La crise sanitaire conduit les responsables syndicaux, dans les confédérations, les fédérations ou unions territoriales, à jongler avec les emplois du temps, à multiplier les réunions d'instance en visio tout en maintenant quelques déplacements. Une certaine lassitude se fait jour chez les militants, voire une frustration due au sentiment de ne pas exercer ses mandats dans de bonnes conditions, tandis qu'est réaffirmée la revendication de pouvoir adresser des messages syndicaux aux salariés via leur mail professionnel.
Comme les entreprises, les organisations syndicales sont confrontées aux contraintes d'une crise sanitaire qui va bientôt fêter son premier anniversaire sous la menace de nouvelles contraintes pour une vingtaine de départements, à l'instar des confinements décidés à Nice et Dunkerque (lire notre brève dans cette même édition). Comment continuer à assurer un service et un appui aux adhérents, aux mandatés et aux salariés ? Comment garder une forme de travail collectif et de délibération, deux éléments qui constituent l'essence du syndicalisme, alors que les gestes barrières freinent les contacts et que le télétravail est censé être la règle dès lors que c'est possible ? La problématique touche toutes les structures syndicales, qu'il s'agisse des confédérations, des unions locales, départementales ou régionales, des fédérations ou des sections d'entreprise (voir à ce sujet notre vidéo récente avec les témoignages d'élus des CSE).
Faut-il garder les locaux syndicaux ouverts, les fermer, suspendre les permanences, pratiquer l'alternance ? Pas de consigne nationale à la CGT, nous explique Angeline Barth, secrétaire confédérale. La confédération de Montreuil (Seine-Saint-Denis) dispose d'un accord sur le télétravail, pour ses "conseillers", accord qu'elle met à disposition des différentes structures, mais elle ne délivre pas de directives, car chaque structure est autonome et libre de s'organiser comme elle l'entend à la CGT. "A la confédération, les locaux restent ouverts, les conseillers ne venant que sur la base du volontariat. Chaque équipe essaie d'organiser une permanence", nous explique-t-elle. Il n'y a pour autant pas de grande réunion à la confédération, précaution sanitaire oblige.

Les réunions des instances de la CGT, en dépit des difficultés que cela représente au vu du nombre de participants, ont lieu en effet par visio, y compris pour le comité confédéral national (une centaine de votants), ce qui se fait, par la force des choses, au détriment de la fluidité et des échanges informels.
Sur le terrain, la situation dépend des choix et des possibilités qui s'offrent aux militants. "Les permanences des unions tenues bénévolement par des retraités ont du mal à fonctionner car les personnes âgées sont vulnérables à la Covid-19", dit encore Angeline Barth. A l'union locale CGT de Dunkerque (Nord) par exemple, les administratifs sont en télétravail et sont très sollicités au téléphone, la situation sanitaire locale inquiétant les salariés. Les administratifs peuvent donner des rendez-vous physiques à l'union, les militants venant alors leur prêter main forte pour informer et conseiller les travailleurs, nous explique-t-on par téléphone. Angeline Barth souligne par ailleurs la difficulté, compte-tenu de la crise sanitaire, à mener réellement campagne pour les élections dans les très petites entreprises (TPE) prévues en mars prochain (lire notre article) : "Mener une campagne sur le terrain est difficile, car comment toucher les salariés en télétravail ou en activité partielle ?"
Représentants du personnel
Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux. Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.
Secrétaire de l'union départementale CFDT Drôme-Ardèche mais aussi secrétaire de l'union régionale CFDT Auvergne-Rhône-Alpes, Armelle Bertrand alterne le télétravail et la présence au bureau. Ses syndicats font de même. "Certains continuent d'assurer une présence en acceptant des rendez-vous dans leurs locaux, d'autres ne prennent que des rendez-vous en visio et se sont organisés pour cela", nous décrit-elle.
Dans les fédérations, tout dépend des activités professionnelles et de leur caractère télétravaillable ou non, mais le syndicat applique les consignes gouvernementales. A la FGMM (fédération métallurgie de la CFDT), le télétravail est de rigueur alors que, dans les entreprises, la production continue et donc le travail en présentiel. Un paradoxe pas toujours bien vécu par les militants. "Nous passons de temps en temps à la fédération mais depuis septembre, nous avons fait toutes nos réunions d'instance en visio", explique le secrétaire général, Stéphane Destugues, qui vient de Dax (Landes).

Ce dernier observe que ce mode de travail et d'échanges, qui "passait" relativement bien jusqu'alors, est vécu plus difficilement depuis le début février, alors que les équipes sont toujours sollicitées par la crise économique et sociale. Le syndicaliste emploie même le mot de "spleen" pour décrire l'état d'esprit des salariés et militants. "C'est compliqué pour des militants qui travaillent sur site en production de devoir faire des réunions CSE en visio -car beaucoup de CSE centraux ne se font pas en présentiel- mais aussi des réunions syndicales avec la fédération en visio. Certains ne comprennent pas pourquoi ils ne participeraient pas à des réunions physiques", témoigne Stéphane Destugues.

