La préemption SAFER « environnementale » de l’article L. 143-2, 8° du code rural : entre motivation concrète et mise en œuvre adaptée

02.08.2024

Gestion d'entreprise

La Cour de cassation ne limite pas la préemption environnementale à la mise en œuvre de pratiques agricoles adaptées.

C’est sous l’empire de la nouvelle loi (Loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt dite « LAAAF », n° 2014-1170, 13 oct. 2014), que la SAFER a exercé son droit de préemption environnemental sur 40 ha comprenant pour partie des plans d’eaux et sur lequel l’acquéreur évincé avait pour projet l’implantation d’une ferme aquacole (pisciculture).

Si, par principe, l’opportunité d’une préemption SAFER ne se discute pas, il persiste un doute quant à la préemption SAFER à visée environnementale, notamment à la lumière de la décision du Conseil constitutionnel relative à la LAAF (Cons. const., déc. n° 2014-701 DC du 9 octobre 2014). En instituant une réserve d’interprétation quant à la mise en œuvre du droit de préemption pour des motifs ne se rattachant pas principalement aux missions agricoles de la SAFER, celle-ci a fait naître des incertitudes au sein des SAFER opposant une relative réticence à employer ce type d’intervention environnementale.

Dans l’espèce présentée devant la Cour de cassation, la question était de savoir si la préemption environnementale SAFER doit caractériser principalement un objet agricole adapté.

Selon l’article L. 143-2, 8° du code rural, la préemption SAFER a pour objet « la protection de l'environnement, principalement par la mise en œuvre de pratiques agricoles adaptées, dans le cadre de stratégies définies par l'État, les collectivités territoriales ou leurs établissements publics ou approuvées par ces personnes publiques en application du présent code ou du code de l'environnement ». La lecture avisée du juriste s’attarde sur les termes : « principalement », « pratiques agricoles adaptées », « stratégies définies par … », « ou approuvées par … », « en application du présent code ou du code de l’environnement ».

Simple, basique

La cour applique un raisonnement simple, cohérent et efficace. Elle reprend scrupuleusement la lettre de la loi pour apprécier si la motivation de la SAFER correspond aux prescriptions définies par L. 143-2, 8° : le terme « principalement » induit un pendant accessoire, une alternative. En l’espèce, la cour admet qu’en de telles circonstances l’article L. 143-2, 8° implique une pratique agricole adaptée comme outil privilégié, mais pour autant non impératif selon les textes.

Dans notre cas, l’activité de pisciculture, considérée comme agricole, et avancée par l’acquéreur évincé (bien que purement déclarative au terme de la déclaration d’intention d’aliéner), n’avait pas, au sens du texte, à être hiérarchiquement supérieure à un projet de protection de l’environnement, lié aux bassins d’eaux et à l’irrigation de terres agricoles, développé par la SAFER.

En référence à l’appréciation faite par les juges du fond, la Cour de cassation estime que les éléments avancés par la SAFER répondent aux canons d’une motivation circonstanciée et détaillée. Des données concrètes et objectives sont relevées : la fonction hydrologique et écologique relative aux biens préemptés. En ce sens, il a pu être établi qu’une convention de veille foncière et de concours technique, bien antérieure à la préemption, a été conclue entre un établissement public local et la SAFER, forgeant ainsi le caractère sérieux du projet de protection environnementale dans cette zone.

En effet, la question se posait également de savoir si le projet exposé au terme de la motivation allait être engageant et contraignant dans le temps : entre avant-projet, projet et stratégies définies ou approuvées, quelle réalité serait donnée à ce qui est avancé dans la motivation SAFER ? La cour confirme l’appréciation des juges du fond ayant relevé qu’un projet, bien que concret mais n’ayant pas encore été établi, n’a pas pour effet d’invalider l’exercice du droit de préemption SAFER et sa motivation. Le projet énoncé dans la motivation tient d’éléments suffisamment objectifs pour maintenir la préemption engagée par l’autorité régulatrice.

Aussi, on peut en déduire en pratique qu’une convention de partenariat foncier, identifiée dans un secteur où l’enjeu de protection de l’environnement s’avère être connu, participe notamment à asseoir une préemption environnementale au sens de L. 143-2, 8° du code rural.

Une préemption environnementale SAFER post 2014 plus souple

La motivation d’une préemption environnementale n’exige pas impérativement une pratique agricole adaptée. Il peut être admis d’autres moyens de préservation dans la mesure où ceux-ci entrent dans le cadre de « stratégies définies par l'État, les collectivités territoriales ou leurs établissements publics ou approuvées par ces personnes publiques en application du présent code ou du code de l'environnement ».

La cour d’appel saisie précédemment avait bien résumé la chose : « la loi du 13 octobre 2014 a assoupli les conditions légales en admettant que le droit de préemption puisse s’opérer dans le cadre de stratégies définies ou approuvées par les personnes publiques, alors qu’antérieurement il était nécessaire que le droit de préemption corresponde à un projet écologique spécifique approuvé par l’État ou les collectivités locales et leurs établissements publics ».

Pour se convaincre de ce changement de paradigme, revenons à un arrêt de la Cour de cassation qui a fait couler beaucoup d’encre avant la réforme de 2014 (Cass. 3e civ., 28 sept. 2011, n°10-15.008). Dans cet arrêt, la motivation environnementale s’était bornée à viser la présence des parcelles préemptées dans une ZNIEFF (zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique), document validant le projet de protection environnementale selon la SAFER à l’époque. Cette situation n’a pas échappé à la censure bien que dans les faits et en réalité, préexistaient d’autres documents, notamment un arrêté préfectoral de réserve naturelle de chasse qui aurait pu être utilisé au jour de la motivation. Dommage ou heureusement, aujourd’hui il en est autrement.

Adisack Fanovan, avocat au barreau de Lille

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