Homoparenté : règles applicables aux relations entre un enfant et l’ex-compagne de sa mère biologique

19.04.2022

Droit public

Les règles applicables aux relations entre un enfant et l’ancienne compagne de sa mère biologique répondent aux exigences du droit au respect de la vie privée et familiale.

La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a été saisie de deux requêtes qu’elle a jugé opportun d’examiner ensemble, en raison de leur objet similaire, puisque dans les deux cas, les requérantes se plaignaient de l’impossibilité de faire établir un lien de filiation entre un enfant et l’ancienne compagne de la mère, et invoquaient une violation du droit au respect de leur vie privée et familiale (art. 8 CEDH).
Pour autant, les situations n’étaient pas exactement identiques.

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Deux requêtes, un objet similaire

Dans la première affaire, une femme, vivant en couple avec une autre femme, a donné naissance à un enfant conçu en France grâce à un « donneur amical ». Le couple a élevé l’enfant ensemble pendant 4 ans, avant de se séparer. Mais en dépit de cette séparation, les deux femmes sont convenues de maintenir au profit de la femme qui n’est pas la mère, un droit de visite et d’hébergement, accompagné du versement d’une pension alimentaire. Neuf ans plus tard, la mère biologique a consenti devant notaire à l’adoption plénière et l’ancienne compagne a déposé une requête en ce sens. Les juridictions françaises ont rejeté cette requête. La Cour de cassation dans un arrêt du 28 février 2018, a considéré que les deux femmes n’étant pas mariées, l’adoption plénière mettrait fin au lien de filiation de l’enfant avec sa mère, ce qui serait contraire à l’intérêt de l’enfant, seule l’adoption de l’enfant du conjoint laissant subsister sa filiation d’origine (C. civ., art. 345-1, réd. antérieure issue de la loi n° 2022-219 du 21 février 2022 visant à réformer l'adoption, celle-ci ayant permis de la même façon l’adoption de l’enfant du partenaire ou du concubin). Dans le même temps, les deux femmes avaient également déposé une requête pour obtenir la délivrance d’un acte de notoriété sur le fondement de la possession d’état de l’enfant. Mais n’ayant pas obtenu gain de cause devant les juges du fond, elles ont renoncé à se pourvoir en cassation, la Cour de cassation ayant rendu entre temps son avis n° 17-70039 du 7 mars 2018, dans lequel elle estimait que les dispositions du Titre VII du Livre 1er du code civil et spécialement celles de l’article 320, s’opposaient « à ce que deux filiations maternelles ou deux filiations paternelles soient établies à l’égard d’un même enfant », y compris par la possession d’état. L’enfant a aujourd’hui 20 ans.

Devant la CEDH les requérantes, invoquant les liens affectifs noués entre l’enfant et l’ancienne compagne de la mère, ont réclamé sur le fondement de l’article 8, la « légitimation de cette relation » « et qu’il en soit pris acte par l’établissement d’un lien de filiation ». L’enfant n’ayant pas été conçu par AMP à l’étranger, il ne leur était pas possible de procéder à la reconnaissance conjointe que permet à titre transitoire l’article 6 IV de la loi du 2 août 2021. Le Gouvernement, de son côté, invoquait principalement le droit à une marge d’appréciation, sur des questions de sociétés délicates pour lesquelles il n’existe pas de consensus au niveau européen. Il soulignait en outre que la compagne de la mère et l’enfant ont pu entretenir des relations familiales comparables à celles d’autres familles après une séparation, et qu’elles auraient pu avoir recours à la délégation partage de l’autorité parentale.

Dans la seconde affaire, deux femmes pacsées s’étaient rendues à l’étranger pour bénéficier d’une AMP, à la suite de laquelle l’une d’entre elles donna naissance à un enfant. Deux ans plus tard, la mère saisit le juge d’une demande de délégation partage de l’autorité parentale à laquelle il a été fait droit. De son côté, l’autre femme a également donné naissance à un enfant (dont les circonstances de la conception ne sont pas précisées), pour lequel elle a demandé et obtenu de façon croisée la délégation partage de l’autorité parentale. Deux ans plus tard, le couple se sépare et le pacs est dissous. Les deux femmes organisent néanmoins une résidence alternée, pour que les deux enfants demeurent ensemble en permanence chez l’une ou chez l’autre. Le premier enfant est aujourd’hui âgé de 14 ans, le second de 11 ans. A l’égard du premier enfant, la seconde femme a saisi le juge aux fins de délivrance d’un acte de notoriété constatant la possession d’état. Sa requête a été rejetée par une ordonnance non susceptible de recours (C. civ., art. 317, réd. antérieure issue de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, qui a transféré la compétence au notaire pour la délivrance de cet acte de notoriété). Le juge s’est appuyé également sur l’avis précité émis par la Cour de cassation le 7 mars 2018 et en a déduit que le droit français n’autorisait pas l’établissement par la possession d’état d’un double lien de filiation au profit de deux concubins de même sexe.

