins qu'on puisse dire. Quatre acteurs du secteur (groupe UP, réseau Cezam, cabinets d'expertise Syndex et Technologia) formulent conseils et propositions pour corriger la situation.

"Passer en CSE, c'est jouer à la roulette russe avec six balles !" Cette remarque d'un élu donne bien la tonalité, guère riante, des échanges entre représentants du personnel, consultants, prestataires et experts au sujet des premiers pas du comité social et économique, lors du colloque organisé le jeudi 11 avril, dans les locaux du quotidien Le Monde à Paris, sur le thème "Quel CSE pour demain ?" (*). Du reste, les dessins croqués en direct par Guf (**) ont bien saisi cette ambiance, comme on le voit ci-dessous :

Guf / www.visual2explain.com

Le CSE, c'est "beaucoup d'espoir déçu", a résumé Catherine Allemand, du cabinet Syndex, en évoquant les résultats du baromètre Ifop sur le sujet, qui confortent les premiers travaux du comité d'évaluation des ordonnances Travail. Faute d'une véritable négociation et de moyens suffisants, l'unification des instances de représentation du personnel se traduit en effet très souvent par une centralisation accrue du dialogue social, qui rend plus difficile la proximité des élus avec le personnel. Les membres des CSE n'ont pas d'autre choix que se professionnaliser, et pour Angeline Barth, secrétaire nationale de la CGT spectacle, c'est bien là le problème : "Professionnaliser les représentants du personnel, c'est aussi les éloigner du terrain et des salariés, c'est les couper de toute base revendicative".

 Les ordonnances renvoient chez eux 300 000 élus CHSCT qui faisaient chaque jour un travail de prévention

 

Jean-Claude Delgènes, fondateur du cabinet Technologia, en a donné une illustration : "Pour toute l'usine atomique de la Hague, dans la Manche, qui est immense et où les salariés font chaque jour de l'ordre de 6 kilomètres, il ne reste plus que 9 élus, contre 34 auparavant". Et l'expert de prédire un réveil difficile pour les entreprises qui auront ainsi donné la priorité à la réduction des coûts de la représentation du personnel : "Les ordonnances renvoient chez eux 300 000 élus CHSCT qui faisaient chaque jour un travail de terrain en contribuant à ce que les problèmes de santé au travail ne dégénèrent pas. Et nous savons qu'il ne faut pas plus d'un à deux ans pour observer les effets d'une moindre vigilance sur la prévention de la santé au travail. Je m'attends donc à une prochaine remontée des accidents du travail, et même de la mortalité, en entreprise".

Chez nous, des premiers cas de burn-out apparaissent dans les RH

 

Le CSE représente-t-il donc "un recul majeur", selon les mots de Jean-Paul Vouiller, DSC CFTC chez HP, qui passera à l'instance unique en novembre mais qui entend déjà des élus d'autres entreprises se plaindre de réunions interminables ? Réponse abrupte de Boris Mazocut, trésorier du CSE de Framatome (12 établissements et 9 000 salariés en France) : "Chez nous, l'ambiance de travail se détériore fortement. Il faut le dire, le CSE, c'est un gros foutoir !"

Les problèmes sont vécus tant du côté des élus, avec une équation difficile à remplir ("Nous sommes 21 autour de la table, avec de très nombreux nouveaux, et il est clair qu'il faut d'abord passer par la case formation", observe Boris Mazocut) que du côté des équipes RH, confrontées à un outil ingérable : "Chez nous, les premiers cas de burn out apparaissent au sein des RH, qui sont entre le marteau et l'enclume ! Cela montre que la seule logique "je serre les coûts" est mortifère, et que l'employeur va essuyer les pots cassés", assure cet élu CFDT.

A trop jouer le court terme, les directions prennent un risque du type gilets jaunes

 

Et ce n'est pas le témoignage de l'élue sans étiquette de Servier qui aura rassuré les représentants du personnel présents. "Nous avons cherché à conserver de la proximité, a dit Sylvie Descombes, et nous avons obtenu d'être 4 membres, au lieu de 3, pour la commission SSCT".  Quatre membres pour deux sites d'activités comportant des risques chimiques et technologiques ? "Mais ce n'est rien !", a soufflé entre ses dents un délégué syndical présent dans la salle. Chez Steria groupe, la déléguée syndicale CFDT Donatalla Coraggio espère quand même mieux pour représenter les 11 000 salariés répartis sur 50 sites en France :  "Au début, nous visions comme objectif un nombre de représentants de proximité au moins égal à celui des délégués du personnel, et nous voulons au moins 22 CSSCT. Nous avons encore deux réunions de négociation, mais c'est loin d'être gagné, et nous allons peut-être perdre la moitié du nombre d'élus actuel".

Florence Dodin, secrétaire générale adjointe de l'UNSA, souligne elle-aussi le danger de la situation : "Les représentants du personnel sont aussi un rempart entre les salariés et la direction. A trop jouer le court-terme, les directions risquent de se retrouver avec des gilets jaunes à l'intérieur des entreprises".

