La mise en place du forfait annuel par accord de performance collective : mode d'emploi

12.04.2018

Gestion du personnel

Si la loi de ratification précise les conditions dans lesquelles un accord de performance collective peut mettre en place un dispositif de forfait annuel, des incertitudes juridiques demeurent. Décryptage par un tableau de synthèse et un schéma de procédure.

La possibilité de mettre en place un dispositif de forfait jours par un accord de performance collective (APC) n’était pas une évidence avant les précisions apportées par la loi de ratification du 29 mars 2018. En effet, le principe clé de l’APC est que « les stipulations de l’accord se substituent de plein droit aux clauses contraires et incompatibles  du contrat de travail » ( C. trav., art. L. 2254-2-III). Son corolaire étant que le refus du salarié de l’appliquer peut faire l’objet d’un licenciement sui generis. Ce qui se heurte au régime juridique spécifique du dispositif du forfait annuel qui nécessite, outre un accord collectif préalable (C. trav., art. L. 3121-63), la conclusion par le salarié d’une convention individuelle de forfait pour formaliser son acceptation (C. trav., art. L. 3121-55 et L. 3121-54).

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
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Pourtant  la loi de ratification confirme la possibilité de mettre en place le forfait annuel en heures et en jours par un accord de performance collective,  mais  tout en précisant que l’ensemble du régime juridique des dispositifs du forfait annuel en jours et du forfait annuel en heures s’applique : « les articles L. 3123-53 à L. 3121-66  (relatif au régime juridique du forfait annuel) s’appliquent si l’accord met en place un dispositif de forfait annuel ». Et à la différence de la modification d’un dispositif de forfait annuel déjà en place, la loi de ratification n’exclut pas l’application de l’article L . 3121-55 et du 5° du I de l’article L. 3121-64 relatifs à l’exigence de conclusion d’une convention individuelle de forfait avec chacun des salariés concernés.

Les développements ci-après concernent  la mise en place d’un forfait annuel. Concernant la modification d’un dispositif de  forfait annuel déjà en place, voir l’article « L’accord de performance collective peut modifier le forfait annuel en place » du 3 avril 2018.

Remarque : un certain nombre de questions restent en suspens :  que faire si le salarié n’accepte pas de conclure une convention individuelle de forfait ? Faut-il appliquer le régime jusque-là applicable à savoir que l’absence d’acceptation est un refus implicite et que ce refus n’est pas un motif autonome et légitime de licenciement ? Ou faut-il appliquer le régime du refus prévu en présence d’un accord de performance collective ? Que faire en l’absence d’acceptation ou de refus exprès ? Est-ce assimilé à un refus tacite ?Peut- on appliquer l’APC mettant en place un forfait annuel aux CDD ? Et que faire en cas de refus du salarié dans la mesure où il ne s’agit pas d’un cas de rupture anticipé autorisé par la loi ? Une circulaire est attendue et pourrait donner quelques éléments de réponses.

Le tableau ci-après présente les règles de négociation de mise en place d’un accord de performance collective mettant en place un forfait annuel en jours et en heures. Un schéma, en pièce jointe, récapitule la procédure d’acceptation ou de refus par le salarié du dispositif de forfait jours ainsi mis en place.

 

 

     Négociation d’un forfait annuel par un accord de performance collective (APC)

 

  Les différentes démarches Observations

Niveau de la négociation

 

L’accord de performance collective peut être négocié au niveau de d’entreprise (C. trav., art. L. 2254-2).

A priori, il pourrait également être négocié au niveau de l’établissement (1)(C. trav., art. L. 2232-11) et du groupe (C. trav., art. L. 2232-33) (2).

 

Lorsqu’un accord de branche prévoit un dispositif de forfait annuel, un accord de performance collective peut y déroger en raison de la primauté de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche (C. trav., art. L. 2253-3). Mais si le dispositif du forfait annuel prévu par la branche n’a jamais été appliqué dans l’entreprise, faut-il considérer l’APC sur le forfait annuel comme un accord de modification ou comme un accord de mise en place ?

Modalités de la négociation

L’accord APC est soumis aux conditions de validité des accords majoritaires depuis le 24 septembre 2017 (Ordce. n°2017-1385, art. 17, 22 sept. 2017 : JO, 23 sept.) (3)

Pour les accords collectifs de droit commun, le principe de l’accord majoritaire s’applique à compter du 1er mai 2018.

Rôle des représentants du personnel .

Le CE ou CSE n’ont pas à être consultés sur le projet d’un accord collectif (C. trav., L. 2312-14). Ce qui inclut, à défaut de dérogation légale, l’APC.

Ils seront consultés lors des consultations périodiques portant sur la marche générale de l’entreprise (C. trav., L. 2312-8)

Le CSE peut  mandater un expert-comptable afin qu'il apporte toute analyse utile aux organisations syndicales pour préparer les négociations de l’accord de performance collective (C. trav., L. 2315-92).

