On ne rejouera pas Narolles

26.05.2021

Droit public

Les conséquences à tirer de l’annulation d’une décision qui avait un peu anticipé sur les évolutions législatives au cœur d’une nouvelle affaire de sanction prononcée par l’AFLD.

Une décision du Conseil d'Etat commentée dans ces colonnes avait annulé une sanction prononcée le 5 avril 2018 par le collège de l'AFLD pour incompétence de celle-ci puisque l’intéressé était licencié d’une fédération et que c’est donc cette dernière qui avait la compétence de principe pour prendre des sanctions disciplinaires à son encontre (CE, 28 févr. 2019, n° 423635 : lire « Avant l'heure, c'est pas l'heure » et lire « En l'absence de saisine de sa fédération, un licencié ne peut être sanctionné par l'AFLD »). L’AFLD avait un peu anticipé l’évolution des textes, qui allait intervenir avec l'ordonnance n° 2018-178 du 19 décembre 2018 entrée en vigueur le 1er mars 2019 en application du I de son article 37. Cette ordonnance a transféré à  l'Agence le pouvoir disciplinaire antidopage en entier, et non pas, comme c’était le cas auparavant, seulement en seconde ligne, en cas de carence de la fédération compétente (celle à laquelle le licencié était affilié). On se souvient également que dans la suite de l’affaire Narolles (CE, 11 avr. 2018, n° 413349 : lire), les textes ont été modifiés pour distinguer les autorités de poursuite et de sanction au sein de l’Agence, rôles dévolus respectivement au collège et à la commission des sanctions en raison de l’inconstitutionnalité de la confusion des deux, ainsi d’ailleurs que de sa contrariété à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

Découvrir tous les contenus liés

L’annulation résultant d’une incompétence de l’auteur de l’acte n’interdisait absolument pas à l’organe compétent de reprendre le processus de sanction. Toutefois, et c’est tout le charme de cette affaire, entre temps, l’ordonnance était entrée en vigueur et si l’annulation était prononcée parce que l’Agence n’était pas compétente pour intervenir en première ligne à la place de la fédération, à la date de l’annulation, elle l’était devenue, postérieurement à celle-ci, et la question était de savoir si elle pouvait intervenir  pour des faits constatés antérieurement à cette entrée en vigueur. L’inertie de la fédération délégataire (celle de motonautisme, peu confrontée aux problèmes de dopage) avait pour effet de la dessaisir à nouveau, mais cette fois en raison de l’intervention de l’ordonnance.

Une nouvelle procédure possible

Le collège de l'AFLD a donc décidé, le 5 septembre 2019, d'engager de nouvelles poursuites à l'encontre de l'intéressé. La commission des sanctions, le 24 juin 2020, prit une nouvelle décision d’interdiction qui fut déférée au Conseil d’Etat à nouveau par l’intéressé.

La question de savoir si l’Agence pouvait engager une nouvelle procédure, en dépit de l’annulation, a été jugée, il y a près de dix ans, dans une décision qui a admis la possibilité pour l'Autorité de contrôle prudentiel d'engager une nouvelle procédure de sanction après annulation d'une précédente sanction prononcée par la Commission bancaire, à laquelle l’autorité succédait, en raison d’une déclaration d'inconstitutionnalité, impliquant l'annulation des décisions de sanction prises sur le fondement de ces dispositions législatives (CE, 11 avr. 2012, n° 336839).

On était exactement dans le même cas que pour les sanctions antidopage après la décision Narolles et le collège pouvait donc engager une nouvelle procédure, puisque l’annulation précédente n’avait comporté aucune appréciation sur le fond.

Il est vrai que les III à V de l’article 37 de l’ordonnance de 2018, qui en régissaient les conditions d’entrée en vigueur précisaient que « Les procédures de sanction engagées devant les fédérations sportives à la date d'entrée en vigueur de la présente ordonnance et n'ayant pas donné lieu à décision sont poursuivies de plein droit devant l'Agence française de lutte contre le dopage. / Lorsque les procédures de sanction engagées par les fédérations sportives ont donné lieu à décision avant la date d'entrée en vigueur de la présente ordonnance, l'Agence française de lutte contre le dopage peut se saisir des décisions fédérales dont elle ne s'est pas encore saisie …, à des fins éventuelles de réformation ou d'extension de la décision fédérale. - Les procédures engagées par l'Agence française de lutte contre le dopage à des fins de réformation ou d'extension de la décision fédérale … peuvent donner lieu à la réformation ou à l'extension de la décision fédérale ».

