Orpea : un seul CSE pour tous les Ehpad, et un soupçon de discrimination syndicale

Orpea : un seul CSE pour tous les Ehpad, et un soupçon de discrimination syndicale

31.01.2022

Représentants du personnel

La filiale Orpea en charge des maisons de retraite (Ehpad) compte 220 établissements pour 13 000 salariés en France, mais un seul CSE de 35 membres et une seule commission santé, sécurité et conditions de travail. La CGT, qui conteste en appel ce découpage issu d'un accord collectif, va également lancer une plainte au pénal pour discrimination syndicale. La CGT, tout comme FO et la CFDT, accuse l'entreprise d'avoir favorisé un syndicat maison, Arc-en-Ciel.

L'enquête sur les conditions de vie des personnes âgées dans les établissements de retraite (Ephad) gérés par Orpea (lire notre article) se double d'une accusation de discrimination syndicale, réfutée jusqu'à présent par l'entreprise (1) . Selon la CGT, seul grand syndicat représentatif chez Orpea, mais aussi selon FO et la CFDT, Orpea a suscité la création d'un syndicat maison, Arc-en-Ciel, une organisation qui serait très largement favorisée par l'employeur (2).

Largement majoritaire dans l'entreprise avec environ 60% des suffrages, Arc-en-Ciel gère donc, avec l'Unsa, l'unique comité social et économique (CSE) de l'union économique et sociale (UES) d'Orpea en France, le CSE comptant 35 membres et 45 représentants de proximité. Cette UES regroupe les maisons de retraite (Ehpad), soit 220 établissements et 13 000 salariés en France. Ce CSE dispose d'une seule commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT), composée de 16 membres du CSE. 

Le découpage en un seul CSE est contesté par la CGT

Ce CSE unique (il y a un autre CSE pour l'UES clinique, qui compte 80 établissements) a fait l'objet d'un accord avec le syndicat Arc-en-Ciel le 26 mars 2019, mais ce découpage est contesté par la CGT (3). L'action de l'avocat Etienne Margot-Duclot a été rejetée par le tribunal judiciaire de Nanterre car trop tardive. Mais le conseil de la CGT a fait appel, et l'affaire sera bien examinée par la cour d'appel de Versailles.

Nos 5 droits d'alerte pour danger grave et imminents n'ont jamais été votés 

 

"Pour une entreprise de cette taille et avec autant d'établissements, il ne nous paraît pas du tout normal d'avoir un seul CSE", argumente Dominique Chave, secrétaire général de l'union fédérale CGT de la santé privée.

En outre, selon Guillaume Gobet, longtemps délégué syndical CGT chez Orpea, la gestion par un syndicat maison des instances représentatives du personnel permet à l'entreprise d'écarter toute initiative perçue comme menaçante : "En pleine crise Covid en 2020, nos cinq droits d'alerte pour danger grave et imminent, du fait par exemple d'absences de matériels, ont été repoussés. Au prétexte que tout allait bien, nous n'avons jamais réussi non plus à faire analyser les comptes par un cabinet d'expertise mandaté par le CSE".

Enfin, d'autres affaires individuelles font l'objet de procédures devant les prud'hommes : une déléguée syndicale CGT conteste ainsi la suspension de son contrat de travail devant les prud'hommes de Martigues. De son côté, la CFDT, qui dispose de deux élus en CSE, indique avoir demandé en décembre un droit d'alerte au sujet de plusieurs salariés dont les CDD ont été brutalement rompus.

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Un climat d'intimidation ?

Franck Houlgatte, responsable de l'union nationale des syndicats FO de la santé privée, nous raconte que FO a choisi d'exclure des délégués FO passés chez Arc-en-Ciel dont il critique une action "instrumentalisée" : "Par exemple, l'entreprise suggère au syndicat d'écrire un tract pour demander une prime anniversaire de 100€, prime qui est annoncée comme par hasard par l'employeur après la sortie du tract. Même chose en cas de problème dans un établissement : un délégué est envoyé et c'est lui qui peut annoncer quelques mesurettes prévues en amont par l'entreprise".

 A la RH, nous devions "sortir" les salariés se rapprochant des syndicats contestataires

 

Dominique Chave (CGT) rapporte lui plusieurs témoignages montrant qu'un salarié se faisant accompagner, lors d'un entretien, par un délégué CGT, était promis au licenciement, avec peu d'espoir d'être recruté par une autre entreprise concurrente. Ces pratiques dénotent un climat d'intimidation, climat qui expliquerait le silence ou la réserve des salariés jusqu'à présent, et elles iraient même jusqu'à la fraude électorale.

