Raison d’être de l’entreprise : quelles conséquences pratiques ?

Raison d’être de l’entreprise : quelles conséquences pratiques ?

08.11.2018

Gestion d'entreprise

Les entreprises qui définiront leur raison d'être dans leurs statuts, comme devrait le permettre la loi Pacte, pourraient en profiter dans leurs relations avec les actionnaires et les parties prenantes.

La loi Pacte « va résoudre le conflit entre la performance sociale et environnementale et le profit ». Emery Jacquillat, président-directeur-général de la Camif Matelsom, en est persuadé. Défenseur de la raison d’être de l’entreprise et de la société à mission, il énumérait les bienfaits concrets de la future loi Pacte lors du Business & Legal Forum du 18 octobre dernier. Pour Philippe Portier, avocat associé au sein du cabinet Jeantet, les articles de la loi Pacte en la matière traduisent plutôt une œuvre des « forces de l’eau tiède ». Même si un message important est délivré aux entreprises.

« La loi protègera et pérennisera le projet de l’entreprise », avance Emery Jacquillat. Le projet Pacte entend notamment intégrer à l’article 1833 du code civil la mention selon laquelle « la société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ». Certaines entreprises pourront choisir de définir leur raison d’être dans leurs statuts et elles pourront également devenir des entreprises à mission, nouveau concept qui devrait faire son entrée dans le code de commerce (article 61 du projet de loi). Dans ce cas, un organe social distinct aura en charge de veiller au bon respect de la mission par la société.

Faire évoluer le rapport dirigeants-actionnaires

La Camif est déjà en avance. Une « cellule ose » a planché pendant 2 ans sur la définition de la mission de l’entreprise. « Deux ans pour écrire deux phrases, ce n’est pas très très efficace », plaisante Emery Jacquillat. Mais « elles sont inscrites dans nos statuts ». Et le travail a été mené de façon collaborative : « toutes nos parties prenantes ont été interrogées », explique-t-il. Que ce soit les clients, les actionnaires, les salariés ou encore les fournisseurs de l’entreprise, etc. Résultat, lorsque la Camif a choisi de ne pas participer au « Black Friday », il a privé ses actionnaires « d’une journée de résultats ». Mais, sans définition de la mission de l’entreprise dans ses statuts, il « aurait été attaqué pour faute de gestion », analyse le PDG anticonformiste. Aujourd’hui, ses actionnaires ne raisonnent plus uniquement « en fonction de leur intérêt personnel, souvent court-termiste et défini uniquement en fonction du profit, mais en fonction de l’intérêt propre de l’entreprise ».

« La loi va protéger le dirigeant. Nous allons passer du capitalisme du XXe siècle à celui du XXIe ».

Philippe Portier est un peu moins optimiste. La loi « n’apporte pas de grande nouveauté en termes coercitifs. Mais un message sera délivré ». Et lui aussi estime que le rapport entre les dirigeants et les actionnaires pourrait évoluer. « Si la raison d’être est bien construite et que l’intérêt social s’en trouve bien défini, cela permettra aux dirigeants de discuter avec leurs actionnaires et plus généralement avec leurs parties prenantes ». En revanche, « il n’y aura pas d’élargissement de la responsabilité des dirigeants ». La loi « va surtout servir à ceux qui veulent faire quelque chose. Les entreprises ne vont pas se sentir contraintes ou obligées » de s’y mettre. Car « l’attitude des entreprises face » aux enjeux de société est très variable, rappelle-t-il.

« Ce sont celles qui veulent convaincre leurs actionnaires qui verront un intérêt à la réforme ».

Pas d’outils de mesure a priori

Les entreprises « sont encore très axées sur la maximisation de leurs profits », note le secrétaire général et directeur juridique d’un grand groupe. Mais sa société veut « créer de la valeur durable sur le long terme ». Elle est favorable à la loi Pacte. Certaines filiales du groupe ont déjà obtenu le label américain « B corp » qui mesure leur performance extra-financière. Il est délivré par un organisme à but non lucratif « B Lab » aux entreprises démontrant des standards élevés de performance sociale et environnementale. Plus de 2 500 entreprises dans 60 pays du monde en bénéficient à l’heure actuelle, comme le glacier Ben & Jerry’s, le vendeur de vêtements Patagonia ou encore les cosmétiques Natura. La Camif aussi appartient au club des « B corp ».

La loi Pacte ne prévoit pas d’outil de certification. Mais elle a un mérite : que les entreprises se penchent « sur les objectifs sociaux et environnementaux auxquels elles souhaitent répondre », indique le secrétaire général. « C’est déjà important ». Car il croit à la technique des petits pas, à la fixation d’objectifs atteignables.

Et « plus les objectifs sont concrets plus la progression est rapide ».

La loi invitera « à une meilleure prise en compte des parties prenantes »

En matière de gouvernance aussi la loi Pacte devrait porter ses fruits. Car elle invitera « à une meilleure prise en compte des parties prenantes » par les sociétés, estime le directeur juridique. Même sentiment pour Emery Jacquillat. A la Camif, la « cellule ose » évalue chaque année le respect de la mission de l’entreprise, avec en son sein des collaborateurs de la société, des actionnaires et des experts indépendants du développement durable. Il espère pouvoir l’ouvrir à des représentants de ses clients. Un sujet qui « l’anime ».

Sophie Bridier

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