Élections TPE : le tribunal  autorise la candidature des Gilets jaunes dans un jugement à la motivation déroutante

Élections TPE : le tribunal autorise la candidature des Gilets jaunes dans un jugement à la motivation déroutante

17.10.2024

Représentants du personnel

Le Tribunal judiciaire de Paris a rendu son jugement dans l'affaire opposant les cinq confédérations représentatives et l'Unsa à l'Union des syndicats Gilets jaunes. Les juges autorisent cette dernière à se porter candidate aux élections TPE. Les motivations de ce jugement sont cependant troublantes, le Tribunal exigeant des confédérations de rapporter la preuve d'un fait négatif. Explications.

La série judiciaire Gilets jaunes contre syndicats entre dans une nouvelle saison inédite. Après un premier jugement du Tribunal judiciaire de Paris rendu le 24 mai 2024 (lire notre article) puis un arrêt de cassation du 12 juillet renvoyant au même Tribunal autrement composé (lire notre article), ce dernier a rendu son jugement le 14 octobre. Conformément à ce qu'avait requis la Cour de cassation, il y approfondit ses vérifications afin de déterminer si l'Union des syndicats Gilets jaunes (USGJ) peut prétendre à la qualification d'union syndicale. Il rejette les demandes des confédérations CFDT, CGT, FO, CFE-CGC, CFTC et de l'Unsa, reconnaît la qualité syndicale à l'USGJ ainsi que le droit de se porter candidate aux élections TPE. Les motivations des juges apparaissent cependant déroutantes à plusieurs égards. Ils demandent notamment aux parties requérantes de rapporter la preuve du caractère fictif des syndicats affiliés à l'USGJ. Or, une telle preuve est impossible…

Seul un fait positif peut être prouvé

L'un des points clés de ce dossier à tiroirs consiste à déterminer si l'USGJ peut juridiquement prétendre à la qualification d'union syndicale. A l'appui de leurs demandes, les confédérations et l'Unsa font valoir entre autres qu'aucun syndicat primaire ne préexistait avant la création de l'Union, les statuts de ces syndicats versés aux débats lui étant tous postérieurs. Ils arguent également d'un défaut de comptabilité annuelle régulièrement publiée, de l'absence d'adhérents et de paiement de cotisations.

Si le juge du tribunal judiciaire reconnaît qu'en effet "les unions de syndicats sont composées d'au moins deux syndicats", il admet également, arrêts de cassation à l'appui, que "le dépôt de la liste du nom et du siège des syndicats qui composent une union ne constitue pas une formalité dont l'absence prive à elle seule l'union de l'une de ses conditions d'existence". Le juge prend également acte de lettres déposées par l'USGJ en mairie de Toulouse et de Paris et contenant des statuts. 

En revanche, sur l'argument des confédérations tiré d'une fictivité des syndicats Gilets jaunes en raison de leur absence d'activité, de comptes annuels et de cotisations, la réponse du Tribunal semble plus hasardeuse : "C'est à celui qui se prévaut du caractère fictif des syndicats affiliés aux débats d'en rapporter la preuve. Or, il n'est verse aucune pièce a l'appui de ces affirmations et il n'appartient pas à la juridiction de combler une carence de preuve en ordonnant une mesure d'instruction tendant à déterminer le montant des cotisations versées par les syndicats affilies a l'USGJ".

En droit, un principe immuable veut que "celui qui réclame l'allégation d'un fait doit la prouver". L'exigence d'une telle preuve ne peut cependant reposer que sur des faits qui se sont concrètement produits et ont ainsi laissé une trace de leur matérialité. L'absence d'un fait ne peut donc pas être prouvée et c'est pourtant bien ce que le Tribunal judiciaire exige ici des confédérations.