Contenu de l’accord collectif

 

L'APC mettant en place le dispositif de forfait annuel en heures ou en jours existant  doit comporter (C. trav., art. L. 3121-64) :

- un préambule précisant ses objectifs (C. trav., art. L. 2254-2) ;

- les mentions prévues à l’article l. 3121-64 : 1°-les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention individuelle de forfait/ 2°- la période de référence du forfait (année civile ou toute autre période de 12 mois consécutifs)/ 3°-le nombre d’heures ou de jours compris dans le forfait (dans la limite de 218 jours pour le forfait jours) /4°- les conditions de prise en compte, pour la rémunération des salariés, des absences ainsi que des arrivées et départs en cours de période/ 5°-les caractéristiques principales des conventions individuelles, qui doivent notamment fixer le nombre de jours compris dans le forfait/ 6°- Les modalités selon lesquelles l'employeur assure l'évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié (4)/ 7°- Les modalités selon lesquelles l'employeur et le salarié communiquent périodiquement sur la charge de travail du salarié, sur l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, sur sa rémunération ainsi que sur l'organisation du travail dans l'entreprise (4) /8° Les modalités selon lesquelles le salarié peut exercer son droit à la déconnexion (4).

- les mentions obligatoires de droit commun :  forme et délai de son renouvellement ou sa révision (C. trav., art. L. 2222-5)/conditions de suivi et clause de rendez-vous (pas de sanction de nullité) (C. trav., art. L. 2222-5-1)/si accord indéterminé : conditions de dénonciation et délai de préavis(C. trav., art. L. 2222-6).

D’autres clauses sont suggérées par l’article L. 2254-2 mais ne sont pas obligatoires : les modalités d’information des salariés sur l’application et le suivi de l’accord/ l’examen de la situation des salariés au terme de l’accord/ les modalités permettant de concilier vie professionnelle et vie personnelle et familiale/  les modalités d’accompagnement des salariés/ l’abondement au CPF en cas de licenciement du salarié suite à son refus (à d��faut, il est de 100 heures)/ les efforts demandés aux dirigeants salariés, aux mandataires sociaux et aux actionnaires.

Il est important de bien rédiger le préambule : son absence n’est pas sanctionnée par la nullité (C. trav., art. L. 2222-3-3)  mais pourrait remettre en cause la nature juridique de l’accord et donc son régime juridique. Il est donc préconisé de préciser qu’il s’agit d’un accord collectif entrant dans le cadre de l’APC et répondant aux nécessités liées au  fonctionnement de l’entreprise ou  destiné à  préserver ou développer l’emploi et de le justifier.

A la différence de l’APC modifiant le forfait annuel existant, l’APC mettant en place un forfait annuel doit comporter la mention sur les  caractéristiques principales des conventions individuelles (5°mention) (C. trav., art. L. 2254-2).

En raison  de l’absence de précision dans l’article L. 2254-2 sur l’incidence de l’absence de réponse du salarié dans le délai d’1 mois, il nous semble utile de préciser dans l’APC que l’absence de réponse dans ce délai vaut refus.

L'accord peut fixer le nombre maximal de jours travaillés dans l'année lorsque le salarié renonce à une partie de ses jours de repos en application de l'article L. 3121-59. A défaut de précision dans l'accord collectif, le nombre maximal de jours travaillés dans l'année est de 235 (C. trav., art. L. 3121-65).

Durée d’application de l’accord collectif

 

C’est à l’accord collectif de préciser s’il est à durée déterminée ou indéterminée. A défaut de précision, sa durée d’application est celle de droit commun :  5 ans (C. trav., art. L. 2222-4).

S’il est à durée déterminée, il est important de préciser dans l’accord la situation des salariés au terme de l’accord.

Publicité de l’accord collectif sur la base de données

L’accord de performance collective n’est pas soumis à l’obligation de publication sur la base de données nationale accessible sur le site Legifrance (C. trav., art. L. 2231-5-1)

Il en va différemment de l’accord collectif de droit commun.

Information des salariés

L’employeur informe les salariés, par tout moyen conférant date certaine et précise, de l’existence et du contenu de l’accord, ainsi que du droit de chacun d’accepter ou de refuser l’application à son contrat de cet accord (C. trav., art. L. 2254-2)

Il peut s’agir d’une information via l’intranet de l’entreprise par exemple, dès lors que tous les salariés concernés y ont accès.

Acceptation du salarié : modalités

L’application du forfait annuel mis en place par l’accord de performance collective, à l’instar de celui issu d’un accord collectif de droit commun, est subordonnée à la conclusion d’une convention individuelle de forfait par chaque salarié concerné.  La loi de ratification a bien précisé que les articles L.  3121-55 et L 3121-64 doivent s’appliquer.

L’absence de refus ne peut donc pas valoir acceptation tacite. En l’absence de convention individuelle de forfait, l’APC ne peut s’appliquer. Il semble alors que l’absence de refus doive s’analyser en un refus tacite.

