Quand la lutte contre les dérives sectaires investit le Code de la santé publique

08.07.2024

Droit public

La loi n° 2024-420 du 10 mai 2024 “visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires et à améliorer l'accompagnement des victimes” comporte plusieurs dispositions inscrites dans le champ de la santé.

En effet, comme le relevait le Conseil national de l’Ordre des médecins dans son rapport consacré aux “Pratiques de soins non conventionnelles et leurs dérivés”, “aujourd’hui, la santé et le bien-être constituent le premier domaine de risque de dérives sectaires. L’offre des PSNC (pratiques de soins non conventionnelles) est en constante augmentation d’autant qu’elles sont promues par l’organisation de salons, par des magazines, des livres, l’importance du numérique, des sites Internet, des forums de discussion, etc. Les pratiques à risque sectaire s’appuient sur des présupposés constants, dont les plus récurrents sont :

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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  • l’approche médicale ne prend pas en charge l’humain dans toute sa dimension physique, spirituelle et psychique (médecine holistique) ;

  • la santé publique est à la main de l’industrie pharmaceutique (argument des antivaccins) ;

  • toutes les solutions sont dans la nature ou sont à trouver en soi ;

  • l’offre de soins est déficiente dans les territoires”.

Une dérive thérapeutique n'est toutefois pas nécessairement une dérive sectaire et inversement.

La dérive sectaire se définit comme un « dévoiement de la liberté de pensée, d’opinion ou de religion qui porte atteinte à l’ordre public, aux lois ou aux règlements, aux droits fondamentaux, à la sécurité ou à l’intégrité des personnes. Elle se caractérise par la mise en œuvre, par un groupe organisé ou par un individu isolé, quelle que soit sa nature ou son activité, de pressions ou de techniques ayant pour but de créer, de maintenir ou d’exploiter chez une personne un état de sujétion psychologique ou physique, la privant d’une partie de son libre arbitre, avec des conséquences dommageables pour cette personne, son entourage ou pour la société » (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires ou Miviludes).

Comme le souligne la Miviludes, “la dérive thérapeutique devient sectaire lorsqu’elle essaie de faire adhérer le patient à une croyance, à un nouveau mode de pensée. Prétextant l’inutilité des traitements conventionnels, le pseudo-praticien va demander au patient d’avoir toute confiance en lui car lui seul peut proposer la méthode « miracle » apte à le guérir. Il y a un endoctrinement, une sujétion psychologique qui le conduit petit à petit à rompre avec la médecine, puis avec sa famille et son environnement. Le gourou thérapeutique propose ainsi non seulement de soigner, mais aussi de vivre autrement” (Miviludes, “Quand une dérive thérapeutique devient-elle sectaire ?”).

Les auteurs du projet de loi sont partis du même constat et d’observations chiffrées alarmantes : “environ 25 % des 4 020 saisines de la Miviludes en 2021 concernent la santé. Dans ce domaine, les pratiques de soins non conventionnelles constituent 70% des saisines”. C’est pourquoi “il apparaît aujourd’hui essentiel de mieux protéger la santé publique et de sanctionner les pratiques les plus dangereuses pour la santé des personnes en portant une attention particulière aux pratiques en matière de bien-être, de soins et d’alimentation”.

Ainsi, la loi du 10 mai 2024 comporte un chapitre intitulé “Protéger la santé” (chapitre V). En complément du délit de placement ou de maintien en état de sujétion psychologique ou physique (nouvel article 223-15-3 du Code pénal), qui se trouve au chapitre II, est créé le délit de provocation à abandonner ou s’abstenir de suivre un traitement médical ainsi que la provocation à adopter des pratiques, présentées comme ayant une finalité thérapeutique ou prophylactique, exposant à un risque immédiat de mort ou de blessures graves (nouvel article 223-1-2 du Code pénal). La loi aggrave également les sanctions prévues pour certains délits lorsque l'infraction a été commise en ligne. Afin de faciliter le repérage et la répression des infractions, le législateur a enfin créé une dérogation supplémentaire au secret médical et a prévu l'information, dans certains cas, de l'ordre professionnel concerné.

Le nouveau délit de provocation

La disposition phare de cette loi, dans le champ de la santé, est sans conteste le nouvel article 223-1-2 du Code pénal.

Celui-ci réprime tout d'abord “la provocation, au moyen de pressions ou de manœuvres réitérées, de toute personne atteinte d'une pathologie à abandonner ou à s'abstenir de suivre un traitement médical thérapeutique ou prophylactique, lorsque cet abandon ou cette abstention est présenté comme bénéfique pour la santé de la personne concernée alors qu'il est, en l'état des connaissances médicales, manifestement susceptible d'entraîner pour elle, compte tenu de la pathologie dont elle est atteinte, des conséquences particulièrement graves pour sa santé physique ou psychique”.