 

Quelques conseils...

►  Référez-vous aux accords déjà signés dans d'autres entreprises, et contactez les négociateurs pour préparer vos discussions, suggère Eric Froment, DS CGT de Gallimard (500 salariés et 12 élus au CSE). [Ndlr : ces accords CSE se trouvent sur Legifrance. Voir aussi nos articles sur ce sujet, et notamment ceux sur les clauses illégales].

► Pour les représentants de proximité, tentez d'en négocier dans l'accord sur le CSE en vous donnant la possibilité de les repositionner après les élections, afin qu'ils soient présents dans des sites où il n'y aura pas d'élus, conseille Catherine Allemand. 

 

Plutôt sombre, donc, ce panorama. Faut-il pour autant baisser les bras ? "Pas du tout, nous sommes moins de 300 salariés mais nous avons obtenu une commission CCST. Il faut dire que chez nous, 20% des salariés sont syndiqués. Cela nous donne du poids", affirme Noureddine El Mezdari, élu du personnel à Angers et président du réseau national Cezam. Pour Jean-Paul Vouiller, non plus, "pas question d'être défaitiste". Le DSC CFTC de HP estime nombreux les défis à relever : "Il faut saisir chaque occasion de desserrer l'étau des ordonnances, que ce soit par la voie d'amendements législatifs ou par la jurisprudence". Jurisprudence ? "On peut imaginer l'emporter si des contentieux sont formés par des CSE qui n'ont pas, en début d'année par exemple, les moyens de prendre en charge une expertise", soutient Nicolas Villard, du cabinet Technologia Expertises. Amendements ? On ne peut pas exclure que l'actuelle majorité prenne conscience des risques liés à une absence de dialogue social dans les entreprises et se décide à réviser ces textes, estiment certains experts et syndicalistes. Et si ce n'est pas cette majorité, ce sera peut être la suivante...

 

Des députés vont mener des auditions sur le CSE

Les députés, avec Laurent Pietraszewski (LREM) et Boris Vallaud (PS) comme rapporteurs, doivent prochainement conduire des auditions sur le thème de "la mise en application" de la loi du 29 mars 2018 qui a ratifié les ordonnances réformant le code du travail. Trois thèmes de travail ont été retenus : les nouvelles modalités de la négociation collective (négociation et instances du dialogue social, donc le CSE), les nouveaux objets de la négociation collective (accords de branche sur le recours au CDD, télétravail, compte de prévention) et enfin la sécurisation des relations de travail (barème prud'homal, périmètre du licenciement économique, accords rupture conventionnelle collective, etc.).

 

Quoi qu'il en soit, François Hommeril, le président de la CFE-CGC, veut croire  que les choses ne resteront pas en l'état :  "Ne tournons pas autour du pot. La fusion des IRP avait bien pour but la disparition du CHSCT (..) Mais je crois qu'on reviendra sur certaines choses, par simple pragmatisme, face aux problèmes, notamment de souffrance au travail, qui ne peuvent que s'amplifier".

 Je crois qu'on reviendra sur certaines dispositions, par simple pragmatisme

Et François Hommeril de défendre un autre modèle dans lequel, grâce à une représentation des salariés beaucoup plus forte dans les conseils d'administrations que ne le prévoit la loi Pacte, "les entreprises prendraient enfin des décisions tenant compte des intérêts de toutes les parties prenantes, à commencer par les salariés, et non pas des intérêts des seuls actionnaires".  Phiippe Portier, chargé des IRP à la CFDT, table pour sa part sur un changement futur du cadre légal : "Avec le CSE et une instance qui donne son avis, on est quand même restés très "ancien monde". Nous plaidons pour un avis conforme de l'instance sur de très nombreuses matières. Si nous l'obtenons un jour, vous verrez que nous aurons des documents de qualité et des moyens suffisants".

Restez actifs et combatifs, c'est aussi le message délivré par Nicolas Villard, du cabinet Technologia Expertises, qui a livré plusieurs conseils aux élus (lire en encadré).

Des réunions interminables, ça finit même par devenir un levier de négociation !

N'oublions pas, a-t-il dit, que les instances qui n'ont pas de budget, qui n'osent pas en réclamer ni prendre leurs heures de délégation, ça existait avant le CSE ! Et ce dernier d'ajouter que le CSE aura au moins pour vertu d'inciter les élus autrefois spécialisés (économie, conditions de travail, ASC) à se parler et à travailler ensemble.

Et même quand la situation paraît inextricable, tout n'est peut-être pas perdu, comme l'a souligné cette élue : "Notre deuxième réunion du CSE a duré 4 jours, c'est grotesque. Mais comme nous avons un patron retors, nous devenons aussi retors. Et la durée des réunions devient un levier pour négocier des changements et des moyens".

 

Quelques conseils...

