Quels sont les nouveaux risques RH ? Dans une série de chroniques rédigées pour actuEL-RH, le cabinet brl Avocats mettra l'accent sur les points de vigilance pour les professionnels RH. Premier épisode aujourd'hui avec le barème d'indemnités de licenciement injustifié. Et pour cause, le cabinet est intervenu à l'audience de la cour d'appel de Paris, le 23 mai dernier. Béatrice Thellier, avocat senior qui a plaidé le dossier et Henri Guyot, avocat associé du cabinet brl avocats nous éclairent sur les enjeux de cette audience.
De nombreux conseils de prud’hommes se sont positionnés sur la légalité du barème institué par les ordonnances Macron (article L.1235-3 du code du travail) et les textes internationaux. L’inconventionnalité du texte a été débattue le 23 mai 2019 devant la cour d’appel de Paris en présence du ministère public et de cinq organisations syndicales.
Gestion du personnel
La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :
- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.
Le sujet est technique, juridique. L’inconventionnalité du barème est débattue au regard de sa compatibilité avec les dispositions de l'article 24 de la Charte sociale européenne et de l'article 10 de la Convention de l'OIT n°158 et également au visa des articles 13 et 14 de la CEDH. Le premier de ces textes énonce qu'"en vue d'assurer l'exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les parties s'engagent à reconnaître (...) le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée".
Le second de ces textes dispose que si les tribunaux "arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationale, ils n'ont pas le pouvoir ou n'estiment pas possible dans les circonstances d'annuler le licenciement et/ou d'ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d'une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée".
Les dispositions de la CEDH, invoquées peu de temps avant l’audience devant la cour d’appel, renvoient quant à elles à des principes telles que la non discrimination : il est mis en avant qu’un employeur ne saurait bénéficier d’un plafond en cas de condamnation alors qu’un salarié, s’il était condamné en justice dans le cadre d’une mise en cause de sa responsabilité, ne bénéficierait pas d’un tel effet limitatif.
Dit autrement, en s’appuyant sur ces textes, le demandeur conteste le fait que le barème prévu par l’article L.1235-3 lui offre une indemnisation adéquate de son préjudice. A défaut d’indemnisation adéquate, le barème serait contraire aux engagements internationaux de la France qui s’imposent et pourrait être écarté. En outre, le barème serait contraire aux principes découlant de la Convention européenne des droits de l’homme.
De nombreux conseils de prud’hommes ont été interrogés sur ces dispositions. Tantôt, il a été jugé que le barème n’avait pas à souffrir de critiques tantôt il a été écarté. Aucun courant majoritaire ne se dégage. A notre connaissance, aucune cour d’appel ne s’est encore prononcée.
Le 7 décembre 2017, le Conseil d'État a retenu que les textes internationaux ne devaient pas être interprétés comme interdisant de prévoir des plafonds d'indemnisation inférieurs à 24 mois de salaire en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse (décision du 7 décembre 2017). Pour sa part, le Conseil Constitutionnel a déclaré les dispositions de l’article L. 1235-3 du Code du travail conformes à la Constitution en ce que le législateur a entendu renforcer la prévisibilité des conséquences qui s'attachent à la rupture du contrat de travail et a ainsi poursuivi un objectif d'intérêt général (décision 2018-761 DC du 21 mars 2018).
Conseil d’état et Conseil constitutionnel ont donc déjà livré une analyse du texte sans toutefois statuer sur la notion d’indemnisation adéquate. Si ces décisions sont importantes, il s’agit d’appréciations in abstracto. La cour d’appel de Paris va devoir se positionner sur un cas concret, au regard des circonstances de l’espèce.
Deux points méritent d’être soulignés. D’une part, la question de la conventionalité du barème issu des ordonnances Macron n’est qu’un point extrêmement subsidiaire de notre dossier. En effet, ce dossier a déjà été plaidé sur le fond, il y a quelques semaines maintenant devant la cour d’appel. Toutefois sur la question du préjudice, le demandeur a souhaité soutenir le point de l’inconventionnalité du barème. C’est dans ces conditions que la cour a sollicité une nouvelle audience (sur ce seul point) et l’intervention du ministère public.
Par ailleurs, dans la mesure où la cour d’appel de Paris se prononce pour la première fois sur l’application du barème, l’intérêt pour l’affaire a été multiplié. Plusieurs organisations syndicales qui n’étaient pas partie jusque-là ont fait le choix d’intervenir volontairement dans le débat. Dans la mesure où aucune des organisations syndicales n’est intervenue préalablement, notamment au soutien du bienfondé du licenciement, la recevabilité de leur intervention a été vigoureusement contestée lors de l'audience.
