Rétention des enfants : la France à nouveau condamnée

15.05.2023

Droit public

La Cour européenne des droits de l'homme condamne une nouvelle fois la France pour violation des articles 3 et 5 de la Convention européenne des droits de l'homme à la suite du maintien en rétention d'un nourisson âgé de sept mois.

Par un arrêt du 4 mai 2023, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) condamne la France pour traitement inhumain et dégradant et atteinte au droit à la liberté et à la sûreté en raison du maintien en rétention d’une femme accompagnée de son nourrisson âgé de sept mois.

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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En effet, compte tenu de l’âge de l’enfant, des conditions de rétention qui prévalent au centre de rétention administrative de Metz-Queuleu et de la durée d’enfermement de neuf jours, cette mesure a constitué un traitement inhumain et dégradant.

Dans sa décision, la Cour observe par ailleurs que, compte tenu de ces conditions, une telle mesure ne pouvait être regardée comme strictement nécessaire pour atteindre le but poursuivi, et que, si le contrôle de légalité de la décision administrative du placement en rétention par l’autorité judiciaire s’est révélé conforme aux exigences de la Convention, en revanche, la décision de prolongation de la mesure, pour une durée de vingt-huit jours, révélait une défaillance du contrôle juridictionnel.

Remarque : par un arrêt du même jour la Cour a également condamné la France pour violation des articles 3, 5 § 1 et 5 § 4 de la Convention en raison de la rétention d’un nourrisson de huit mois et de deux enfants de six et treize ans qui accompagnaient leur mère au centre de Metz-Queuleu puis au centre n° 2 du Mesnil-Amelot, pour une durée totale de 10 jours (CEDH, 4 mai 2023, aff. 7534/20, A.M. et autres c/ France).

Des conditions de rétention qui ont soumis l’enfant mineur à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention

Faisant application des critères résumés dans les affaires « S.F. et a. c/ Bulgarie » (CEDH, 7 déc. 2017, aff. 8138/16) « M.D. et A.D. c/ France » (CEDH, 22 juill. 2021, aff. 57035/18) et « M.H. et a. c/ Croatie » (CEDH, 18 nov. 2021, aff. 43115/18), la Cour rappelle qu’elle apprécie l’existence d’une violation de l’article 3 de la Convention en mobilisant les trois facteurs suivants : l’âge des enfants mineurs, le caractère adapté ou non des locaux au regard de leurs besoins spécifiques et la durée de leur rétention.

Un âge qui fait présumer par lui-même une violation de l’article 3 de la Convention

En l’espèce, l’enfant était âgé de sept mois et demi. Or, pour la Cour, bien qu’une telle circonstance doive être combinée à d’autres critères, elle est, par elle-même, de nature à faire présumer une violation de l’article 3.

Un centre de rétention (Metz-Queuleu) inadapté à la rétention des enfants

La Cour ajoute que, comme elle l’a déjà observé dans une précédente affaire (CEDH, 12 juill. 2016, aff. 24587/12, A.M. et a. c/ France), les conditions de rétention au centre de rétention administrative de Metz-Queleu sont une source importante de stress et d’angoisse, sentiments aggravés par la dimension sécuritaire du lieu en raison de sa proximité avec le centre pénitentiaire.

Une durée de rétention excessive

Elle réaffirme enfin « qu’au-delà d’une brève période de rétention, la répétition et l’accumulation des effets engendrés, en particulier sur le plan psychique et émotionnel, par une privation de liberté entraînent nécessairement des conséquences néfastes sur un enfant en bas âge, dépassant le seuil de gravité » de référence.

En l’espèce, alors que la rétention a duré neuf jours, la Cour observe, dans un premier temps, que l’autorité administrative a « mis en œuvre toutes les diligences requises pour exécuter au plus vite la mesure de transfert et limiter ainsi la durée de la rétention autant que possible ».

Dans un second temps, elle rappelle toutefois que « le droit absolu protégé par l’article 3 interdit qu’un mineur accompagné soit maintenu en rétention dans les conditions précitées pendant une période dont la durée excessive a contribué au franchissement du seuil de gravité prohibé ».