Il en va différemment de l’APC modifiant un forfait annuel déjà mis en place : dans ce cas, l’acceptation de l’APC (absence de refus dans le délai d’1mois)  entraîne de plein droit l’application du forfait ainsi modifié. La conclusion d’une nouvelle convention individuelle de forfait n’est pas exigée (C. trav., art. L. 2254-2-II-4°).

Voir l'article sur le sujet du 3 avril 2018.

Refus du salarié : modalités

Le salarié peut refuser l’application de l’APC mettant en place un forfait annuel (C. trav., art. L. 2254-2-III al. 2). A priori, c’est alors le régime juridique du refus propre à l’APC qui s’applique :

- le salarié dispose d’un délai d’1 mois à compter de l’information de l’employeur, pour faire connaître son refus par écrit (C. trav., art. L. 2254-2-IV) (5) ;

-  l’employeur dispose d’un délai de 2 mois à compter de la notification du refus du salarié pour engager une procédure de licenciement (C. trav., art. L. 2254-2-V) ;

- si l’employeur opte pour un licenciement, le refus d’appliquer l’APC est un motif spécifique qui constitue en soi une cause réelle et sérieuse de licenciement (C. trav., art. L. 2254-2-V).  C’est la procédure du licenciement pour motif personnel qui s’applique (6).

Le salarié licencié a droit à l’assurance chômage et a droit à un abondement de son CPF qui peut être déterminé par l’accord collectif. A défaut, l’abondement est  de 100 heures (C. trav., art. L. 2254-2 et D. 6323-3-2)

 

Certains juristes estiment que le refus du salarié d’appliquer l’APC mettant en place un forfait annuel n’obéit pas au régime juridique du refus prévu par l’article L. 2254-2 et qu’il n’est pas un motif légitime de licenciement.

 Il nous semble pourtant que dans la mesure où la loi de ratification autorise la mise en place du forfait annuel par un APC  en précisant comme seule dérogation la nécessité de conclure une convention individuelle de forfait, rien ne permet d’exclure l’application du régime juridique du refus spécifique de l’APC. Il en irait autrement si le législateur avait exclu la mise en place du forfait annuel par un APC. Il faudra attendre la position des tribunaux.

Situation à l’issue de la durée d’application de l’accord collectif

Si l’accord collectif est à durée déterminée, à la date d’expiration, il cesse de produire ses effets. Par conséquent, s’il n’est pas reconduit, le dispositif du forfait annuel mis en place par l’accord collectif tombe à la date d’expiration de l’accord .

Il est donc important de prévoir dans l’accord une clause sur « l’examen de la situation des salariés au terme de l’accord » (clause facultative prévue par l’article L. 2254-2).

(1) L’APC pourrait être conclu au niveau de l’établissement, en application de l’article L. 2232-11 du code du travail :« Sauf disposition contraire, les termes “convention d'entreprise” désignent toute convention ou accord conclu soit au niveau de l'entreprise, soit au niveau de l'établissement » .

(2) L’APC pourrait être conclu au niveau du groupe en application de l’article  L. 2232-33 : « L'ensemble des négociations prévues par le présent code au niveau de l'entreprise peuvent être engagées et conclues au niveau du groupe dans les mêmes conditions… ».

(3) Il doit être signé par des syndicats représentatifs totalisant plus de 50% des suffrages en faveur des syndicats représentatifs aux dernières élections ou, à défaut par des syndicats représentatifs ayant obtenu plus de  30 % des suffrages et validé par  referendum.

(4) Si l’accord collectif ne prévoit pas de dispositions sur le contrôle du suivi de la charge de travail (mention n° 6) et /ou sur la communication régulière sur la charge de travail, la rémunération, l’équilibre avec la vie personnelle et l’organisation du travail (mention n°7), ainsi que sur le droit à la déconnexion (mention n° 8) l’employeur peut y remédier unilatéralement (C. trav., art. L. 3121-65 et L. 3121-66).

(5) A l’expiration du délai d’1 mois, à la différence de l’APC modificatif, il semble que l’absence de refus écrit doive s’analyser en un refus tacite puisque l’acceptation doit se traduire par un acte positif : la conclusion d’une convention individuelle de forfait. Sur ce point, la circulaire d’application pourrait apporter des précisions.

(6) « Ce licenciement repose sur un motif spécifique qui constitue une cause réelle et sérieuse. Ce licenciement est soumis aux seules modalités et conditions définies aux articles L. 1232-2 à L. 1232-14 (procédure du licenciement non économique : entretien préalable, notification du licenciement) ainsi qu’aux articles L. 1234-1 à L. 1234-11 , L. 1234-14, L. 1234-18 (préavis et indemnité de licenciement), L. 1234-19 (certificat de travail) et L. 1234-20 (reçu pour solde de tout compte) » (C. trav., art. L. 2254-2-V).

Nathalie Lebreton, Dictionnaire permanent Social
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