Le ministère public conclue à la conventionalité du barème Macron. L’analyse à laquelle il a été procédée est classique. La méthode du barème a été expliquée. Le pouvoir d’appréciation du juge a été rappelé. En effet, il ne s’agit pas d’une condamnation automatique et préalablement définie mais d’un guide pour le juge qui entre un minimum et un maximum apprécie le préjudice réel du salarié. C’est à ce stade que les éléments autre que l’ancienneté et la rémunération du salarié vont intervenir.
Surtout, le ministère public a rappelé que l’indemnisation offerte par le barème n’est pas le seul chef d'indemnisation du demandeur. D’une part, d'autres postes indemnitaires peuvent être sollicités en raison de préjudices distincts liés à l’exécution (obligation de sécurité de résultat...) ou à la rupture (circonstances vexatoires…). D’autre part, le ministère public a rappelé que le barème n’est pas applicable aux cas où l'employeur a manqué gravement à ses obligations comme en matière de licenciement discriminatoire, violation d'une liberté fondamentale ou en cas de harcèlement moral ou sexuel. C’est pourquoi le barème à la française ne peut être comparé à d’autres barèmes comme le barème finlandais qui couvrait l’ensemble des chefs de préjudice du demandeur et qui a de ce fait été censuré par le Comité européen des droits sociaux.
Dès lors, il apparaît au ministère public que le respect du droit du salarié à une indemnité adéquate et à une réparation appropriée d'une part, la sécurité juridique et l'intérêt général d'autre part trouvent un équilibre au regard de l'ensemble de ces éléments.
Si de nombreux conseils de prud’hommes ont souhaité faire leur jurisprudence, le conseil de prud’hommes de Louviers a sollicité l’avis de la Cour de cassation sur la conventionalité du barème. La Cour de cassation a annoncé qu’elle rendrait sa décision le 8 juillet prochain. Toutefois, le fait que la cour d’appel de Paris ait fixé son délibéré après cette date est à notre sens sans influence avec l’avis à venir de la Cour de cassation. Or, à plusieurs reprises au préalable, la Cour de cassation avait estimé que la question de la compatibilité d’une disposition nationale avec la convention n°158 de l’OIT (avis du 12 juillet 2017) ou de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (avis du 8 octobre 2007) "ne relève pas de la procédure d’avis". Les Hauts magistrats avaient donc refusé de répondre sur la question de conventionnalité. Dès lors, le débat en question portant également sur la conventionalité d’un texte, il y a peu de chance, sauf à considérer l’intérêt médiatique de l’affaire, que la Cour de cassation se prononce.
Sur le fond, la cour d'appel pourrait toutefois donner raison à la société, de sorte qu'elle n’ait pas à trancher la question de l’indemnisation du salarié. En effet, il serait regrettable et dommageable que l’actualité et l’intérêt suscité par la position de la cour d’appel de Paris laisse présumer une condamnation de la société. Rappelons que l’entreprise n’était pas appelante mais intimée dans cette procédure.
La décision n’aura qu’une portée limitée. En premier lieu, il ne s’agira que d’une décision de cour d’appel et nous ne doutons pas qu’elle risque d’être contestée dans son principe notamment si la cour d’appel décidait de faire application du barème Macron. En second lieu, s’il était décidé que les dispositions de l’article L.1235-3 du code du travail étaient contraires aux textes internationaux, les juges devraient apprécier le préjudice du salarié sans qu’un plafond ou un plancher ne s’applique à eux. Dans le cas d’un salarié qui aurait retrouvé un emploi très rapidement après son licenciement ou qui aurait fait valoir ses droits à la retraite, il sera difficile au demandeur de justifier d’un préjudice lié à la perte de son emploi conformément aux règles probatoires posées par les articles 6 et 9 du Code de procédure civile. A ce titre, nous avons en mémoire des jugements de conseil de prud’hommes qui ont écarté le barème sur le principe pour allouer au salarié une indemnisation inférieure au plafond prévu par le barème. Dans une affaire où l’inconventionnalité a été retenue, une salariée ayant cinq ans d’ancienneté a bénéficié de 4,5 mois de salaire d’indemnisation soit moins que le plafond prévu par le barème (cf. CPH Paris, 22 nov. 2018, n° 18/00964). Ecarter le barème de l’article L 1235-3 du code du travail ne permet pas de ressusciter le plancher de 6 mois de salaire antérieurement prévu. Si le barème venait à être définitivement écarté, nous pourrions en revenir à un régime où le salarié ne pourrait être indemnisé que du préjudice qu’il serait en mesure de démontrer. Les règles probatoires de base s’appliqueraient alors. Surtout, le salarié serait tenu de justifier du lien de causalité entre le préjudice qu’il invoque et le licenciement intervenu. Bref, la preuve du préjudice lui appartiendrait. Nul doute que la situation soit alors plus favorable aux salariés que l’indemnisation offerte par le barème.
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