Mieux prévenir les coûts cachés de la crise

Mieux prévenir les coûts cachés de la crise

27.04.2021

Gestion du personnel

actuEL-RH publiera désormais régulièrement les analyses des experts du Groupe Alpha, cabinet conseil dans les relations sociales et les conditions de travail. Dans cette première chronique, Estelle Sauvat, directrice générale du Groupe Alpha, recense les coûts cachés de la crise sanitaire que nous traversons, en dépit du "quoi qu'il en coûte" présidentiel.

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

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Confronté à une crise inédite, l’Etat a édicté la règle du "quoi qu’il en coûte" et a spectaculairement supporté l’essentiel des coûts économiques directs, en évitant le pire.  

Mais a-t-on pour autant circonscrit l’ensemble des coûts de cette crise ou reste-t-il des coûts cachés, non pris en charge, et susceptibles de freiner la relance, par leurs effets délétères au plan social, sanitaire ou économique ?

Car le coût de la crise ira bien au-delà du seul coût monétaire des dispositifs d’aides publiques déployés, dont le montant a été revu en mars 2021 à 160-170 Mds.  

Pour ce qui est du coût économique, il s’apprécie de manière plus large et on peut en tirer un bref diagnostic chiffré, à partir de la perte du revenu national, dont l’affectation entre les différents types d’agents économiques permet d’obtenir une répartition du coût de la crise. A cette aune, sur 2020, selon l’OFCE, l’Etat aurait supporté 65 % des pertes de revenu national, les entreprises 31 % et les ménages moins de 4 %. Il faut également souligner que le revenu des Français a, pour sa part, été globalement maintenu et que l’épargne accumulée (160 à 200 M€ selon les estimations) pourrait jouer un rôle d’amortisseur de futurs chocs économiques, si elle n’était pas exagérément concentrée sur les plus riches.

Cette quasi compensation apparente des coûts économiques de la crise dissimule des coûts sociaux, déjà en hausse. Même s’il est encore difficile d’en mesurer les coûts précis, leur montée en puissance semble inéluctable.

Déjà, sur le plan sanitaire, les effets du Covid-19 devraient continuer à se diffuser, du fait du report des soins durant les phases de confinement ou de la non-prise en charge de certaines maladies graves. Autant de situations individuelles dont on ne mesure pas encore tout l’impact social.

 La vague des restructurations et un déferlement des défaillances d’entreprises pourraient activement reprendre, dès lors que les mesures d’aides s’estomperont et ne les contiendront plus

A ce stade de la crise, on évalue que ce qui est mesurable et visible, "en surface", mais les mouvements en profondeur, impliquant des coûts invisibles et durables de la crise, sont à redouter. A court terme, en cette fin de période de troisième confinement, la vague des restructurations et un déferlement des défaillances d’entreprises pourraient activement reprendre, dès lors que les mesures d’aides s’estomperont et ne les contiendront plus. Cela induit également l’augmentation silencieuse et manifeste des ruptures individuelles, dont les moyens d’accompagnement sont souvent très limités comparativement aux dispositifs collectifs. Le risque d’isolement pour ces personnes peut avoir de lourdes conséquences socio-économiques : pertes de compétences et de confiance, appauvrissement progressif et ce, d’autant plus les personnes ne sont pas, a minima, stimulées pour être formées pendant cette période.

Cette crise frappe aussi les plus précaires, comme en témoignent l’augmentation du chômage (+0,9 point en 2020) – même si la hausse reste moins forte que ne l’aurait laissé présager la chute du PIB (-8,2 % en 2020) – et la hausse de la pauvreté (143 100 allocataires supplémentaires du RSA en 2020, + 30 % à 45 % de la demande d’aide alimentaire selon les associations caritatives).

Des secteurs, débouchés traditionnels pour une population peu formée et/ou de statut social précaire, restent à ce jour en grave difficulté : restauration et hôtellerie, culture... L’éventuelle réorientation de ces populations risque d’être difficile, et leur capacité à amortir par leurs propres moyens les pertes de revenus et d’opportunités professionnelles ne doit pas être surestimée.

L’impact de cette fermeture de débouchés sur l’emploi des jeunes et des étudiants n’est pas non plus sans conséquence. Ils subissent frontalement et de concert la précarisation économique, l’isolement et une série de ruptures scolaires, affectives, psychologiques. Comme le récent rapport de l’Assemblée nationale sur les effets du Covid pour les jeunes le souligne, "ils n’ont pas été contaminés par le virus, mais par la sinistrose". Selon ce rapport, un jeune sur six a arrêté ses études après la crise. Le Covid-19 a mis le doigt sur la grande pauvreté qui s’accentue depuis des années chez les jeunes et les touche au fur et à mesure que la société de consommation asphyxie toute autre aspiration.

Concernant la fermeture des écoles, l’OFCE avait établi la perte de croissance sur l’année 2020 à 0,5 point de PIB, pour six semaines de fermeture du premier confinement. Mais, au-delà de cette croissance amputée, ce sont bien les effets à long terme sur les apprentissages et la vie économique qui resteront difficiles à évaluer.