Le cas précis dans lequel se trouvait le requérant n’entrait, en fait, dans aucune de ces trois hypothèses puisque celles-ci correspondaient aux cas où la fédération avait engagé des poursuites, comme elle devait le faire, et non pas celui où l’Agence s’était illégalement substituée à elle. Le Conseil d’Etat juge cependant qu’« en vertu de ces dispositions issues de l'ordonnance du 19 décembre 2018, le collège et la commission des sanctions de l'Agence avaient compétence, après l'entrée en vigueur de l'ordonnance, pour, respectivement, engager des poursuites et y statuer, et ce même à l'égard de faits constatés antérieurement à cette entrée en vigueur, dès lors que ces faits étaient punissables à la date à laquelle ils ont été commis et qu'ils le demeuraient. Dès lors, cette nouvelle procédure de sanction ne méconnaît pas le principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère ». En fait le cas improbable dans lequel se trouvait le requérant se réglait non pas par application des dispositions transitoires de l’ordonnance (qui n’étaient d’ailleurs peut être pas vraiment utiles) mais par l’application du principe général d’application immédiate des règles de procédure et de compétence.

Le principe d'impartialité des juridictions ne s'oppose pas à ce que le  collège, autorité de poursuite, relance la procédure

L’autre originalité de la situation, qui vaut à la décision l’honneur d’une publication aux tables du Recueil, était que si, entre temps, l’Agence était devenue compétente, le collège qui avait pris la première décision (annulée) n’était plus l’autorité qui prononçait la sanction mais seulement l’autorité de poursuite, c’est-à-dire qu’il décidait d’engager les procédures, sans prononcer les sanctions, compétence qui appartenait dorénavant à la commission des sanctions. Il ne s’agit pas d’une décision simplement formelle, même si pratiquement tous les cas positifs sont transmis à l’autorité de sanction, parce que l’article L. 232-22, précise que « le collège de l'Agence française de lutte contre le dopage peut engager des poursuites disciplinaires à l'encontre des auteurs d'infractions présumées ». Il ne s’agit donc que d’une possibilité et il appartient à l’organe de poursuite d’apprécier l’opportunité d’en engager une. Comme il s’était écoulé seulement deux ans entre les deux décisions, le collège n’avait été renouvelé qu’à la marge et le requérant soutenait que le collège qui s’était déjà prononcé en faveur d’une sanction ne pouvait plus, sans méconnaitre le principe d'impartialité des juridictions, qui se déduit tant de de l'article 16 de la déclaration de 1789, que de l'article 6 de la convention européenne, se prononcer à nouveau dessus et donc décider qu’il y avait lieu d’engager des poursuites.  

Le Conseil d’Etat a jugé sur ce point que le principe d'impartialité des juridictions ne s’applique pas à l'autorité de poursuite, puisque ce n’est pas elle qui est appelée à décider d'une éventuelle sanction, ou saisir à nouveau l'autorité de sanction.

Remarque : si cette décision est originale appliquée au cas national, elle s’inspirait toutefois à la jurisprudence strasbourgeoise. Dans une affaire « République fédérale d'Allemagne », la commission européenne des droits de l’homme (aujourd’hui disparue) avait estimé que le magistrat instructeur n'était pas appelé à statuer sur le bien-fondé de l'accusation pénale et donc que le paragraphe 1 de l'article 6 de la convention ne s’y appliquait pas (CE, 18 déc. 1974, n° 6541/74).

Le Conseil d’Etat en a déduit l’inopérance du moyen tiré de ce que des membres du collège de l'AFLD qui avaient fait partie de la formation disciplinaire ayant adopté la première sanction, aient participé à la délibération du collège de l'AFLD qui a décidé, d'engager de nouvelles poursuites qui ont conduit à la sanction, prononcée par la commission des sanctions de l'Agence.

Dominique Rémy, Conseiller scientifique Dictionnaire permanent Droit du sport
Vous aimerez aussi

Nos engagements