L’affaire était donc quelque peu différente de la première, puisque l’enfant dont la situation était en jeu, avait été conçu par AMP réalisée à l’étranger avant la loi du 2 août 2021 et aurait pu faire l’objet d’une reconnaissance conjointe a posteriori dans le cadre du dispositif transitoire mis en place par ce texte. Mais la mère biologique s’y refusait et la reconnaissance conjointe n’était donc pas possible. La question était donc centrée sur l’établissement d’un lien de filiation par la possession d’état. Le Gouvernement pour sa part, a insisté sur la légitimité du dispositif prévu par le droit français, et sur le fait que l’interdiction pour les couples de même sexe d’établir un lien de filiation par possession d’état vise à garantir la sécurité juridique. Il faisait observer en outre que malgré le refus de délivrer un acte de notoriété, l’enfant entretenait des relations suivies avec l’ex compagne de sa mère dans le cadre de la délégation partage de l’autorité parentale et d’une résidence alternée.

Pas de violation de l’article 8

Après avoir rappelé le cadre juridique concernant l’autorité parentale, l’adoption plénière, l’adoption simple, la possession d’état, la Cour consacre un long développement à la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique et à la circulaire du 21 septembre 2021, spécialement aux dispositions transitoires permettant la reconnaissance conjointe par un couple de femmes ayant eu recours à une AMP à l’étranger avant la publication de la loi, en dépit même de leur séparation sous condition qu’elles soient d’accord (la possibilité d’une demande d’adoption en cas de désaccord est évoquée, bien qu’elle ne soit devenue effective qu’avec la loi du 21 fév. 2022, art. 9).
Sur la recevabilité des requêtes, bien que l’application de l’article 8 n’ait pas été contestée par le Gouvernement français, la Cour précise néanmoins pourquoi elles entrent bien dans le champ de la vie familiale et de la vie privée. S’agissant du volet vie familiale, la Cour rappelle qu’il s’agit d’une question de fait et qu’elle a déjà jugé que s’analysait en une vie familiale la relation entre deux femmes et l’enfant de l’une d’entre elles, dès lors qu’il existe des liens personnels effectifs, ce qui est le cas dans les deux affaires soumises (Honner c/ France, 12 nov. 2020, n° 19551/16, § 50). S’agissant du volet vie privée, la Cour rappelle qu’il couvre les liens affectifs qui peuvent se créer en dehors des situations classiques de parenté, spécialement si l’on se place du point de vue de l’enfant.

Obligation positive et marge d’appréciation des Etats

Sur le fond, l’arrêt apporte un éclairage important concernant la nature de l’obligation incombant aux Etats à propos de la question de l’établissement d’un lien de filiation entre un enfant et l’ancienne compagne de sa mère. En effet, la Cour considère que le grief tiré de la violation de l’article 8 ne tend pas, sous l’angle d’une obligation négative, à dénoncer une atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale, mais porte sur les lacunes du droit français ayant conduit au rejet des demandes des requérantes qui ne pouvaient recourir ni à l’adoption plénière, ni à l’adoption simple ni à la possession d’état, sans affecter la situation juridique de la mère biologique. C’est donc sous l’angle de l’obligation positive des Etats de garantir aux personnes le respect de leur vie privée et familiale que se place la Cour EDH. Cela dit, les principes ne sont guère différents, puisqu’il convient d’avoir égard au juste équilibre à ménager entre l’intérêt général et les intérêts individuels, et qu’il convient de reconnaître aux Etats une certaine marge d’appréciation. La Cour rappelle que cette marge d’appréciation peut être large lorsqu’il n’existe pas de consensus entre les Etats, comme c’est le cas au sujet de la reconnaissance d’un lien de filiation entre des enfants et des personnes avec lesquelles ils n’ont pas de lien biologique, mais que la marge doit être réduite dès lors qu’est en jeu un aspect essentiel de l’identité de l’individu tel le lien de filiation qui unit une personne mineure à son parent.