Sur ce point de droit, l'avocat des confédérations dans ce dossier, Zoran Ilic, nous a confié sa perplexité : "On ne peut reprocher à une partie de démontrer l'existence de ce qui n'existe pas". Il ajoute que la CFDT a produit une sommation de communiquer sur l'absence de cotisations et de comptes annuels. Acte de procédure, la sommation de communiquer relève de l'article 11 du code de procédure civile : "Les parties sont tenues d'apporter leur concours aux mesures d'instruction sauf au juge à tirer toute conséquence d'une abstention ou d'un refus. Si une partie détient un élément de preuve, le juge peut, à la requête de l'autre partie, lui enjoindre de le produire, au besoin à peine d'astreinte. Il peut, à la requête de l'une des parties, demander ou ordonner, au besoin sous la même peine, la production de tous documents détenus par des tiers s'il n'existe pas d'empêchement légitime".

Zoran Ilic relève que l'USGJ n'a pas répondu à cette sommation, ce qui constitue selon lui un début de preuve mais par définition, l'avocat et les confédérations ne peuvent obtenir davantage.

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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"Le tribunal ne tire pas les conséquences de ses propres constatations"

Les confédérations et l'Unsa soutiennent à l'appui de leur demande que l'USGJ poursuit une activité politique et n'exerce que très peu d'activité syndicale. Selon l'article L.2131-1 du code du travail, "les syndicats professionnels ont exclusivement pour objet l'étude et la défense des droits ainsi que des intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu'individuels, des personnes mentionnées dans leurs statuts".

Les requérantes pointent par exemple que l'USGJ s'inscrit dans la continuité du mouvement politique des Gilets jaunes, que sa participation aux élections professionnelles concerne seulement onze entreprises, que ses sections syndicales sont en nombre insignifiant, qu'elle ne dispose que de quatorze sièges d'élus dans cinq CSE, que ses négociations d'accords préélectoraux et ses désignations de représentants de sections syndicales sont "particulièrement rares", qu'elle ne justifie pas de négocier des accords collectifs de travail.

De plus, selon les confédérations et l'Unsa, "l’activité de l'USGJ porte quasi exclusivement sur des sujets politiques sans porter de revendications professionnelles" et fournit l'exemple à ce titre de sa volonté de porter la réintégration du personnel soignant et de pompiers ayant refusé de se faire vacciner contre le Covid-19.

La Cour de cassation a indiqué dans son arrêt du 12 juillet 2024 qu'en cas de contestation de la licéité de l'objet d'un syndicat, il appartient au juge de rechercher s'il poursuit dans son action un objectif illicite. Et le Tribunal judiciaire s'y emploie : il constate l'existence de pages Facebook et Internet consacrées aux "orientations de l'Organisation Mondiale de la Santé contraires à l'autodétermination des peuples", à des "conseils à suivre pour fermer son espace de santé sur le site de la Caisse primaire d'assurance maladie", au "procès en diffamation intenté par l'épouse du Président de la République", ou encore aux effets secondaires de la vaccination.

Pourtant, le juge n'en déduit pas que l'USGJ poursuit des motivations politiques. Il indique : "Sur 480 revendications, seulement 28 d'entre elles étaient de nature professionnelle, soit 6 %" et reconnaît que "la dimension politique supplante nettement l'aspect syndical". Pour autant, "cette déclaration de manifestations intervenue à une seule reprise ne peut démontrer que la plateforme revendicative habituelle de l'USGJ aurait une dimension politique". De même, le juge reconnaît la faible implantation de l'USGJ dans les entreprises au niveau national, sa candidature aux élections professionnelles dans seulement "une dizaine d'entreprises".

Il tranche pourtant dans un tout autre sens : "Il doit être retenu que l'USGJ communique de manière privilégiée sur des sujets de nature sanitaire dont les implications sociales dépassent largement la sphère professionnelle, en prenant fermement position contre la politique gouvernementale instaurant des contraintes personnelles et en recommandant au public ainsi qu'aux journalistes des conduites spécifiques. Cette communication, qui s'inscrit plus généralement dans un courant d'idée exprimant une forte préoccupation sur l'existence d'un contrôle de l'information et des consciences, n'est toutefois pas exclusive de sujets touchant à la sphère professionnelle (…) L'activité de l'USGJ est donc conforme à l'objet prévu à l'article L.2131-1 du code du travail".

