Judith Bouhana, avocate : "Les décharges de responsabilité des employeurs sont nulles de plein droit"

Judith Bouhana, avocate : "Les décharges de responsabilité des employeurs sont nulles de plein droit"

09.04.2020

Représentants du personnel

Depuis quelques jours, certains salariés se plaignent de devoir signer des décharges exonérant leur employeur de toute responsabilité si le salarié se trouvait contaminé par le coronavirus. Cette démarche des employeurs est-elle légale ? Comment réagir dans une telle situation ? Judith Bouhana, avocate spécialiste en droit du travail à Paris, répond à ces questions et donne des conseils bien avisés.

Un employeur est-il en droit de faire signer à des salariés une décharge de responsabilité en cas de contamination au coronavirus ?
Non, et plusieurs dispositions le disent. Cela reviendrait à ce que le salarié déresponsabilise l'employeur avant que ne survienne un incident sur sa santé. Or, l'employeur a une obligation de préserver la santé et la sécurité de son personnel. L'illégalité de ce type de démarche n'est pas nouvelle : l'article L. 482-4 du code de la sécurité sociale indique que toute convention contraire au livre 4 du code relatif aux accidents du travail et maladies professionnelles est nulle de plein droit. La jurisprudence a également rappelé cette règle dans arrêt de principe le 1er juin 2011. La Cour de cassation commence même par rappeler cet article du code. Il est donc impossible de transiger sur l'obligation de sécurité, ni sur la faute inexcusable de l'employeur qui ne protège pas la santé des salariés, ni sur la législation des accidents du travail et des maladies professionnelles. D'un point de vue juridique, les seuls accords possibles sont la transaction et la rupture conventionnelle. Mais ces modes de rupture du contrat de travail sont légalisés et très précis et n'entrent pas en ligne de compte ici. Ces décharges de responsabilité sont illégales.

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Que conseillez-vous aux salariés de faire quand ils sont confrontés à une telle demande de leur employeur ?
Tout d'abord, je leur conseille de ne pas signer ces documents. Mais quand bien même ils auraient signé, je leur conseille d'attaquer l'employeur en nullité de ces décharges qui, encore une fois, sont nulles de plein droit. Ils peuvent s'appuyer sur l'article L. 482-4 du code de la sécurité sociale et sur l'arrêt de la Cour de cassation en les communiquant éventuellement à leur employeur. 
Que faire si face au refus du salarié, l'employeur menace alors de le licencier ?
Il ne faut pas céder : la décharge de responsabilité étant nulle, il s'agirait d'un licenciement sous un faux prétexte.
Est-il utile de conserver des traces de la tentative de l'employeur de faire signer la décharge ?
Oui, bien sûr. Dans la mesure du possible, il faut garder toutes les preuves montrant que le licenciement serait en réalité fondé sur le refus de signer la décharge. Les courriers et e-mails seront utiles même si l'employeur n'y a pas répondu. Toute trace écrite permettra de prouver son intention d'éviter sa responsabilité.
Un exemple de texte de décharge de responsabilité
Avez-vous constaté dans votre pratique d'avocate d'autres moyens utilisés par des employeurs pendant la crise sanitaire afin d'échapper à leurs responsabilités de sécurité ou autres ?
On m'a parlé en effet de ruptures de périodes d'essai et de contrats à durée déterminée sous de faux prétextes. Certains employeurs invoquent également la force majeure, argumentant que la crise du coronavirus crée des circonstances exceptionnelles qu'ils ne pouvaient pas prévoir. Mais la force majeure se définit comme un événement imprévisible, insurmontable et extérieur. Or, les mesures mises en place par le gouvernement empêchent les employeurs de prétendre que la situation est insurmontable. Au contraire, le télétravail, les arrêts de travail pour garde d'enfant ou encore le chômage partiel font qu'il leur sera très difficile d'utiliser la force majeure pour justifier ces ruptures de contrats. Ils ne pourront pas établir en justice l'élément insurmontable. De plus, l'argument des difficultés financières tombera du fait que dans ce cas, c'est alors un licenciement économique qu'il faut effectuer, et non une rupture de période d'essai ou de CDD.
Mais un entretien de licenciement pourrait-il avoir lieu alors que des salariés sont absents des locaux de l'entreprise ?
Le gouvernement a autorisé que les réunions de CSE se tiennent à distance par visioconférence. En élargissant ce principe, je pense que des entretiens de licenciement pourraient aussi avoir lieu en dehors de la présence physique du salarié. La visioconférence peut aussi inclure le représentant du personnel qui l'assiste. De plus, un entretien peut encore avoir lieu physiquement mais en respectant les mesures barrière et les distances entre les personnes.
Marie-Aude Grimont
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