"On est en train de construire la maison en commençant par le toit"

"On est en train de construire la maison en commençant par le toit"

29.01.2023

Gestion du personnel

Olivier Mériaux (*), directeur des études & synthèses au sein du cabinet Plein Sens, revient sur les grandes mesures de la réforme des retraites. Et notamment sur les dispositions portant sur l’emploi des seniors, la pénibilité et les reconversions professionnelles. Interview.

Vous estimez, dans une tribune publiée, le 24 janvier, dans Le Monde, que reculer l’âge légal de départ sans avoir obtenu au préalable des résultats tangibles en matière d’emploi des seniors serait non seulement "hypocrite" mais surtout "dangereux pour la cohésion sociale". Quelle est votre analyse ?

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

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A titre personnel, j’estime qu’on est en train de construire la maison en commençant par le toit. Faute de révolution culturelle et managériale pour améliorer durablement l’emploi des travailleurs expérimentés, le recul de l’âge légal se traduira par une aggravation des situations d’inactivité à l’approche de la soixantaine pour un gros tiers des salariés, dont une majorité de femmes. Avec des conséquences sociales d’autant plus importantes que l’exécutif a réduit la durée maximale d’indemnisation du chômage, y compris pour les plus âgés.

Ma conviction est que compte tenu de l’ancrage culturel profond de la vision dominante des "seniors" en entreprise et des pratiques de recrutement et de gestion des ressources humaines, cette situation ne se résoudra pas uniquement via une série de dispositifs ou de mesures éparses. Cela demandera une stratégie coordonnée, mobilisant tous ceux qui détiennent une partie de la solution, en premier lieu les entreprises. Et cela demandera forcément du temps, car les mécanismes structurels qui génèrent toutes les formes de retrait anticipé du marché du travail, pour des raisons de santé, d’inemployabilité ou de "fatigue", ne peuvent être modifiés rapidement.

Les DRH savent déjà qu’ils vont avoir à gérer des situations très compliquées :  augmentation de l’absentéisme et des arrêts maladies de longue durée...

Il faudra également du temps pour que les mesures d’accompagnement (fonds de prévention contre l’usure professionnelle, transition professionnelle, Index seniors) soient opérationnelles et que les entreprises adaptent leur fonctionnement à cette nouvelle donne. Pas simplement pour s’y conformer bêtement mais pour se les approprier et voir quels bénéfices opérationnels elles peuvent en tirer.

Tous ceux qui conduisent des projets de transformation le savent : il faut souvent accepter de perdre un peu de temps dans la conception d’un projet pour en gagner dans la mise en œuvre. Or la perspective d’un report de l’âge légal crée non seulement un rejet massif côté salariés mais aussi des craintes du côté des directions d’entreprise. Certes les dispositions sur les retraites progressives ou le cumul emploi-retraite permettent enfin d’envisager des transitions emploi-retraites plus personnalisées. Mais cela est loin de concerner tout le monde.

Je discute avec des DRH qui savent déjà, si les choses restent en l’état, qu’ils vont avoir à gérer des situations très compliquées :  augmentation de l’absentéisme et des arrêts maladies de longue durée, demandes de reconnaissance d’invalidité à 61 ans (seule "porte de sortie" pour échapper aux 64 ans pour tous ceux qui ne bénéficient pas des "carrières longues"). Avec à la clef des coûts indirects en termes de désorganisation et de performance, mais aussi des coûts directs en termes de complémentaire santé et de prévoyance. La prévention de la pénibilité va redevenir un sujet-clé à l’agenda social, mais là encore les résultats mettront du temps à se matérialiser.

Comment justement les entreprises peuvent-elles se préparer à mieux prendre en compte la pénibilité ? Ne risque-t-on pas de revenir à un système trop compliqué à mettre en œuvre?

Le dispositif de compensation de la pénibilité a déjà été largement allégé par les ordonnances de 2017, avec la "sortie" des facteurs de risque dits "ergonomiques" (port de charges, postures, vibrations) et du risque chimique. L’actuel projet de loi ne revient pas là-dessus, malgré les demandes des organisations syndicales. Il met en place un mécanisme alternatif de suivi médical renforcé, modifie quelques seuils d’exposition et par ailleurs prévoit de revaloriser les points du C2P. Pour les entreprises il n’y aurait donc pas de modification substantielle si on devait en rester là dans la discussion parlementaire.

On pourrait faire davantage de publicité pour les référentiels de pénibilité élaborés par les branches professionnelles. Il sont conçus à la bonne maille

Depuis 2017, la question de la complexité de la mise en œuvre du C2P est largement devenue un faux débat. Mais si on veut encore davantage faciliter la vie des entreprises, on pourrait faire davantage de publicité pour les référentiels de pénibilité, élaborés par les branches professionnelles. Il sont conçus à la bonne maille, en décrivant, poste par poste, les facteurs de risque auxquels sont exposés les salariés. Plus d’une vingtaine ont été homologués, notamment dans des secteurs comme les soins à la personne, le BTP, la logistique. Ils dorment tranquillement sur le site du "code du travail numérique". Et pourquoi ne pas les généraliser ? D’autant qu’ils sont aussi un moyen de sécurisation juridique : en cas de contentieux, l'employeur qui les applique ne peut pas être pénalisé.

Le projet de loi précise que les branches professionnelles devront identifier les métiers exposés. Est-ce le bon niveau pour déterminer ces facteurs de pénibilité ?