Le Conseil constitutionnel, saisi par des députés et sénateurs, a précisé l'interprétation à donner à ce texte, dans sa décision n° 2024-865 DC du 7 mai 2024. Selon lui, l’incrimination est relativement précise et répond en cela à l'exigence de légalité des délits et des peines : le comportement réprimé par ces dispositions doit se matérialiser par des pressions ou des manœuvres réitérées tendant à l’abandon ou à l’abstention d’un traitement médical. Cet abandon ou cette abstention doit être présenté comme bénéfique pour la santé de la personne concernée. Il doit être constaté que cet abandon ou cette abstention est, en l’état des connaissances médicales, manifestement susceptible d’entraîner des conséquences particulièrement graves pour la santé physique ou psychique de la personne, compte tenu de la pathologie dont elle est atteinte. Il doit par ailleurs être établi que l’auteur a conscience que cet abandon ou cette abstention pourrait exposer cette personne à de telles conséquences. Enfin et surtout, puisque la provocation doit être adressée à toute personne atteinte d'une pathologie, la ou les victimes doivent nécessairement être “une personne ou un groupe de personnes visées à raison de la pathologie dont elles sont atteintes”. Il ne peut s’agir d’un public indéterminé, atteint notamment par le biais d’un moyen de diffusion en ligne. Cela est d’autant plus vrai que le texte exige des pressions ou des manoeuvres. Un “simple” discours contestataire à l’attention du public ne peut donc constituer le délit. Selon le Dictionnaire de l’Académie française, une pression est une “contrainte morale, influence exercée sur une personne ou sur un groupe de personnes”. Il peut donc s’agir d’un discours mais celui-ci doit être tenu avec force conviction, dans le but d’influencer la personne que l’auteur des faits sait atteinte d’une pathologie et de l’amener à un certain comportement.

Le nouvel article 223-1-2 du Code pénal réprime également “la provocation à adopter des pratiques présentées comme ayant une finalité thérapeutique ou prophylactique alors qu'il est manifeste, en l'état des connaissances médicales, que ces pratiques exposent à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente”.

Le Conseil constitutionnel a, là encore, précisé qu’il devait être établi que l’auteur de la provocation avait conscience que ces pratiques pourraient exposer les personnes qui les adoptent à de telles conséquences.

Sous ces réserves, les atteintes portées à la liberté d’expression et de communication sont nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi.

D’intenses discussions auront probablement lieu devant le juge pénal sur ce qu’est “l’état des connaissances médicales”. Il s’agit toutefois d’une notion déjà familière aux tribunaux, notamment dans les contentieux relatifs à la responsabilité des professionnels de santé ou à l’obligation vaccinale de ces derniers dans le cadre de la lutte contre la Covid 19.

Afin de ne pas porter une atteinte excessive aux libertés individuelles et à la liberté d’expression, le législateur a cependant expressément exclu du périmètre de l’infraction deux situations. Tout d’abord, le délit n’est pas constitué lorsque les circonstances dans lesquelles a été commise la provocation permettent d'établir la volonté libre et éclairée de la personne, eu égard notamment à la délivrance d'une information claire et complète quant aux conséquences pour la santé, sauf s'il est établi que la personne était placée ou maintenue dans un état de sujétion psychologique ou physique, au sens du nouvel article 223-15-3 (qui vise directement les dérives sectaires). Ensuite, le signalement ou la divulgation d'une information par un lanceur d'alerte, dans les conditions prévues à l'article 6 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 “relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique” ne constitue pas une provocation au sens du nouvel article 223-1-2.

Ce délit est puni d’un an d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. Lorsque la provocation a été suivie d’effet, les peines sont portées à 3 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende.

Il faut enfin souligner que ce délit peut probablement être commis en concours avec une autre infraction. En effet, la réalisation ou la participation habituelle à des activités de diagnostic et de traitement sans être titulaire du diplôme de docteur en médecine et inscrit au tableau de l’Ordre des médecins constitue le délit d’exercice illégal de la médecine, prévu par l’article L. 4161-1 du Code de la santé publique et réprimé par l’article L. 4161-5 de 2 ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende. La jurisprudence a une conception particulièrement extensive des notions de diagnostic et de traitement. Ainsi, le fait, pour un individu non inscrit au tableau de l’Ordre des médecins (qu’il soit d’ailleurs titulaire ou non du diplôme de docteur en médecine), de prétendre soigner une personne qu’il sait atteinte d’une pathologie, y compris par des pratiques présentées comme ayant une finalité thérapeutique ou prophylactique alors qu'il est manifeste, en l'état des connaissances médicales, que ces pratiques exposent à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente, constitue sans nul doute le délit d’exercice illégal de la médecine. Ces deux incriminations protégeant des valeurs différentes (le délit d’exercice illégal protège le monopole de la profession médicale, certes dans un but de santé publique mais la valeur protégée est ainsi plus large et distincte), il y a tout lieu de penser que les poursuites seront menées pour les deux infractions, en concours dit “réel”, lorsque les faits ci-dessus décrits seront commis. Ainsi, à titre d’exemple, un ancien médecin ayant demandé sa radiation volontaire du tableau de l’Ordre des médecins pour s’adonner à ce type de pratique tout en échappant aux poursuites disciplinaires pourra ainsi être doublement poursuivi devant le juge pénal.