Les confédérations syndicales s'appuient sur le témoignage de Camille Lamarche, une juriste ayant effectué une alternance de 11 mois au service des ressources humaines (RH) d'Orpea et qui a été interviewée par France Inter lundi 31 janvier : "La politique mise en place au niveau de la RH est une politique visant à faire des économies au détriment des salariés (...) On m'a fait comprendre dès le départ que les salariés qui portent des contestations, quand bien même elles sont justifiées, ne sont pas les bienvenus dans l'entreprise. Au sein des RH, nous devions identifier les salariés qui se rapprochent trop des syndicats contestataires, comme la CGT, pour les "sortir" de l'entreprise".

Renouvellement en vue pour le CSE

C'est justement en vue du renouvellement du CSE prévu en 2023 que le syndicat CGT, peut-être rejoint par FO et la CFDT, envisage une action pénale afin de contraindre l'employeur à respecter les libertés syndicales et ouvrir le jeu syndical, comme l'a annoncé le Journal du Dimanche. Jeudi 3 février, la CGT a ainsi prévu une conférence de presse pour annoncer cette plainte. "Nous voulons faire reconnaître les faits de discrimination pour faire annuler les précédentes élections professionnelles ainsi que la signature des accords collectifs conclus depuis", annonce Dominique Chave. Le syndicat veut aussi voir la justice déchoir le syndicat Arc-en-Ciel de sa représentativité.

 La peur doit changer de camp

 

"Nous étions alertés depuis des années de la pression subies par nos élus et mandatés par le groupe Orpea dont les pratiques managériales répressives sont bien connues des inspections du travail et conseils de prud’hommes. Ce fut particulièrement le cas lors des dernières élections professionnelles", a également réagi la CFDT. Parce que "la peur doit changer de camp", le syndicat invite d'ailleurs les personnels de l'entreprise à lui transmettre "leurs attestations et témoignages qui viendront illustrer et renforcer l’enquête de Victor Castanet". "Il nous faut un vrai contre-pouvoir dans l'entreprise, avec des élus qui défendent les salariés", soutient Loïc Le Noc, secrétaire national CFDT. 

Pour les organisations syndicales du secteur médico-social, les pratiques anti-syndicales ou de favoritisme ne sont d'ailleurs pas l'apanage d'une entreprise, elles seraient assez répandues dans le privé. 

 

(1) La parution du livre de Victor Castaner, les Fossoyeurs, a entraîné dimanche le limogeage du directeur général de l'entreprise, Yves Le Masne, et son remplacement par Philippe Charier. Ce dernier est convoqué aujourd'hui par Brigitte Bourguignon, la ministre en charge des personnes âgées. "M. Charrier aura pour mission de garantir, sous le contrôle du conseil d'administration, que les meilleures pratiques sont appliquées dans toute l’entreprise et de faire toute la lumière sur les allégations avancées, en s’appuyant en particulier sur les missions d’évaluation confiées par le conseil d’administration à deux cabinets indépendants en cours de désignation", explique Orpea dans un communiqué du 30 janvier. "A aucun moment la direction du groupe n'a mis en place un système quelconque pour orchestrer les pratiques qui lui sont reprochées", avait affirmé l'entreprise dans un communiqué du 26 janvier. Selon les derniers chiffres connus, Orpea, toutes activités confondues, dégage une marge (Ebitda) de 24% du chiffre d'affaires, soit un résultat avant impôt de 133 millions au 1er semestre 2021, en progression de 35% par rapport à 2020.

(2) Sur son site, Arc-en-ciel propose une adhésion syndicale moyennant 25€/par an.

(3) Cet accord sur un CSE unique (voir notre pièce jointe) prévoit par exemple que l'accès au local du comité est limité à la tranche 9h-17h, "les clés du local" étant "tenues à disposition des membres du CSE auprès de l'accueil". A noter également un rythme triennal pour la consultation sur les orientations stratégiques.

 

► NDLR : nous avons tenté hier, en vain, de joindre Isabelle Signori, secrétaire du CSE d'Orpea et membre du syndicat Arc-en-Ciel. 

 

Bernard Domergue
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