 On constate une accélération des plans de pré-retraites qui pourraient durablement fragiliser la reprise

Enfin, dans les entreprises et pour les salariés dits seniors, l’on constate une accélération des plans de pré-retraites qui pourraient durablement fragiliser la reprise. Ces dispositifs auxquels adhèrent largement les seniors engendrent toujours une perte de compétences et de savoir-faire potentiellement néfaste en sortie de crise, pour les entreprises elles-mêmes et pour les jeunes, faute d’une transmission adéquate le moment venu. Ces difficultés ont largement été observées lors de la crise de 2008.

Au-delà de tous ces effets économiques et sociaux dévastateurs, et qui n’ont rien d’optimistes, la crise masque aussi des conséquences diffuses, dont les premiers effets commencent à émerger.

Pour l’heure, une forte progression des troubles psychologiques se dessine. L’enquête CoviPrev de Santé Publique France a d’ores et déjà relevé que 20 % des Français souffrent d’un état dépressif, soit une hausse de 10 points comparativement à une période hors épidémie. Et ces risques psychiques sont aussi plus fréquents chez les jeunes et les femmes. Cette détérioration de la santé mentale, difficile à comptabiliser à l’échelle nationale, restera durablement un sentiment diffus de perte de repères pour l’avenir, notamment en termes d’emploi et de projection professionnelle. Les projets d’ordre privé pourraient aussi être affectés durablement comme l’illustre déjà la baisse sensible des naissances.

On ne peut ignorer le développement des risques psychiques, lié à la perception, pour de nombreux salariés, d’une dégradation du sens donné au travail.  

Sur le front des entreprises, qui œuvrent pour résister aux effets dévastateurs de la crise économique, on ne peut ignorer le développement des risques psychiques, lié à la perception, pour de nombreux salariés, d’une dégradation du sens donné au travail. En 2020, au-delà du seul phénomène du Covid-19, l’absentéisme a bondi.

La hausse est importante, bien qu’en partie masquée par le chômage partiel et le télétravail, qui ont eu pour effet d’amoindrir la nécessité d’un arrêt de travail et de diminuer les accidents de trajet. Avec la sortie de crise, ces effets vont s’amenuiser avec le risque sous-jacent d’un rebond de l’absentéisme, malgré la relance de l’économie, du fait des impacts diffus des changements d’organisation du travail.

Tous ces risques sanitaires et sociaux à retardement méritent d’être identifiés, maîtrisés, résorbés progressivement. Rien de facile, la tâche s’annonce ardue. D’autant que les premières lignes, dont les équipes RH font partie, ont été mis à rude épreuve depuis un an, avec la mise en œuvre du chômage partiel, du télétravail et des protocoles sanitaires, tout comme les managers, pour certains en situation d’épuisement et de saturation, tant les "stop & go" de cette crise à rebonds exigent des ajustements permanents des organisations du travail.

Un fonctionnement différent, parfois en mode dégradé dans les entreprises, s’est installé pour une période assez longue. La sortie de crise invite déjà les dirigeants et DRH à redéfinir les modèles existants, pour certains, à anticiper de nouvelles organisations et un nouveau rapport au travail, qui intègrent l’évolution des attentes citoyennes. Autant de changements de paradigmes profonds qui devront également viser une méthodologie des coûts socio-économiques, visibles et invisibles, pour mieux les prévenir. Car les confinements successifs, le chômage partiel comme le télétravail, ont eu des impacts inouïs sur les salariés.

Il est plus que jamais essentiel d’estimer au plus juste ces situations de tensions ou de risques psychologiques à l’heure de la reprise, tout en créant les conditions d’un narratif mobilisateur et d’un management inclusif pour des salariés au statut désormais hybride.

A l’ère du tout numérique et de la distanciation, l'implication et la proximité des managers avec leurs équipes seront tout aussi vitales que la reprise des activités 

Une attention particulière mérite d’ailleurs d’être portée sur les tensions invisibles ou les conflits nés des effets des confinements et du télétravail durable. La répartition des tâches, parfois inéquitable, parfois difficilement régulable, est souvent source d’oppositions multiples, de démobilisation aussi. A l’ère du tout numérique et de la distanciation, l'implication et la proximité des managers avec leurs équipes seront tout aussi vitales que la reprise des activités.

Investir des espaces de discussion entre employeurs et représentants du personnel, en mobilisant plus intensément les commissions SSCT au sein des CSE, est une voie qui permettra de limiter les coûts du désengagement. En mobilisant de concert le sens donné au travail, à l’action collective, aux nouveaux modes de collaborations, ferments de l’élaboration de nouveaux pactes de confiance entre directions, représentants du personnel et salariés.

Si l’essentiel se joue en amont, sur le terrain de la préservation des compétences dans les entreprises, pour qu’elles puissent relancer leur activité, la sortie de crise requerra un effort polymorphe, allant bien au-delà du seul bilan comptable.

Estelle Sauvat
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