Certains tentent bien sûr dans leur entreprise d'organiser des réunions syndicales, mais la distanciation nécessaire et le manque de grandes salles freinent les choses. "Hier j'étais à Belfort, nous avons pu débattre à 30, mais nous étions dans une grande salle, et il fallait parler fort", dit le secrétaire général de la FGMM.
A ses yeux, ce sont les nouveaux embauchés qui pâtissent le plus de cette situation car ils n'ont pas pu se familiariser avec un collectif de travail dans leur entreprise du fait soit des règles sanitaires, soit du télétravail. Ce que change la crise sanitaire au travail syndical ? Tout devient plus intense, nous répond-il : "Fini les temps de transport ou les pauses, il faut passer sans répit d'une réunion à l'autre, répondre aux sollicitations de Bercy. C'est usant". Seule exception : le chantier de la remise en plat conventionnelle de la branche, avec le patronat, se fait lors de réunions de négociation en présentiel, car ce serait trop compliqué sinon...
Cyril Chabanier, le président de la CFTC, jongle lui-aussi avec son emploi du temps. Lui qui vit près d'Avignon (Vaucluse) vient du lundi au mercredi à Paris et il travaille le mardi à la confédération, dans le 15e arrondissement. "Les syndicats se sont souvent battus pour obtenir du télétravail de la part d'entreprises parfois réticences. Mais aujourd'hui, certains salariés, et cela vaut aussi pour notre confédération, en ont marre et veulent revenir au bureau de temps en temps. Nous ouvrons donc la confédération tous les mardi pour permettre à ceux qui en éprouvent le besoin d'y venir, mais nous prenons soin de respecter les consignes sanitaires", nous explique le président de la CFTC.

Ce dernier explique que la consigne, pour toutes les structures du syndicat, reste le télétravail autant que possible. Les congrès eux-mêmes se déroulent en visio, ce qui nécessite un process particulier pour assurer le vote secret, idem pour les réunions des instances comme la commission exécutive confédérale du lundi, le bureau mensuel ou le conseil confédéral qui rassemble, une fois par trimestre, une cinquantaine de personnes. Que change la pratique de la visio pour ces réunions ? On s'en tient davantage à l'ordre du jour, on va à l'essentiel pour éviter les réunions à rallonge, nous répond Cyril Chabanier, "mais il manque les échanges d'expériences, les discussions lors des pauses, et il y a moins de questions et de participations". En outre, sourit-il, il n'est pas toujours simple de maintenir l'attention, surtout lorsque l'animateur voit, en cours de réunion, les participants désactiver à tour de rôle leur caméras ! "Pas facile pour celui qui anime la réunion, car il ignore si on l'écoute", plaisante le président de la CFTC.

Dans les entreprises, quel est le ressenti des équipes syndicales ? "Plus que de la lassitude, j'entends de la frustration. Les élus du personnel et les représentants syndicaux déplorent de ne pas pouvoir exercer leurs mandats dans de meilleurs conditions", rapporte le président de la CFTC.
Les accords de droit syndical permettant d'utiliser les mails professionnels des salariés sont trop peu nombreux, et, même quand ils existent, les barrières de sécurité informatique déployées pour le télétravail, sont des obstacles à cette communication, car le salarié doit cliquer plusieurs fois pour accepter de recevoir les communications syndicales.

"Nous demandons toujours au ministère du Travail un accès légal aux mails des salariés", rappelle Cyril Chabanier qui ajoute que la ministre du Travail a concédé que les réunions du CSE pouvaient se dérouler en présentiel pour des enjeux très importants comme l'APLD, un PSE ou un accord de ruptures conventionnelles.
Mais là encore, le travail syndical est délicat : "Les équipes qui négocient doivent pouvoir rendre compte aux salariés, et écouter leurs retours. Et là, pas moyen d'organiser des réunions ou des assemblées générales". Quant à la campagne TPE, le syndicalise redoute l'abstention : "Nous tentons de faire campagne en allant voir les salariés sur leur lieu de travail ou même chez eux, mais le couvre-feu rend ces déplacements compliqués".
Laurent Escure, le secrétaire général de l'UNSA, "passe" lui 3 jours par semaine en moyenne aux locaux du siège, à Bagnolet (Seine-Saint-Denis). Il observe depuis janvier 2021 une volonté de certains salariés de revenir travailler régulièrement passer quelques heures au bureau, "sans doute par besoin d'avoir des relations", car une forme de lassitude s'est fait jour avec cette crise sanitaire sans fin qui plombe le moral des salariés comme des militants, observe-t-il. Les locaux sont donc ouverts, mais restent peu occupés, car les consignes sanitaires sont dans toutes les têtes.
"En septembre, nous avions pu faire notre conseil national en présentiel, même si c'était en mode dégradé, en demandant à nos délégations de réduire le nombre total de participants de 200 à 120. Mais depuis, nous ne faisons plus que des visios", nous explique le syndicaliste.

Ce mode de travail à distance a le mérite, ajoute-t-il, "d'être plus efficace" que des réunions physiques, même si on y perd en échanges informels et en créativité, admet-il. Il faut dire que Laurent Escure a plaidé depuis des années à l'Unsa pour une approche assez souple du télétravail, "pour ne plus être dans le culte du présentéisme". Il assure avoir plutôt bien anticipé le premier confinement de 2020, les locaux de Bagnolet mais aussi des autres structures étant alors fermés, ce premier confinement s'étant alors correctement déroulé. Aujourd'hui, le manque de visibilité pèse davantage.

Quant au scrutin TPE, qui avait été marqué en 2017 par les bons résultats de l'Unsa, Laurent Escure se montre serein : "Nous menons une campagne physique et numérique aussi active qu'il y a 4 ans". L'union syndicale autonome compte sur le maillage de ses militants, avec 1 500 "z'aideurs" qui peuvent répondre aux questions que se posent les salariés des petites entreprises, pour conforter son audience, avec un credo réaffirmé en 2021 : "Le syndicalisme est en difficulté car il protège d'abord des gens bénéficiant déjà de protections. Nous devons nous adresser aux plus précaires". Un élément positif important à ses yeux : Laurent Escure n'observe pas de baisse de participation dans les procès verbaux des élections CSE qui lui remontent. Comme un signe d'espoir...
► Au sujet du travail syndical pendant la crise sanitaire, lire également notre interview de François Hommeril, le président de la CFE-CGC, et notre interview d'Yves Veyrier, le secrétaire général de FO.
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