Le service juridique doit-il prouver sa rentabilité ?

Le service juridique doit-il prouver sa rentabilité ?

22.12.2015

Gestion d'entreprise

Jusqu’où aller dans la justification de l’action du service juridique ? Faut-il avancer des chiffres pour prouver sa rentabilité ? Les professionnels se prononcent aussi bien pour que contre.

« Si l’on ne prend pas les devants, on risque de se faire évaluer par d’autres et pire, sur de mauvais critères ». D’une phrase, le directeur juridique du groupe de défense Thales, Rémy Rougeron, résume sa position concernant la mesure de la rentabilité du service juridique. Pour lui, cela ne fait aucun doute : la fonction juridique peut et doit prouver sa rentabilité à la direction générale, au même titre que ses pairs dans l’entreprise. « Les juristes travaillent dans le sens de la profitabilité du groupe, comme tous leurs collègues. Il n’y a aucune raison pour que nous échappions à la règle », estime-t-il. Une fois cela dit, il faut examiner ce que l’on entend par « mesure de la rentabilité » : « Celle-ci peut s’évaluer par la masse salariale du service juridique rapportée au chiffre d’affaires de l’entreprise. Mais attention, cette donnée quantitative doit être comparée à ce qui se pratique dans les sociétés du même secteur. Et surtout, prise isolément, elle n’est pas pertinente », explique le directeur juridique de Thales.

Gestion d'entreprise

La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...

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 Le service juridique peut démontrer qu’il crée de la valeur autrement qu’à travers le cash qu’il récupère 

Aux critères quantitatifs, il est donc absolument indispensable d’adjoindre des critères qualitatifs, pour estimer la valeur ajoutée des juristes. « Le chiffre d’affaires pour le chiffre d’affaires est trop restrictif. Le service juridique peut être envisagé comme un centre de profit, dont on va mesurer combien d’argent a été gagné en gérant, par exemple, les droits de propriété intellectuelle ou les droits de licence, ou encore les procès en contrefaçon initiés et gagnés. Mais il peut aussi démontrer qu’il crée de la valeur autrement qu’à travers le cash qu’il récupère »approuve Christophe Roquilly, professeur de droit et doyen du corps professoral à l’Edhec Business School.

Replacer la fonction juridique dans son contexte

Éric Amar, directeur juridique de Bolloré Transport & Logistics, se prononce pour sa part contre une évaluation purement comptable du rôle des juristes. « Il est très réducteur de porter dans une colonne le coût des juristes et, dans celle d’en face, ce qu’ils rapportent. S’il s’agit de noter l’argent récupéré en recouvrement, ou encore celui issu de clauses « rémunératrices » glissées dans les contrats, la fonction juridique se transforme en gestionnaire financier, ce qui n’est pas son rôle », estime Éric Amar.

Il y aurait donc des voies plus pertinentes pour évaluer le service juridique et prouver sa performance : « Les critères qualitatifs sont nombreux, à commencer par la disponibilité et la réactivité du service. Il est également possible d’examiner les process mis en place, par exemple les outils spécifiques permettant aux opérationnels de réaliser des tâches à moindre valeur ajoutée, comme la rédaction d’accords simples, contrôlés ensuite par le service juridique », énumère Rémy Rougeron.

Pour Christophe Roquilly, il est d’abord nécessaire à la fonction juridique de prendre du recul sur son rôle et de réfléchir aux indicateurs les plus pertinents, qu’elle traduira ensuite en objectifs à mesurer. « Il faut se poser les bonnes questions : quelles sont les missions du service juridique ? Quelle est sa place dans l’entreprise ? Comment crée t-il de la valeur ? Certaines entreprises passent par des KPI - Key Performance Indicators - qui doivent être des critères de performance spécifiques, mesurables, atteignables, et que la direction juridique est capable de restituer à la hiérarchie, en Codir ou en Comex ». On peut ainsi mesurer, par exemple, la formation dispensée par le service juridique aux opérationnels, ou encore le chiffre d’affaires gagné lors de la renégociation de contrats.

Des outils de management
Comparer d’année en année les performances réalisées, c’est également motiver l’équipe

« Ne pas sombrer dans une logique comptable, cela ne veut pas dire s’abstenir de parler business. Pour légitimer la fonction juridique, il faut savoir parler avec les financiers, prouver qu’on sait lire un bilan, qu’on connaît les rouages d’une fusion-acquisition, etc. », nuance Éric Amar. La direction juridique ne peut s’affranchir de tableaux de bord et de reportings, selon le directeur juridique de Bolloré Transport & Logistics, pour qui l���essence de son métier se résume ainsi : aider ou définir la stratégie de développement, aider ou définir la négociation commerciale, aider ou définir une meilleure gestion du risque.

Enfin, pour Rémy Rougeron, la mesure de la performance et de la rentabilité du service juridique a le mérite de fournir des arguments face à la hiérarchie….comme face aux collaborateurs. « Comparer d’année en année les performances réalisées, c’est également motiver l’équipe. En résumé, la base du management ».

► Cet article est le second volet de notre série dédiée à la négociation des budgets de la direction juridique. Retrouvez le premier volet.

Olga Stancevic
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