Pour Zoran Ilic, "le tribunal a une manière d'éluder et de refuser de tirer les conséquences de ses propres constatations. La procédure a été l'occasion d'illustrer le caractère anecdotique des activités syndicales de l'USGJ. Pourtant, rien n'en est déduit".

Un jugement contraire aux positions de la Cour de cassation sur les valeurs républicaines ?

Les confédérations et l'Unsa reprochent également à l'USGJ des positionnements contraires aux valeurs républicaines notamment par "la violence de ses propos et le caractère illicite de ses voies d'action ainsi que son intolérance face aux exigences d'un débat démocratique". L'article L.2122-10-6 du code du travail prévoit en effet que seules peuvent se déclarer candidates aux élections professionnelles les organisations syndicales de salariés "qui satisfont aux critères de respect des valeurs républicaines".

Les parties s'appuient notamment sur une interpellation de députés nommément désignés comme ayant voté la loi sur la gestion de la crise sanitaire. Le Tribunal reconnaît l'existence d'une "lettre ouverte aux députés ayant voté la loi sur la gestion de la crise sanitaire en indiquant " nous n'oublierons pas vos noms ". La référence dans la propagande diffusée à l'occasion de la campagne sur la mesure d'audience a intervenir est également critiquée en ce que l'USGJ annonce qu'à défaut d'aboutissement de la négociation, elle passerait 'en mode gilet jaune avec des actions coups de poing' ".

Si les juges admettent que ces écrits "contiennent une ambiguïté déplaisante sur les intentions de leur auteur, il ne peut être présumé que ce dernier entendait recourir à l'action violente". Une prise de position étonnante car si l'on adopte un raisonnement traditionnel "a contrario", le recours à la violence ne pouvait non plus être exclu. Mais pour les juges, "le grief de complotisme est trop général et diffus pour qu'il puisse caractériser une atteinte aux valeurs républicaines".

Zoran Ilic s'agace encore une fois des motivations du jugement : "L'audience a fait remonter un courrier de l'USGJ dans lequel il menace par écrit d'une campagne de dénigrement sur les réseaux sociaux, ce qui est constitutif d'une infraction pénale. Ce ne sont pas que des paroles, elles vont au-delà de l'insinuation. D'ailleurs, les juges ne contestent pas que les propos sont contraires aux valeurs républicaines mais il les relativise et ils ne sont pas là pour ça". L'avocat ajoute que la Cour de cassation retient que les opinions minoritaires ou non conformistes ne sont pas contraires aux valeurs républicaines : "Encore une fois, comme quand les Gilets jaunes se plaignent d'une institution judiciaire corrompue, on est au-delà d'une opinion minoritaire ou non conformiste. Si ces propos ne sont pas sanctionnés, les Gilets jaunes vont pouvoir considérer que les juges sont corrompus à chaque fois qu'ils rendront une décision défavorable à leur égard".

Sur son site internet, l'USGJ se garde cependant de tout triomphalisme et annnonce sobrement "Le tribunal judiciaire de Paris a tranché : le Syndicat des Gilets jaunes pourra participer aux élections TPE". Rien n'est fait pourtant : plusieurs confédérations pourraient se pourvoir en cassation. Force Ouvrière nous a confirmé son pourvoi. La CFTC a indiqué que le sujet est encore en discussion en intersyndicale. Selon Zoran Ilic, le délai dans lequel la Cour serait amenée à se prononcer serait alors très court, de moins d'un mois. Ainsi, il est encore possible que les dates du scrutin TPE soient maintenues par la Direction générale du travail du 25 novembre au 9 décembre.

Marie-Aude Grimont
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