La RSE, un chantier stratégique pour les juristes d'entreprise

La RSE, un chantier stratégique pour les juristes d'entreprise

10.05.2022

Gestion d'entreprise

Et si la RSE était un nouveau terrain à conquérir par les directions juridiques pour se positionner au plus haut de l'organigramme de leur entreprise ? C'est ce que laisse présager le dernier Observatoire des directions juridiques 2022 réalisé par De Gaulle Fleurance et associés en partenariat avec l'AFJE*.

Alors que la grande majorité des directions juridiques déclarent observer, depuis la crise de la covid-19, un intérêt plus important des salariés (58 %) et des actionnaires de leur entreprise (56 %) pour les questions de responsabilité sociétale de l'entreprise, se positionnent-elles sur ces sujets ? A l'heure actuelle, 17 % du temps des directions juridiques est consacré à la mise en place du cadre RSE dans leur entreprise, calcule l'étude. Le pourcentage correspond à une moyenne du temps que les 120 répondants estiment dédier à la RSE.

En réalité, des disparités existent au sein des sociétés (un tiers des répondants consacrent moins de 10 % de son temps à la RSE, indique l'étude). Les chiffres divergent lorsque l'on interroge les directions juridiques sur leur degré de maturité concernant les sujets de RSE. Plus d'un quart s'estiment mûrs sur ces problématiques. Tandis qu'un tiers ne travaillent pas encore sur ces questions même si le projet serait à l'étude dans certaines directions juridiques.

Que faut-il entendre par un degré de maturité stratégique ? Nous avons posé la question à Stéphane Baller, avocat of counsel de De Gaulle Fleurance et associés qui a mené l'étude. Un tel niveau correspond à l'articulation ainsi qu'à la déclinaison de la stratégie juridique en fonction des obligations RSE de l’entreprise. « Ces sociétés mettent en place un véritable pilotage par les risques en utilisant, pour grille de lecture, la RSE » (pour 12 % des répondants). Une maturité opérationnelle, elle, s’apparente à « une RSE intégrée au programme de travail de la direction juridique » (pour 15 % des répondants). Enfin, ceux qui se déclarent comme réactifs « traitent les textes tombant dans le domaine de la RSE » (pour 34 % des répondants).

Modifier ses pratiques 

Pour évaluer le poids de la direction juridique sur les sujets RSE, ont peut aussi vérifier qu'elle est associée à la rédaction de la communication de l'entreprise en la matière. Là encore les résultats varient d'un sujet RSE à l'autre. Près de la moitié des juristes sont systématiquement impliqués dans la communication RSE de leur entreprise (la production de charte ou de documents pouvant démontrer l'engagement de la société en la matière). Il en va de même pour la mise en place du plan de vigilance ou encore du programme de conformité anticorruption demandé par la loi Sapin II. Sur ces sujets, 43 % des répondants ont d'ailleurs déclaré avoir changé leurs pratiques à la suite de la mise en œuvre de la loi sur le devoir de vigilance, en changeant de fournisseurs, par exemple, ou encore en améliorant leur connaissance des pratiques de leurs filiales. Selon 53 % des personnes interrogées aussi, les pratiques internes ont été modifiées à la suite de la loi Pacte, notamment en matière de rémunération des dirigeants en intégrant des critères RSE pour évaluer leur performance. Le sujet reste sensible mais la tendance - outre-atlantique tout d'abord - est à la présentation de résolutions en assemblées générales comportant des éléments sur le climat. Et plus de la moitié des répondants déclarent que leur société a déjà adopté (28 %) ou projette de définir (31%) une raison d'être.

Dans une moindre mesure, les directions juridiques sont impliquées dans la production de la déclaration de performance extra-financière (DPEF) qui devrait pour les plus grands groupes monter en puissance cette année avec la taxonomie européenne et la future directive dite CSRD en cours de négociation au niveau de l'Union européenne. « Ce reporting impose un niveau d’obligations plus important, plus complexe et induit davantage de sanctions ou d’exposition réputationnelle », commente Stéphane Baller. « Sans oublier que la future directive s'imposera à un plus grand nombre d’entreprises y compris les ETI ». 