► Préparez votre négociation sur les moyens de l'instance, conseille Nicolas Villard, "en faisant l'inventaire du temps passé pour préparer les réunions DP, CHSCT et CE, du temps passé pour gérer les activités sociales et culturelles (ASC), et aussi du temps passé pour faire un travail qui sert à la DRH, comme la remontée des problèmes";

► Pendant la négociation, voire quand l'instance est mise sur pied dans des conditions défavorables, conseille Nicolas Villard, n'hésitez pas à montrer noir sur blanc que l'exercice de l'ordre du jour du CSE est impossible : "Inscrivez tous les points à l'ordre du jour en évaluant dans une colonne le temps qu'il faut pour les traiter, et présentez le document à l'employeur, voire aux salariés pour leur dire : regardez ce qu'on veut nous faire faire, c'est matériellement impossible !" 

► S'il n'est guère possible de négocier un bon accord, dit encore l'expert, faites-le savoir aux salariés, communiquez, prenez-les à témoin, même si cela ne paraît pas simple a priori de les mobiliser sur les enjeux de la représentation du personnel.

 

Comment donc améliorer la situation du CSE et la qualité de travail de ses membres ? Olivier Laviolette, de Syndex, souhaiterait qu'une consultation ne démarre pas dès lors qu'un document est mis à disposition dans la BDES (base de données économiques et sociales), mais que cette remise fasse l'objet d'une première réunion d'échange, et que les délais de réalisation d'expertise, beaucoup trop serrés à ses yeux, soient allongés (lire ci-dessous). Attention aussi, dit-il aux élus et délégués, à ne pas sacrifier dans la négociation pour le passage au CSE la périodicité annuelle des grandes consultations, comme on le voit parfois. Celle sur les orientations stratégiques permet au CSE d'avoir un échange annuel avec le conseil d'administration de l'entreprise : pas négligeable dans une période où les changements de technologies et d'organisations vont de plus en plus vite. Celle sur la politique sociale peut être un levier sur les conditions de travail, souligne Catherine Allemand : "C'est une opportunité pour procéder à une évaluation de la politique de prévention de la santé au travail".

 Saisissez-vous de la consultation sur la politique sociale pour faire chaque année une évaluation de la prévention de la santé au travail

 

 

Comme l'a dit Nicolas Villard, cette consultation sociale offre un champ nouveau à explorer, qu'on n'a pas toujours perçu lorsqu'elle a été instaurée par la loi Rebsamen en 2015 : "En matière de conditions de travail, la consultation annuelle sur la politique sociale vous ouvre une possibilité d'analyse et d'investigation dont vous avez intérêt à vous saisir, afin de mettre sur la table chaque année la question des conditions de travail, sans attendre une expertise en cas de danger grave ou de projet important".

En conclusion, nul ne peut dire quelle influence aura cette initiative d'expression publique des préoccupations des représentants du personnel et de leurs experts, qui survient après celle du cercle Maurice Cohen. Elle participe en tout cas de la volonté de tenter de rééquilibrer, à la faveur de l'expérience que font les entreprises de l'appication des textes des ordonnances, ces textes qui ont inauguré le quinquennat Macron. Mais, comme l'a souligné Roxane Idoudi, de FO, le temps presse : "Dans 12 ans, avec le non-renouvellement au bout de 3 mandats, on court à la catastrophe".

(*) Colloque organisé par le groupe UP, les cabinets d'expertise Syndex et Technologia et le réseau inter-CE Cezam.

(**) Voir le site du dessinateur :  www.visual2explain.com

► Nous consacrerons demain un autre article à la question des activités sociales et culturelles, qui a donné lieu à des échanges intéressants lors de ce colloque.

 

Les propositions de Up, Syndex, Cezam et Technologia
pour améliorer le CSE
Garantir la prévention de la santé et la sécurité au travail
  •   Réintégrer dans le code du travail, au sein des attributions du CSE, la mission de contribuer à la prévention et à la protection de la santé physique et mentale de la sécurité des travailleurs

 

  • Supprimer la participation de 20% du CSE en cas d'expertise concernant un projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, et concernant l'analyse des orientations stratégiques

 

  • Renforcer le statut des représentants de proximité et le rôle des membres de la commission SSCT notamment pour les temps d'enquête et d'inspection
Garantir le rôle du comité socail et économique par l'émergence de nouvelles pratiques
  • Renforcer les droits à la formation des élus, en proposant des dispositifs activables chaque année tout au long de leur mandat

 

  • Rétablir une réunion de l'instance lors de chaque démarrage d'une consultation récurrente et des délais plus importants pour les consultations (passer de 2 à 3 mois a minima) afin de permettre aux élus de mieux traiter les sujets

 

  • Pour les entreprises multi-établissements, favoriser les représentations au niveau local en réfléchissant à l'articulation entre les différents niveaux (CSE central, CSE d'établissement, commission SSCT, représentants de proximité)

 

  • Renforcer les prérogatives des CSE d'établissement en matière d'information-consultation notamment sur la politique sociale, pour renforcer la proximité avec les salariés

 

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Bernard Domergue
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