Gilets jaunes : opportunité ou menace pour les syndicats ?

Gilets jaunes : opportunité ou menace pour les syndicats ?

26.11.2018

Représentants du personnel

Un mouvement social informel, qui se défie des organisations traditionnelles : ainsi apparaissent les gilets jaunes. Mais qui sont-ils et que représentent-ils ? Pour le consultant Denis Maillard, ils incarnent "le premier conflit social de la société de marché" caractérisée par l'évitement du conflit et l'individualisation des relations sociales.

Des citoyens qui dénoncent le coût et la taxation des carburants, disent leur colère devant leur pouvoir d'achat insuffisant, et qui apostrophent le pouvoir exécutif en improvisant des barrages routiers grâce, notamment, aux réseaux sociaux et aux réseaux inter-personnels : le mouvement des "gilets jaunes" prend de court le gouvernement mais aussi le monde syndical. Si l'on met de côté quelques exceptions comme la fédération FO transport-logistique qui a appelé ses adhérents à rejoindre les gilets jaunes, les organisations syndicales restent à distance.

L'offre de la CFDT au gouvernement

La CFDT cherche à persuader le gouvernement et le président que la sortie de la crise passe par le dialogue avec les partenaires sociaux, et donc par la réhabilitation du rôle national de porte-parole des salariés incarné par les syndicats, un rôle national que le président de la République, depuis son élection, a contribué à affaiblir. Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT, fait le pari "d'un pacte social de la conversion écologique". Peut-être Emmanuel Macron, qui doit s'exprimer demain sur le sujet, saisira-t-il cette opportunité, d'autant que sa majorité l'y incite (voir l'article du Monde), mais le Premier ministre a d'abord sèchement évacué la proposition de la CFDT en se bornant à rappeler les mesures prises pour les ménages modestes.

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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La CGT rapproche ses revendications de celles des gilets jaunes

FO, qui vient de se choisir un nouveau secrétaire général avec Yves Veyrier, estime que les gilets jaunes sont nés en quelque sorte du vide politique créé par l'effondrement des partis politiques traditionnels de gouvernement, supplantés par des mouvements plébiscitaires, comme La République En Marche. Des mouvements qui génèrent aussi, en retour, des mouvements sociaux eux-mêmes informels. Yves Veyrier a pour l'heure rappelé que le pouvoir d'achat passe aussi par les revendications salariales dans chaque entreprise, ce qui revient à déplacer dans le cadre des négociations salariales classiques d'entreprise la question soulevée par les gilets jaunes. Sauf que rien ne montre que les salariés seraient soudainement prêts à déclencher une série de grèves pour appuyer leurs négociateurs de NAO...

Sur ce point, la CGT va plus loin en appelant les salariés à une journée de manifestation et de grève le 1er décembre, les revendications portant sur un Smic à 1 800€, la prise en charge des transports par les employeurs, une TVA à 5,5% pour les produits de première nécessité comme le gaz et l'électricité ou encore une fiscalité plus juste, un mot d'ordre qui fait écho aux demandes des gilets jaunes. "75% des Français partagent la colère (ndlr : des gilets jaunes) et les syndiqués CGT en font forcément partie. Nous n'appelons pas à rejoindre le mouvement mais à lui donner du sens en nous mobilisant pour le pouvoir d'achat le 1er décembre", a expliqué Fabrice Angéi, secrétaire confédéral CGT, à l'AFP. De fait, les témoignages de gilets jaunes recueillis par certains journaux, comme ObjectifGard, montrent la présence de syndiqués CGT sur les barrages. Une présence qui peut paraître paradoxale, les gilets jaunes se défiant des appareils syndicaux. Sur le réseau Linkedin, un psychologue de travail raconte être allé discuter avec des gilets jaunes sur deux barrages lyonnais. Il témoigne d'une défiance de ceux-ci à l'égard des corps intermédiaires, "un rejet massif et à mes yeux un peu irrationnel", ce professionnel du monde du travail se disant inquiet sur la capacité des personnes mobilisées "à donner à une structure républicaine le mandat de négocier".

Un conflit symbolique de notre nouvelle société de marché ?

Cette inquiétude, Denis Maillard, qui a fondé la société de conseil en relations sociales Temps commun, semble la partager, bien qu'il salue également "la revanche du symbolique" que représente à ses yeux le mouvement des gilets jaunes. Sur le site de réflexion Laurorethinktank, ce spécialiste du monde social écrit en effet que la journée du 17 novembre des gilets jaunes restera comme "le premier conflit d'envergure de cette société de marché" et que cela lui donne "ce visage si particulier à cheval entre un mouvement de citoyens, de consommateurs, de contribuables et de travailleurs". Qu'est-ce que cette société de marché ? Elle se caractérise, écrit Denis Maillard, "par un effacement du conflit social organisé où la négociation était première parce que le conflit avait ses vertus, était reconnu comme tel et régulé, notamment par la démocratie sociale".

A la place de cette société de conflit organisé, nous aurions désormais "une société beaucoup plus fluide" qui s'affirme "à travers l'évitement du conflit, l'individualisation des relations sociales et la prééminence de l'intermédiation, c'est-à-dire un soutien direct à des entités individuelles qui se débrouillent seules".  Le problème est que cette société de marché, dit Denis Maillard, rend aussi invisibles "les travailleurs de l'arrière", qui se sentent peu considérés : ce sont les ouvriers, artisans, auto-entrepreneurs, livreurs mais aussi ambulanciers, aides-soignantes.

Ces travailleurs de l'arrière, comme les appelle Denis Maillard, le quotidien La Croix leur donne la parole dans un reportage très instructif réalisé en Seine-et-Marne.  Certains des gilets qui bloquent les routes sont en plein désarroi : comment, avec un Smic, pouvoir se loger, aller au travail et faire garder ses enfants ? Que faire après avoir vécu sept plans sociaux et fait des années d'intérim ? Comment changer sa voiture diesel qui a 20 ans d'âge, avec quels moyens ? Faut-il se contenter du minimum et ne plus pouvoir gâter ses enfants, alors qu'est tenace le sentiment de certains "qu'avant, on pouvait se permettre des sorties" ? interrogent-ils, en dénonçant la dégradation des services publics. "L'écologie, on a des enfants, on y pense aussi, dit une femme. Mais on ne peut pas demander à des gens qui luttent pour remplir leur caddie chez Lidl de financer la transition écologique".

Développer une démocratie participative ?

Et si, pour les partenaires sociaux, le mouvement des gilets jaunes était le signal d'une reconquête populaire à effectuer ?  C'est, en substance, le message délivré par Patrick Bernasconi, le président du conseil économique, social et environnemental (CSE) dans une tribune publiée par le site acteurspublics : "Notre devoir collectif est non pas de nous replier vers un gouvernement autoritaire, mais au contraire de développer notre arsenal démocratique". Un développement qui passe à ses yeux par "la rénovation des corps intermédiaires et de leur rapport aux citoyens, la prise en compte de l'acceptabilité sociale et sociétale de la réforme et enfin la modernisation de notre démocratie représentative par la mise en place d'une véritable démocratie participative à laquelle doit concourir cette France du quotidien que sont ces dizaines de milliers d'organisations auxquelles participent ceux qui ont manifesté comme ceux qui n'ont pas manifesté".

 

Bernard Domergue
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