L'Observatoire indique aussi que plus d'une direction juridique sur deux a dû affronter, pour son entreprise, un ou plusieurs contrôles de la part d'une autorité administrative. La DGCCRF serait intervenue sur près de la moitié de l'échantillon. Quant à l'AFA, elle se serait intéressée à 20 % des entreprises du panel de répondants. Les contrôles CNIL représenteraient 9 % de leur côté. 

« La RSE serait une boussole et la compliance son compas »

Comment définir la RSE ? « C’est finalement le reflet du positionnement éthique de l’entreprise vis-à-vis de ses parties prenantes », estime Stéphane Baller. Et quelle différence avec la compliance ? « Cette notion correspond à la mise en place d’un dispositif qui va permettre de s’assurer que les engagements pris par l’entreprise sont tenus ou d’expliquer les circonstances de leur non atteinte », souligne Stéphane Baller. « La société doit respecter les obligations légales dans chaque juridiction, mais peut aussi choisir de s’imposer des standards ou des objectifs supplémentaires (comme le fait, par exemple, de suivre la loi française sur l’interdiction du travail des enfants dans d’autres juridictions étrangères). La compliance réside dans comment démontrer cette conformité à la loi ainsi qu’à l’éthique que l’entreprise s’est fixée. La RSE serait alors une boussole et la compliance son compas ».

Dans certains grands groupes, un directeur RSE peut piloter ces questions. On voit aussi certaines organisations se doter d'un directeur de l'éthique. Mais aussi de compliance officers travaillant sur ces questions en collaboration avec d'autres départements de l'entreprise ou en charge des questions éthiques. Et qui dit compliance officers dit anciens juristes d'entreprise... Car les directeurs juridiques ont compris qu'en se mettant à la compliance les regards de la direction générale et de leurs collègues changent. Ils deviennent business partners et ne sont plus relégués à un rôle de fonction support.

Alors quelle est la meilleure organisation à mettre en place et quel rôle donner aux juristes ? « Tout dépend de l’histoire de l’entreprise, de son ADN. L’objectif est toutefois de s’assurer que l’entreprise est correctement couverte sur l’ensemble des risques RSE et que de véritables budgets soient alloués à chaque direction en fonction de ses besoins tout en s’assurant de la cohérence et la synergie des actions », estime Stéphane Baller. « Aujourd’hui, certaines directeurs financiers estiment mieux travailler avec leur compliance officer qu’avec le directeur juridique. Le premier leur apporte du "confort" avec des solutions, quand le second, de leur point de vue, peut soulever "des problèmes". On a l’impression que le patchwork de textes entre le RGPD, la loi Sapin II, le devoir de vigilance et les anciens textes sur la RSE, conduit à traiter un mille-feuille, sans forcément avoir une vision d’ensemble. Or, aujourd’hui il faut avoir cette vision à 360 degrés ».

Travailler en silos ne permettrait pas d'optimiser sa gestion des risques : « Je trouve navrant que l’on puisse penser avoir plusieurs cartographies des risques au sein d’une même entreprise. Si un même framework était utilisé pour toutes, les procédures de contrôles s’en verraient peut être améliorées et leur coût optimisé ? Par ailleurs, présenter plusieurs cartographies des risques à un comité des risques ne permet pas d’être lisible. Une cartographie globale me semble plus intéressante afin de véritablement pouvoir piloter l’entreprise par les risques. Or, utiliser le prisme de la RSE est assez structurant : il permet de prendre en compte des éléments que l’on commence à retrouver largement dans les Document Universel Européen et les reporting extra-financiers de qualité de vie au travail, d’harmonie apportée par l’entreprise dans le tissu économique dans lequel elle évolue, de questions de préservation de la planète et des ressources naturelles, ou encore de transparence du pouvoir et de son harmonie au service de l’entreprise », conclut Stéphane Baller. Et la cartographie des risques est une méthode à laquelle les directions juridiques sont désormais rompues...

* Observatoire des directions juridiques 2022, Vers de nouveaux devoirs de vigilance pour les juristes ?, avril 2022. Observatoire réalisé sur la base de 120 réponses à un questionnaire électronique proposé entre les mois de décembre et de 30 interviews qualitatives menées entre février et avril 2022.

Sophie Bridier

Nos engagements