Dans le contentieux entre Christian Latouche, propriétaire de Fiducial, et la formation sur les cas individuels de l'ex H3C, l'avocat général de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) considère que la réglementation française qui interdit de façon quasi absolue au commissaire aux comptes d'exercer des activités commerciales est en principe illégale au regard du droit de l'Union européenne. Cet avis ébranle aussi implicitement le cadre français de l'expertise comptable.
Va-t-on vers une libéralisation majeure des cadres d'exercice des experts-comptables et des commissaires aux comptes en France ? La réponse à cette question pourrait être affirmative même si elle n'est pas tranchée. Le mois dernier, Manuel Campos Sanchez-Bordona, avocat général de la Cour de justice de l'Union européenne ( CJUE), a livré ses conclusions, certes non contraignantes, quant à la réglementation française qui interdit, à deux exceptions près depuis la loi Pacte de 2019, au commissaire aux comptes d'exercer, directement ou par personne interposée, des activités commerciales (article L 822-10 du Code de commerce applicable au moment des faits de l'affaire). Pour lui, cette réglementation est en principe illégale. Au passage, il a rappelé, implicitement, que le droit français qui n'accorde à l'expert-comptable la possibilité d'exercer des activités commerciales qu'à titre accessoire semble lui aussi non conforme.
Cette position de l'avocat général renvoie à l'affaire qui oppose la formation de l'ex H3C qui statue sur les cas individuels à Christian Latouche (lire notre article). L'année dernière, le rapporteur général de cette formation a requis sa radiation de la liste des commissaires aux comptes pour avoir exercé des activités commerciales prohibées. Le propriétaire de Fiducial, qui demande à être mis hors de cause, a répondu que la réglementation française est, au regard du droit de l'Union européenne, illégale sur ce sujet. La formation restreinte du H3C a alors suspendu sa décision à l'interprétation de la Cour de justice de l'Union européenne. C'est dans ce contexte que les conclusions de l'avocat général ont été rendues dans l'attente du verdict contraignant de la CJUE.
Juridiquement, la question porte sur l'articulation de la directive sur les services (directive n° 2006/123/CE) avec le cadre européen sur le contrôle légal des comptes. Cette directive prévoit comme principe le droit des prestataires de services d'exercer plusieurs activités (article 25). Toutefois, les Etats membres peuvent (sous condition) limiter voire interdire la fourniture d'activités pluridisciplinaires. C'est notamment le cas pour les professions réglementées "dans la mesure où cela est justifié pour garantir le respect de règles de déontologie différentes en raison de la spécificité de chaque profession, et nécessaire pour garantir l’indépendance et l’impartialité de ces professions".
Gestion d'entreprise
La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...
Le cadre européen sur le contrôle légal des comptes n'aborde pas explicitement le sujet. Ni la directive 2006/43/CE sur le contrôle légal des comptes ni le règlement 537/204 sur le contrôle légal des comptes des entités d'intérêt public (EIP) n'interdisent de façon générale au contrôleur légal des comptes de fournir des activités commerciales alors même que ce règlement, qui fixe un cadre complémentaire spécifique à l'audit des EIP, empêche le contrôleur légal des comptes de fournir certains services aux entités contrôlées ou aux entreprises qui leur sont liées (article 5). Toutefois, cette directive impose aux contrôleurs légaux des comptes une déontologie couvrant au minimum leur fonction d'intérêt public, leur intégrité, leur objectivité ainsi que leur compétence et leur diligence professionnelles (article 21). Elle leur exige aussi d'être indépendant de l'entité contrôlée et de ne pas être associé au processus décisionnel de l'entité contrôlée (article 22). Et que cette indépendance garantisse l'absence de conflit d'intérêts, existant ou potentiel. De plus, un Etat membre peut imposer des normes plus rigoureuses à moins qu'il n'en soit disposé autrement dans la directive (article 52).
