Les branches professionnelles face à l'inflation

Les branches professionnelles face à l'inflation

15.03.2022

Convention collective

Quelles sont les marges de manoeuvre des branches professionnelles face à la montée de l'inflation ? Dans le cadre de notre partenariat avec le Club des branches fondé par le cabinet Barthélémy, Hugues Lapalus et François Millet, avocats associés au sein du cabinet, et Gilbert Cette, économiste, professeur à NEOMA Business School soulignent la latitude assez faible des branches sur le sujet du pouvoir d'achat.

 Avec la crise sanitaire, et désormais le conflit en Ukraine, l'inflation s'installe dans le paysage économique français. Le thème du pouvoir d'achat devient central, surtout en cette période de campagne électorale. Une situation qui n'était pas arrivée depuis de longues années. "Pendant 10 ans l'inflation a été faible, inférieure ou égale à 1% ; le réveil s'est fait à partir du 2e semestre 2021 dans des circonstances particulières avec une hausse des prix de l'énergie et des matières première liées à la désorganisation entraînée par la Covid-19. La reprise dans les pays avancés a été simultanée entraînant une saturation de l'offre", explique l'économiste Gilbert Cette, professeur à NEOMA Business School.

"On pouvait penser que le regain d'inflation était transitoire, une fois la crise du Covid finie, mais on sait désormais qu'il s'inscrit dans le court et moyen terme. Les prix de l'énergie vont connaître une très forte augmentation du fait de la guerre en Ukraine. On va s'inscrire dans cet univers nouveau de façon durable et il faut envisager une mutation vers d'autres formes d'énergie", pronostique-t-il. 

Dans ce contexte, quelles sont les marges de manoeuvre dont disposent les branches professionnelles pour apporter des garanties aux salariés ? Faibles, selon les experts du Club des branches du cabinet Barthélémy Avocats.

Des revalorisations infra-annuelles

Les branches vont désormais se retrouver confrontées à un exercice inédit : la nécessité de revaloriser les minima conventionnels plusieurs fois par an. Selon Gilbert Cette, après la hausse du 1er octobre, il n'est pas écarté qu'une nouvelle hausse ait lieu en avril ou en mai. "Les branches n'étaient pas préparées à plusieurs revalorisations infra-annuelles du Smic. Or, elles doivent éviter que les minima conventionnels restent en dessous du Smic". Et l'économiste de rappeler que cela n'est pas sans incidences sur les charges publiques. "Lorsque les minima conventionnels sont inférieurs au Smic, cela augmente la masse salariale éligible aux allègements de charges et coûte cher aux pouvoirs publics. Les entreprises peuvent donc avoir intérêt à ce que les branches ne revalorisent pas les minima de branche". De facto, "les branches se retrouvent dans une drôle de situation car elles risquent de fragiliser les entreprises si elles alignent les minima sur l'inflation". 

Or, les branches professionnelles sont, depuis quelques mois mises sous pression, pour à la fois revaloriser les minima conventionnels mais aussi les salaires et conditions de travail des travailleurs dits "de deuxième ligne". "Le rôle des branches est central mais si certaines acceptent de jouer le jeu lorsque le ministère incite à la négociation, d'autres s'inscrivent dans un comportement non vertueux", note Gilbert Cette. 

D'ailleurs, constate François Millet, avocat associé au sein du cabinet Barthélémy Avocats, "les organisations patronales des branches sont fébriles. Elles n'obtiennent pas toujours de mandat de négociation à la hauteur de ce qui est attendu et elles sont réticentes à engager des coûts supplémentaires pour les entreprises de la branche". 

Convention collective

Négociée par les organisations syndicales et les organisations patronales, une convention collective de travail (cct) contient des règles particulières de droit du travail (période d’essai, salaires minima, conditions de travail, modalités de rupture du contrat de travail, prévoyance, etc.). Elle peut être applicable à tout un secteur activité ou être négociée au sein d’une entreprise ou d’un établissement.