L'aggravation des sanctions prévues pour certains délits

Pour tenter de mettre un terme à certaines pratiques qui facilitent la commission des infractions, le législateur a aggravé les sanctions prévues pour les délits d'exercice illégal de la profession de médecin, de pharmacien, de masseur-kinésithérapeute et d'infirmier ainsi que pour les pratiques commerciales trompeuses, lorsqu’elles ont été commises par l'utilisation d'un service de communication au public en ligne ou par le biais d'un support numérique ou électronique (art. 11 de la loi). Pour les délits d’exercice illégal, les peines sont portées à cinq ans d'emprisonnement et à 75 000 euros d'amende (au lieu de 2 ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende).

La nouvelle dérogation au secret médical

Pour encourager les signalements et aider ainsi à la découverte et la répression des infractions, un ajout a été opéré à l’article 226-14 du Code pénal. Celui-ci dispose désormais en son 2° bis que les peines encourues pour la violation du secret médical ne sont pas applicables “au médecin ou à tout autre professionnel de santé qui, avec l'accord de la victime, porte à la connaissance du procureur de la République des informations relatives à des faits de placement, de maintien ou d'abus frauduleux d'une personne dans un état de sujétion psychologique ou physique, au sens de l'article 223-15-3 du présent code, lorsqu'il estime en conscience que cette sujétion a pour effet de causer une altération grave de sa santé physique ou mentale ou de conduire cette personne à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables. Lorsque la victime est un mineur ou une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique, son accord n'est pas nécessaire. En cas d'impossibilité d'obtenir l'accord de la victime, le médecin ou le professionnel de santé doit l'informer du signalement fait au procureur de la République”.

Ainsi, lorsqu’un médecin ou un professionnel de santé repère qu’une personne est victime du nouveau délit de placement ou de maintien en état de sujétion psychologique ou physique, il peut en aviser le Procureur de la République sans risque d’engager sa responsabilité civile, pénale ou disciplinaire, si les conditions suivantes sont réunies :

  • cette sujétion a pour effet de causer une altération grave de la santé physique ou mentale de la victime ou de conduire cette personne à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables ; il s’agit bien ici de l’effet de la sujétion et non d’un simple risque que cet effet se produise ;

  • si l’accord de la victime ne peut être obtenu, sauf s’il s’agit d’un mineur ou d’une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique (auquel cas son accord n’est pas requis), le signalement peut être effectué mais son auteur doit en informer la victime.

L’idée sous-jacente ici est bien entendu que l’élément essentiel du nouveau délit de placement ou de maintien en état de sujétion psychologique ou physique réside dans l’emprise exercée sur la victime, qui n’est plus à même de se défendre elle-même. Le législateur a adopté le même raisonnement que celui suivi précédemment pour les victimes de violences intrafamiliales, visées au 3° du même article.

L’information des ordres professionnels

Selon l’article 13 de la loi, le ministère public doit désormais informer sans délai par écrit les ordres professionnels nationaux des professions de santé, de toute condamnation, même non définitive, pour une ou plusieurs des infractions mentionnées à l'article 2-17 du Code de procédure pénale prononcée à l'encontre d'une personne relevant de ces ordres. Sont concernées notamment les infractions contre l'espèce humaine, les atteintes volontaires ou involontaires à la vie ou à l'intégrité physique ou psychique de la personne, la mise en danger de la personne, les atteintes aux libertés de la personne, à la dignité, à la personnalité, la mise en péril des mineurs, mais aussi les délits d’exercice illégal de la médecine et de la pharmacie. Il n’en va autrement que lorsque cette information est susceptible de porter atteinte au bon déroulement de la procédure judiciaire.

Le ministère public doit également informer par écrit les ordres professionnels susmentionnés qu'une personne est placée sous contrôle judiciaire pour une de ces infractions et qu'elle est soumise à l'une des obligations prévues aux 12° et 12° bis de l'article 138, à savoir fournir un cautionnement, s’abstenir d’exercer certaines activités ou ne pas entrer en contact avec les mineurs, hors les cas où cette information est susceptible de porter atteinte au bon déroulement de la procédure judiciaire.

Il eût sans doute été intéressant de prévoir l’information systématique des ordres professionnels dès le stade des poursuites pour toute infraction de ce type lorsqu’elle est commise par l’une des personnes relevant de cet ordre professionnel ou lorsqu’il s’agit d’un exercice illégal, pour lui permettre de se constituer partie civile. En effet, les ordres des professions de santé peuvent se constituer partie civile pour toute infraction portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession (par ex., pour le conseil départemental de l’Ordre des médecins, cf C. santé publ., art. L. 4123-1).

Le législateur a néanmoins ainsi, de toute évidence, pris à bras le corps les liens entre dérives sectaires et dérives thérapeutiques.

Maïalen Contis, Docteur en droit, avocat au barreau de Toulouse
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