L'action de groupe de la CGT contre Safran pour discrimination syndicale est rejetée

L'action de groupe de la CGT contre Safran pour discrimination syndicale est rejetée

16.12.2020

Représentants du personnel

Le tribunal judicaire de Paris a débouté la CGT qui entendait faire reconnaître via une action de groupe des discriminations syndicales chez Safran. Le juge estime que les faits invoqués sont antérieurs à la loi de 2016 qui a rendu possible l'action de groupe et qu'il ne peut y avoir de rétroactivité.

Comme l'a déjà relevé le journal Médiapart, le tribunal judiciaire de Paris a rejeté mardi 15 décembre toutes les demandes de la CGT qui avait enclenché une action de groupe contre Safran Aircraft Engines dans le but de faire reconnaître une politique de discrimination syndicale de la part de l'entreprise (lire notre article). Le syndicat est même condamné à indemniser les frais d'avocat de Safran.

Pourquoi cette initiative rendue possible par la loi de modernisation de la justice de 2016, initiative qui avait été soutenue par le Défenseur des droits, est-elle rejetée ? Justement parce que la loi ne date que de 2016 et qu'elle ne saurait agir de façon rétroactive en sanctionnant des discriminations survenues à une époque antérieure. C'est, en substance, la motivation du jugement du tribunal, qui soutient que les salariés se disant victimes de discriminations avant 2016 pouvaient agir individuellement devant les prud'hommes.

36 cas individuels à l'appui de l'action de groupe

Pour examiner si une action de groupe est recevable dans ce dossier, le tribunal ne retient donc que les faits allégués de discrimination postérieurs à 2016, c'est-à-dire la période entre le 20 novembre 2016 et le 30 mars 2018. Problème : cette période définit un délai trop bref pour permettre de caractériser une tendance globale résultant de cas individuels. "C'est en effet dans un séquençage de temps qui doit être suffisamment conséquent que peuvent se vérifier les modalités de calcul proposées par méthode de comparaison entre les rémunérations mensuelles moyennes ou les temps d'évolution moyens de carrières constatés en dehors des élus et mandatés syndicaux et les mêmes conditions au sein du groupe des salariés qui s'estiment discriminés et qui sont sélectionnés au titre de cette méthode dite du « panel »", peut-on lire dans le jugement. 

Après avoir examiné les 36 cas individuels présentés par la CGT à l'appui de son action de groupe, le juge estime que dans la plupart des cas, l'élément générateur des discriminations éventuelles est antérieur à 2016, et, d'autre part, que "les quelques éléments de ces situations individuelles qui sont postérieurs à la date précitée du 20 novembre 2016 sont très largement insuffisants pour objectiver dans le temps une quelconque tendance révélatrice de disparités pouvant le cas échéant être constitutives de discriminations".

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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La légalité de l'accord collectif n'est pas examinée

Par ailleurs, le tribunal écarte également la demande faite par le Défenseur des droits de "constater que l'article 17 de l'accord collectif du 19 juillet 2016 du groupe SAFRAN sur le développement du dialogue social ainsi que l'article 6.2 de l'accord collectif précité du 30 janvier 2009 sont illicites, encourent la nullité et doivent donc être écartés en ce qu'ils ne garantiraient pas l'effectivité des dispositions constitutionnelles, conventionnelles et d'ordre public interdisant les discriminations syndicales". Le motif de ce rejet est identique : ces accords sont antérieurs à la période que le juge estime pouvoir être examinée, c'est-à-dire après le 20 novembre 2016. 

Cette affaire et ce jugement posent la question de la reconnaissance des faits de discrimination, lesquels supposent d'être démontrés dans la durée via notamment l'utilisation des panels comparatifs entre salariés partageant les mêmes niveaux de qualification et traités différemment, que ce soit sur leur rémunération ou leur évolution de carrière. Or cette durée nécessaire à la démonstration des discriminations interdit de facto la reconnaissance de certaines actions de groupe dès lors que la justice ne décide de prendre en compte que les faits postérieurs à la loi de 2016, ou plutôt dès lors que la justice fait primer la non rétroactivité sur le principe de non discrimination. C'est le choix fait ici par le juge, qui écrit : "Les syndicats CGT ne peuvent se prévaloir du principe général de l'effectivité du droit à la non-discrimination pour faire échec à ce principe fondamental de non-rétroactivité de la loi".

La réaction de l'avocate de la CGT

C'est ce que déplore Clara Gandin, l'une des avocates de la CGT : "Cette lecture prive de toute efficacité la loi de 2016". Et l'avocate de souligner que non seulement le lancement de l'action est bien postérieur à la loi, que la Cour de cassation a déjà considéré que la discrimination "est un manquement continu" qui certes a une date de début mais qui reste répréhensible, et, d'autre part, que les éléments présentés à l'appui de l'action de groupe ne concernent pas seulement les salaires, comme on a tendance à le croire en lisant le jugement, mais tout un faisceau d'indices tendant à prouver une discrimination volontaire et collective.

Le syndicat va faire appel. L'affaire pourrait n'arriver que dans deux ans devant la cour d'appel de Paris mais Clara Gandin veut croire que la demande de la CGT connaîtra un meilleur sort : "Le juge devra mettre en balance le principe de procédure de non rétroactivité du droit avec le droit à ne pas être discriminé, un droit associé au droit d'égalité dont le principe est constitutionnel". A suivre...

Bernard Domergue
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