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Agir sur la structure du salaire minimum hiérarchique 

"Le pouvoir des branches est assez limité et suppose une négociation accrue, une inventivité, qui va au-delà du simple relèvement du salaire minimum hiérarchique [la nouvelle appellation du salaire minimum conventionnel depuis les ordonnances du 22 septembre 2017]", estime toutefois François Millet. Les branches sont donc dans une "position de repli", analyse-t-il consistant, "au mieux à travailler sur une structure de rémunération à laquelle les entreprises peuvent déroger dans une certaine mesure". 

Hugues Lapalus, avocat associé au sein du cabinet Barthélémy Avocats, rappelle que si les branches ont désormais une grande latitude pour définir le salaire minimum hiérarchique depuis la décision du Conseil d'Etat du 7 octobre 2021, "ce n'est pas à la branche de définir le salaire réel ; or, le pouvoir d'achat c'est le salaire réel défini dans l'entreprise".

Reste que si la branche "ne peut pas agir sur le niveau de rémunération, elle peut verrouiller un niveau de rémunération au niveau de l'entreprise, souligne-t-il. Elle peut ainsi innover sur la définition du salaire minium hiérarchique en y incluant en plus du salaire de base, le 13e mois ou d'autres primes conventionnelles". Toutefois, la situation peut n'être pas aussi simple dans certaines branches à la suite du mouvement de restructuration opéré ces dernières années. "On observe des branches plus hétérogènes. Les contraintes économiques peuvent être différentes entre les entreprises d'une même branche".

Les solutions écartées

François Millet rappelle que les clauses d'indexation - qui pourraient être une solution pour faire face à l'inflation - sont totalement prohibées. "C'est un vieux sujet mais la loi interdit ces clauses. La Cour de cassation a jugé, le 13 décembre 2006, que les clauses d'indexation sur l'inflation sont interdites. Par ailleurs, avec les clauses d'indexation, on s'expose à un risque d'inflation interne. Il n'y a donc pas d'évolution automatique possible des rémunérations dans les branches alors qu'elles doivent être mieux-disantes par rapport au Smic". 

"En 2008, avec l'envolée de l'inflation, lorsque les minima étaient inférieurs au Smic, la loi du 3 janvier 2008 avait prévu que les allègements de charge étaient alors calculés sur les minima et non sur le Smic, rappelle Gilbert Cette. Une disposition supprimée en 2013 car pesaient des inquiétudes sur la constitutionnalité de la mesure : on pénalisait les entreprises pour une décision qui n'était pas prise à leur niveau mais au niveau de la branche". Une telle mesure pourrait-elle être ressortie des cartons du ministère du travail ? 

Investir d'autres champs

Mais les branches pourraient investir un autre champ afin de stimuler le pouvoir d'achat et lutter contre les conséquences de l'inflation. "Il faut réduire la conflictualité et la participation en est un vecteur, insiste Gilbert Cette. Si les entreprises ne font pas de bénéfices, les salariés ne perçoivent pas de prime de participation contrairement à l'intéressement. Les branches peuvent jouer un rôle si on élargit la participation aux entreprises de 11 à 50 salariés en leur fournissant des organisations clefs en main. La branche serait ainsi au coeur de l'élargissement". 

L'inflation étant étroitement liée à l'énergie, la question de la transition écologique revient au premier plan. Les branches pourraient-elles activer ce levier comme le leur prescrit la loi Climat du 22 août 2021 qui incite les branches à négocier sur les enjeux de la transition écologique ? Pour l'heure, constate François Millet, "les branches sont dépourvues d'idées face à cette réforme". Toutefois certaines branches innovent comme le commerce de gros qui met en place une logistique urbaine "durable" avec notamment des camions de livraison propres. Le problème, souligne Hugues Lapalus, est que "le thème de la transition écologique est très dépendant de l'entreprise et non de la branche".

Ce sujet pourrait également être traité par le biais de l'épargne salariale avec "des accords-types de branche basés sur des critères RSE dont la transition écologique, la baisse des émissions de CO2, estime Hugues Lapalus. Ce peut être un étendard pour les branches mais si la décision de mise en oeuvre d'un tel dispositif revient in fine à l'entreprise".

Agir sans disposer de toutes les cartes entre les mains sera donc le défi auxquelles vont être confrontées les branches professionnelles dans les semaines et mois à venir.

Florence Mehrez
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