Eclaircie des parcelles forestières soumises au droit de préférence du voisin

12.07.2016

Gestion d'entreprise

Parcelles vendues au mépris du droit de préférence du voisin, la vente est nulle.

L��application des dispositifs de préférence et de préemption en forêt n’est que peu éclairée par la parole des tribunaux. Cette sensation de manque révèle un paradoxe : les textes souffrent d’imprécisions qui les rendent difficiles à mettre en œuvre. Pourtant, peu de contentieux naît de ces écueils. Une décision de la cour d’appel de Paris du 15 avril 2016 clarifie le régime du droit de préférence.
La vente de diverses parcelles cadastrées en bois est régularisée le 19 novembre 2011 au mépris du droit de préférence des voisins. L’un d’eux, propriétaire de 2 parcelles boisées contiguës assigne vendeurs et acquéreurs devant le tribunal de grande instance sur le fondement de l’ancien article L 514-1 du code forestier, mais les juges le déboutent de toutes ses demandes. Il interjette appel de cette décision. La cour accueille ses arguments tout en nous apportant d’utiles précisions sur le fond.
Classement en bois et for��t au cadastre

En premier lieu, alors que le dispositif du droit de préférence fait du classement cadastral en « bois et forêt » le critère pour soumettre les parcelles vendues à son régime, les praticiens du droit s’interrogent encore sur les subdivisions fiscales qui entrent dans cette classification. La cour d’appel apporte la réponse à cette question en ramenant le critère cadastral à sa plus simple et objective définition : « le droit de préférence concerne tous les biens vendus d’une superficie inférieure à 4 hectares, relevant du groupe 5 (bois et forêts) de la matrice cadastrale (…), cette catégorie (étant) elle-même subdivisée en 8 sous-groupes désignés par un code commençant par la lettre B ».

Les huit subdivisions fiscales du groupe 5 (bois et forêt) sont B (Bois), BF (Futaies Feuillues), BM (Futaies Mixtes), BO (Oseraies), BP (Peupleraies), BR (Futaies résineuses), BS (Taillis sous Futaies), et BT (Taillis simples). Il en résulte que des parcelles vendues ainsi cadastrées sont mécaniquement soumises au droit de préférence du voisin, si le cumul de leur surface est inférieur à 4 hectares. A contrario, échappe au dispositif la catégorie intermédiaire que constituent les landes boisées (LB). A la frontière entre la lande et le bois, puisque définie comme de la lande ayant suffisamment évolué vers de l’état boisé pour que le cadastre classe la parcelle concernée dans cette catégorie médiane, le doute quant à la soumission de ce sous-groupe au dispositif de préférence était permis. La présente décision nous confirme qu’il ne s’applique pas à cette subdivision qui appartient au groupe 6 (landes, pâtis, bruyères, marais, terres vaines et vagues) et « ne commence pas par la lettre B ».

Les magistrats ont été amenés à se prononcer sur la nature « boisée » des parcelles contiguës détenues par l’appelant. A défaut de renvoi au cadastre opéré par le texte, le bénéfice du droit de préférence du voisin repose sur la nature réelle « boisée » de la parcelle contiguë qu’il possède. Aussi, au moyen invoqué qui tentait inutilement de contester la qualification de « boisée » aux parcelles de taillis contiguës à celles vendues, la cour d’appel répond que le cadastre lui-même classe le taillis dans le groupe 5, lequel est identifié par un code précédé « de la lettre B ». Le taillis est définitivement du bois.

Conséquence du non-respect du droit de préférence

En second lieu, la cour d’appel fait une application stricte du texte sanctionnant la vente passée en méconnaissance du droit de préférence (anc. c. for., art. L 514-2 ; c. for., art. L 331-20). Si la nullité s’impose, elle s’opère sans substitution des voisins au mépris desquels l’acte a été passé, à défaut d’avoir été expressément prévue par le législateur (confirmation CA Orléans, 25 mars 2013,  12/01615). Cette solution est conforme à l’esprit du dispositif qui ne privilégie aucun des voisins en cas de candidatures « amiables » concurrentes. Le choix de l’acquéreur final appartient au vendeur qui a toute liberté pour retenir celui qu’il préfère (c. for., art. L 331-19 al. 4, « lorsque plusieurs propriétaires de parcelles contiguës exercent leur droit de préférence, le vendeur choisit librement celui auquel il souhaite céder son bien. »). Aller au-delà de la sanction prévue par le texte, en assortissant la nullité qu’il prévoit d’une substitution au profit du voisin demandeur au procès, aurait été à l’encontre de cette prérogative. Il paraît néanmoins évident que, si le vendeur choisit de remettre son bien en vente suite au prononcé judiciaire de la nullité, les chances qu’il retienne la candidature de son voisin procédurier en cas de concurrence seront bien minces, pour ne pas dire définitivement compromises… L’application stricte de ce régime de sanction risque donc de décourager les propriétaires contigus évincés d’intenter une action en nullité de la vente, coûteuse et ne leur ouvrant aucune possibilité d’appréhender les parcelles convoitées. Il n’en demeure pas moins que, même consentie au profit de l’un des autres voisins, la cession du bien remis en vente respectera l’objectif de restructuration poursuivi par le législateur.

Remarque : les modifications rédactionnelles survenues au fil des lois n’ayant pas entamé la référence au cadastre, cette solution prise sur le fondement de l’ancien texte ( anc. c. for., art. L 514-1) est transposable au texte actuel fondant le droit de préférence du voisin (C. for., art.  L 331-19), mais aussi aux nouveaux dispositifs créés par la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 en faveur de la commune et de l’Etat, assis sur la même règle (C. for., art. L 331-22 , L 331-23 et L 331-24). 

 

 

Stéphanie De Los Angeles, Rédactrice d'actes à la SAFER Aquitaine Atlantique

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