Remarque : la Cour prend ici soin de rappeler que le comportement du parent (en l’espèce le refus d’embarquer de la mère) « n’est pas déterminant quant à̀ la question de savoir si le seuil de gravité prohibé est franchi à̀ l’égard de l’enfant mineur ».

Ainsi, conclut la Cour, compte tenu du très jeune âge de l’enfant, des conditions d’accueil dans le centre de rétention de Metz-Queuleu et de la durée du placement en rétention qui s’est déroulé sur neuf jours, elle constate que les autorités compétentes l’ont soumis à̀ un traitement qui a dépassé le seuil de gravité requis par l’article 3 de la Convention.

Et, par effet de ricochet, « eu égard aux liens inséparables qui unissent une mère et son bébé de sept mois et demi, ainsi qu’aux émotions qu’ils partagent », la mère aussi a subi le même préjudice.

Une atteinte, par voie de conséquences, au droit à la liberté protégé par l’article 5 § 1 de la Convention

Dans son arrêté, la Cour conclut également à la violation de l’article 5 § 1 de la Convention, en se fondant principalement sur la circonstance que le maintien en rétention était constitutif d’un traitement inhumain et dégradant. Ainsi, et de ce fait, la mesure litigieuse ne pouvait être regardée comme étant strictement nécessaire pour atteindre le but poursuivi.

Pour la Cour, il appartenait en effet aux autorités de vérifier si le maintien de rétention, au-delà des premières quarante-huit heures, « constituait une mesure de dernier ressort à laquelle aucune autre moins restrictive ne pouvait être substituée ».

C’est donc en s’abstenant de justifier d’une telle démarche que le représentant de l’État a méconnu les obligations découlant de l’article 5 § 1 de la Convention.

Un contrôle juridictionnel du juge français toujours défaillant

En dernier lieu, la Cour rappelle que pour apprécier le respect des exigences découlant de l’article 5 § 4 de la Convention, s’agissant du placement initial puis de la prolongation de la rétention administrative d’enfants mineurs accompagnant leurs parents, elle vérifie « si les juridictions internes ont effectivement tenu compte dans l’exercice du contrôle juridictionnel qu’il leur appartient d’effectuer, de la présence des enfants mineurs et ont recherché de façon effective s’il était possible de recourir à une mesure alternative à leur placement puis à leur maintien en rétention ».

En l’espèce, elle constate que, s’agissant de la prolongation de la rétention administrative, l’enfant n’a pas bénéficié d’un contrôle portant sur l’ensemble des conditions auxquelles est subordonnée la régularité de la rétention au regard du paragraphe 1 de l’article 5.

De fait, ni le juge des libertés et de la détention (qui a autorisé le maintien en rétention pour une durée supplémentaire de vingt-huit jours), ni le premier président de la cour d’appel (devant lequel l’ordonnance a été déférée), n’ont, selon elle, suffisamment pris en compte l’intérêt supérieur de l’enfant au stade de l’examen de la demande de prolongation.

Dès lors, la Cour considère qu’il convenait de constater une violation de l’article 5 § 1 au motif que les autorités internes « n’avaient pas suffisamment vérifié [...] que la prolongation du placement en rétention administrative de la première requérante accompagnée de son enfant mineur constituait une mesure de dernier ressort à laquelle aucune autre moins restrictive ne pouvait être substituée ».

Or, pour la Cour « cette absence de vérification effective des conditions qui concernent tant la légalité de la mesure de maintien en rétention en droit interne que le principe de légalité au sens de la Convention est particulièrement imputable aux juridictions internes auxquelles il incombait de s’assurer effectivement de la légalité du maintien en rétention de l’enfant mineur ».

Remarque : il est important de noter que le grief n’est relevé qu’en ce qui concerne la prolongation de la rétention. Ainsi, il ressort implicitement de cet arrêt que le placement initial en rétention pour une durée de quarante-huit heures peut satisfaire à la condition de nécessité, dès lors que l’éloignement est prévu à très bref délai.

Christophe Pouly, Avocat
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