Equilibre entre l’intérêt général et les intérêts individuels

Restait donc la question au fond du juste équilibre entre l’intérêt général et l’intérêt particulier des requérantes.
Sous l’angle du respect du droit à la vie familiale, la réponse de la Cour est rapide. Elle relève de façon concrète, que dans les deux affaires, depuis que les couples se sont séparés, les intéressés ont mené une vie familiale comparable à celle de la plupart des familles, sans éprouver de difficultés au quotidien. D’ailleurs, dans la première affaire la procédure d’adoption n’a été engagée que 9 ans après la séparation du couple.

Dans la seconde, la demande de délivrance d’un acte de notoriété constatant la possession d’état a été présentée 4 ans après la dissolution du pacs. La Cour estime par conséquent que l’Etat a mis en place des moyens garantissant aux requérants le respect effectif de leur vie familiale.
Sous l’angle du respect de la vie privée, sur la question de savoir si l’impossibilité d’établissement juridique d’un lien de filiation entre un enfant mineur et l’ancienne compagne de sa mère biologique constitue un manquement à l’obligation positive de garantir le respect effectif de la vie privée, la réponse est davantage développée, mais aboutit de la même façon au constat d’une absence de violation. La Cour concède que la question soulève une difficulté sérieuse au regard de la primauté de l’intérêt supérieur de l’enfant et du droit au respect de la vie privée. Mais elle observe qu’il existe en France des instruments juridiques permettant de reconnaître ce type de relation, spécialement par la délégation partage de l’autorité parentale, mise en œuvre dans la seconde affaire, ou par un aménagement des relations avec l’ex-compagne (C. civ., art. 371-4).

Elle remarque en outre que, depuis la loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique, les couples de femmes peuvent effectuer une reconnaissance conjointe, et celles qui ont eu recours à une AMP à l’étranger avant la publication de la loi, ont la possibilité de le faire également pendant 3 ans à compter de la publication de la loi. En l’absence de consensus européen, « on ne saurait reprocher à l’Etat d’avoir tardé à consentir à cette évolution ». Dans la seconde affaire, cette option se heurte au refus de la mère biologique, mais il n’en reste pas moins qu’elle existe et qu’elle permettrait d’établir juridiquement un lien de filiation. Cette possibilité n’existe pas dans la première affaire, où l’enfant n’est pas issu d’une AMP réalisée à l’étranger, mais l’adoption simple offre une alternative et peut répondre aux « attentes légitimes des requérants », puisque l’enfant est désormais majeur et que la restriction découlant du transfert d’autorité parentale au profit de l’adoptant et au détriment de la mère biologique, n’existe plus.

Avertissement de la Cour européenne des droits de l’homme

La Cour signale néanmoins de façon incidente mais dans un avertissement lourd de sens, que l’exclusion du régime transitoire de reconnaissance conjointe à l’égard des enfants qui ne sont pas issus d’une AMP antérieure à l’étranger, pourrait soulever une difficulté sérieuse.
C’en est une parmi d’autres. Car le dispositif transitoire prévu par la loi du 2 août 2021 (art. 6 IV), outre qu’il n’est prévu que pour une durée de 3 ans, suppose en effet une AMP réalisée avec succès à l’étranger avant l’entrée en vigueur de la loi, même si l’enfant est né après. De plus, il n’a pas de caractère automatique. La transcription de la reconnaissance à l’état civil est faite sur instruction du procureur de la République, qui contrôle à cette occasion les conditions dans lesquelles l’AMP est intervenue. Enfin et surtout, la reconnaissance conjointe exige que les deux femmes soient d’accord, ce qui peut ne plus être le cas, comme en témoigne l’une des affaires rapportées. Dans ce dernier cas, le dispositif de rattrapage via l’adoption, prévu par la loi du 9 février 2022 (art. 9), outre qu’il n’est également que transitoire (3 ans à compter de la promulgation de la loi) et « exceptionnel », suppose la réunion de plusieurs conditions. Il ne concerne lui aussi que les enfants conçus, dans le cadre d’un « projet parental commun », par une AMP réalisée avec succès à l’étranger avant le 4 août 2021, dans les conditions prévues par la loi étrangère. Surtout, l’adoption doit être prononcée en justice par un tribunal qui exercera à cette occasion son pouvoir d’appréciation (sur la légitimité du refus de la mère biologique d’effectuer une reconnaissance conjointe, sur la conformité de l’adoption à l’intérêt de l’enfant) et qui se prononcera par décision spécialement motivée. Autant dire que toutes les demandes ne seront peut-être pas admises et que ces dispositifs de rattrapages successifs ne satisferont sans doute pas celles qui souhaitent que leur parenté d’intention soit reconnue au même titre que celle des parents par le sang.

Jean-Jacques Lemouland, professeur des universités, CERFAPS (EA 4600 Université de Bordeaux)
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