La négociation aura aussi un aiguillon : l’accès au fonds de prévention de l’usure professionnelle

Remettre ce sujet entre les mains du dialogue social au niveau de la branche est une bonne chose. On ne peut que s’en féliciter car c’est à ce niveau-là que la conception des politiques de prévention est la plus efficace. D’autant que la négociation aura aussi un aiguillon : l’accès au fonds de prévention de l’usure professionnelle, doté d’une milliard d’euros durant le quinquennat.

Même si pour l’heure, le dispositif reste très flou et qu’il sera certainement difficile de dépenser efficacement cet argent dans les prochaines années. C’est un des sujets sur lesquels la concertation a sans doute permis d’ajuster le mix entre carottes et bâtons, c’est à-dire un équilibre entre pédagogie, incitations à bouger et contraintes. Mais en sortant du calendrier imposé, on aurait sans doute pu aller beaucoup plus loin dans le sens d’une mise en convergence de tous les outils de branche en matière de formation, de parcours professionnels, de santé et de prévoyance.

Pour éviter l’usure professionnelle, que faut-il faire? Améliorer la prévention primaire ? Rendre les reconversions professionnelles vraiment possibles ?

Tout cela à la fois ! Le gouvernement n’a pu qu’observer l’échec du C2P, en particulier comme vecteur de reconversion : depuis sa création sur 1, 8 million de personnes concernées, 11 650 titulaires du C2P ont utilisé leurs points pour partir à la retraite plus tôt ou passer à temps partiel. Mais seulement 389 personnes l’ont utilisé pour suivre une formation !  

 Il faudrait quasiment "contractualiser" des parcours professionnels avec reconversion obligatoire entre 40 et 50 ans

Ce non-recours massif pose le problème des moyens d’information et d’accompagnement. Quand bien même ils seraient informés par leur employeur de ce dispositif, les salariés ont besoin d’une impulsion pour s’en saisir, avant même d’ailleurs que les problèmes de santé n’apparaissent. C’est toute la difficulté : pour des métiers dont on sait qu’ils auront un seuil de pénibilité "incompressible" quels que soient les efforts d’amélioration des conditions de travail, il faudrait quasiment "contractualiser" des parcours professionnels avec reconversion obligatoire entre 40 et 50 ans. 

Or, pour l’heure, il n’y pas un éco-système suffisamment dense d’opérateurs capables d’accompagner les entreprises et leurs salariés dans des transitions professionnelles en intégrant complètement les paramètres d’usure et de conditions de travail. Le projet de loi prévoit de renforcer les moyens des structures "Transitions Pro" par le biais d’une dotation de ce fonds de prévention de l’usure à France Compétences. A lire l’article 9 du projet de loi, il n’est pas sûr qu’on se dirige vers une forme de simplification... Ni de mise en cohérence des acteurs : on ne comprend pas vraiment comment cela va s’articuler avec les cellules de prévention de la désinsertion professionnelle prévues par la loi de 2021 et logées dans les services de santé au travail. Là encore, en desserrant le cadre de contrainte du calendrier et du vecteur législatif, on pourrait sans doute faire beaucoup plus efficace.

Dans ce contexte, les négociations sur l’emploi des seniors dans les entreprises, prévues dans le projet de loi, et intégrées à la GPEC, ne vous semblent pas pertinentes ?

Redonner la main au dialogue social, par l’intermédiaire des branches professionnelles, c’est la seule façon de progresser

C’est un premier pas. Mais il faut aller plus loin en renforçant à la fois les aspects coercitifs, pour les entreprises qui ont besoin d’être "aidées" à se comporter de manière socialement responsable, et les mesures d’appui, pour celles qui ne savent pas comment s’y prendre pour gérer leur main d’œuvre de manière plus soutenable dans le temps. C’est là-dessus qu’un dialogue social de branche devrait se concentrer, pour mettre en mouvement les entreprises, sans attendre qu’un jour la jurisprudence n’ajoute une nouvelle composante à l’obligation de maintien de l’employabilité. Redonner la main au dialogue social, par l’intermédiaire des branches professionnelles qui ont dores et déjà des politiques en matière de formation professionnelle, de prévoyance, de santé, c’est la seule façon de progresser.

De même l’Index seniors permettra-t-il d’améliorer le taux d’emploi des seniors ?

Il ne faut surtout pas chercher à faire de l'Index seniors un équivalent de l’Index égalité professionnelle, c’est-à-dire un outil unique de scoring

Attendons de voir quelle forme aura cet "Index seniors" quand les 464 amendements sur l’article 2 du PLFRSS seront passés ! Mais dans l’approche, il me semble qu’il ne faut surtout pas chercher à en faire un équivalent de l’Index égalité professionnelle, c’est-à-dire un outil unique de scoring où tout le monde à 20/20 à la fin (sauf les cancres du fond de la classe). Il devrait plutôt être conçu comme un tableau de bord avec quelques données clés et des indicateurs de pilotage des politiques engagées. D’ailleurs, c’est plutôt dans cette direction que va le projet de loi, en prévoyant que les branches pourront négocier leur index et le substituer à celui défini par décret. Peut-être que le bon sens finira par l’emporter...

 

(*) Ancien directeur technique et scientifique de l’Anact, Olivier Mériaux est également co-rédacteur du rapport sur l’emploi des travailleurs expérimentés (janvier 2020),

Anne Bariet
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