Pour l'avocat général, il n'y a pas de conflit entre la directive services et le cadre européen sur le contrôle légal des comptes — dans le cas contraire, c'est le cadre européen sur le contrôle légal des comptes qui aurait été applicable. Selon lui, il existe plutôt une relation de complémentarité. Ce qui revient à dire que pour être légale, la réglementation française qui interdit, à deux exceptions près, au commissaire aux comptes d'exercer des activités commerciales doit d'abord être justifiée par une impérieuse raison d'intérêt général. En l'occurence, cette justification doit se trouver dans l'indépendance et l'impartialité exigées à ce professionnel. Or, l'avocat général émet de gros doutes car la réglementation française interdit à ce professionnel de fournir certains services même à des entités dont il ne contrôle pas les comptes. Bref, pour lui, l'indépendance de ce professionnel n'est pas en danger lorsqu'il intervient auprès d'une entité dont il ne contrôle pas les comptes.
Dans l'hypothèse où cette réglementation française serait justifiée, encore faudrait-il, pour être légale, qu'elle soit proportionnée. Sur ce point, l'avocat général émet là aussi de gros doutes. "L’interdiction générale d’activités commerciales autres que l’audit apparaît donc, à première vue, comme disproportionnément stricte et va au-delà de l’objectif visant à préserver l’indépendance et l’objectivité des contrôleurs légaux des comptes", résume-t-il. Parmi les arguments avancés, il pointe le fait que l'interdiction faite au Cac d'exercer des activités commerciales est quasi-absolue. Pour lui, les deux exceptions permises — l'une dans le cadre d'activités accessoires à la profession d'expert-comptable, l'autre dans celui d'activités accessoires exercées par une société pluri-professionnelle d'exercice — ont une portée très limitée, ce qui revient à imposer l'exercice exclusif du contrôle légal des comptes.
Autre argument, "les deux exceptions autorisées, relatives à certaines activités commerciales accessoires, ne suffisent pas à démontrer la proportionnalité de l’interdiction générale. Je rappellerai que «l’article 25, paragraphe 1, second alinéa, sous a), de la directive 2006/123 ne prévoit pas la possibilité de soumettre l’exercice conjoint d’une profession réglementée avec une autre activité à la condition que cette dernière soit accessoire»", pointe l'avocat général.
Cet argument est tiré d'une décision de 2020 de la CJUE dans une affaire (C‑384/18) qui opposait la Commission européenne à la Belgique. L'un des sujets portait sur le droit donné à l’Institut professionnel des comptables et fiscalistes agréés (IPCF) d’interdire l’exercice conjoint de l’activité de comptable avec toute activité artisanale, agricole et commerciale. Dans un ancien code de déontologie de l'IPCF, cette interdiction pouvait être levée à condition, notamment, que l'activité soit accessoire. Une condition jugée illégale par la CJUE car "la directive sur les services (article 25, paragraphe 1, second alinéa, sous a) ne prévoit pas la possibilité de soumettre l’exercice conjoint d’une profession réglementée avec une autre activité à la condition que cette dernière soit accessoire".
Bref, l'affaire Christian Latouche pourrait considérablement libéraliser les réglementations françaises du commissariat aux comptes et de l'expertise comptable. Car si l'exercice du premier était assoupli en matière d'activités commerciales, cela faciliterait parallèlement les possibilités offertes aux entités qui exercent aussi l'activité d'expertise comptable. S'y ajoute — mais ce sujet ne fait pas partie de l'affaire qui oppose la formation de l'ex H3C sur les cas individuels à Christian Latouche — la remise en cause éventuelle de la légalité de l'encadrement des activités commerciales qui ne sont permises à l'expert-comptable qu'à titre accessoire.
Toutefois, il faudra attendre le verdict de la CJUE pour savoir si la France doit modifier sa réglementation en matière de commissariat aux comptes. Une position qui pourrait d'ailleurs venir à moyen ou long terme. En effet, il est possible que la question préjudicielle posée dans cette affaire à la CJUE ne soit pas examinée à court terme. Car si la CJUE suit l'avocat général, la demande de décision préjudicielle de la formation restreinte de l'ex H3C est irrecevable dans la mesure où cette formation n'exerce pas de fonctions juridictionnelles lorsqu'elle inflige une sanction administrative à un Cac. Il faudrait donc attendre un éventuel recours devant le Conseil d'Etat pour que ce dernier soit susceptible de poser à nouveau la question préjudicielle à la CJUE. Cette dernière serait alors tenue d'y répondre.
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