L'action en insuffisance d'actif revue par la loi Sapin II

16.12.2016

Gestion d'entreprise

La responsabilité pour insuffisance d'actif ne peut être engagée en cas de simple négligence du dirigeant dans sa gestion.

Le Conseil constitutionnel a validé l'essentiel de la loi Sapin II relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (L. n° 2016-1691, 9 déc. 2016 ; Cons. const., déc. DC n° 2016-741, 8 déc. ; JO, 9 déc.) . Cette loi s’intéresse aussi à certains aspects du droit des affaires et du droit des entreprises en difficulté. Le texte, marqué par une certaine sévérité,  fait  preuve d’une apparente mansuétude  dans le domaine des sanctions applicables aux dirigeants. La loi Sapin II se propose de  simplifier le régime de la faute de gestion dans le cadre de l’action en insuffisance d’actif, « afin de faciliter le rebond du dirigeant de bonne foi d’une société mise en liquidation judiciaire… » (exposé des motifs). Le premier alinéa de l’article L. 651-2 du code de commerce est complété par une phrase ainsi rédigée : « Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la société, sa responsabilité au titre de l’insuffisance d’actif ne peut être engagée. » (L. art. 146).

Ces nouvelles dispositions  immédiatement applicables font  désormais de  la faute de « simple négligence »  une condition d’irrecevabilité de l’action en insuffisance d’actif.  Mais, cette nouveauté laisse en suspens la question de savoir quel contenu recouvrera la notion de « simple » négligence.

La faute de  « simple négligence » : condition d’irrecevabilité  de l’action en  insuffisance d’actif

Les dispositions de l’article  L. 651-2  du code de commerce  donnent  au juge un large pouvoir d’appréciation. Il peut écarter la condamnation du dirigeant  poursuivi en l’exonérant. Il peut également, décider que le montant de l’insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal a la possibilité, par décision motivée, de les déclarer solidairement responsables.

Les exemples sont nombreux dans lesquels le juge peut exercer son pouvoir de modulation et, plus rarement, son pouvoir d’exonération.

Avec le nouveau texte, il apparaît que la présence d’une «simple négligence» dans la gestion de la part du dirigeant constituerait un cas d’irrecevabilité puisque l’action ne pourra  plus « être engagée », par les personnes habilitées par la loi, c’est à dire le liquidateur ou le ministère public. Ceci suppose, une appréciation de l’élément «déclencheur» de l’action mais aussi, désormais, un examen «en amont» par le juge de la gravité de la faute invoquée pour trancher la suite à donner à l’action. Il est permis de s’interroger sur la pertinence de cette innovation puisqu’elle impose au juge une appréciation que de toute manière il aurait réalisée lorsque l’action est engagée !

Par ailleurs, il convient de noter la nouvelle rédaction du texte qui   évoque la simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion «de la société» alors que l’article L. 651-2 évoque les dirigeants d'une «personne morale». Maladresse de rédaction ou intention du législateur, on pourrait en déduire que seuls les dirigeants de société profitent de cette nouvelle aubaine tandis que les autres dirigeants visés n’en seraient pas bénéficiaires.

Le contenu de la notion de « simple négligence »

Lorsqu’on se réfère à la jurisprudence qui a construit la notion de faute de gestion, force est de constater que l’appréciation du juge va s’avérer délicate pour cerner le contenu de la «simple négligence». Les cas de négligence reprochés sont, en effet, légions dans les décisions jurisprudentielles.

Le plus souvent, ils ne sont, à titre isolé ou associé à d’autres faits, sanctionnés que parce qu’ils sont à l’origine de l’aggravation du passif. La faute de gestion peut ainsi voir sa qualification varier au gré des circonstances. Et, en fonction, de ces circonstances la condamnation peut être atténuée ou aggravée.

Ainsi, les fautes qualifiées, a priori, de négligence,  jusqu’à présent,  ne  sont devenues génératrices de responsabilité qu’en raison de leurs conséquences redoutables  sur le montant du passif. Il est, en effet, aisé pour le juge, a posteriori, d’établir dans ce cas le lien de causalité qui les unit au résultat constaté, puisque le juge statue après l’échec de gestion.

 La question est de savoir quel contenu le juge retiendra-t-il de la faute de «simple négligence». Il peut s’en tenir à une approche qui prend essentiellement en considération le lien de causalité unissant  un fait à l’ampleur du préjudice issu de l’importance du passif. Ou bien, il peut faire prévaloir la notion de «bonne foi» du dirigeant, ce qui serait conforme à l’esprit du texte qui justifiant cette nouvelle disposition par la volonté de  faciliter le rebond du dirigeant de bonne foi d’une société mise en liquidation judiciaire.

La  sanction serait, alors, réservée  à des faits conscients et intentionnels qui ont provoqués la dégradation de l’entreprise. Si ce critère tiré de la bonne foi s’impose, les cas dans lesquels la responsabilité du dirigeant a occasionné une sanction atténuée dans le passé, déboucheraient sur une exonération fondée sur l’irrecevabilité de l’action en insuffisance d’actif. Resterait donc à condamner les dirigeants de mauvaise foi dont les actes sont révélateurs d’une négligence active ou d’une intention caractérisée.

Martine Dizel, Maître de conférences, université Toulouse I

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