"Si censure il y a, ce sera uniquement sur des motifs juridiques, qui seront alors à construire, en limitant par exemple le champ des lois de financement de la sécurité sociale"

"Si censure il y a, ce sera uniquement sur des motifs juridiques, qui seront alors à construire, en limitant par exemple le champ des lois de financement de la sécurité sociale"

06.04.2023

Gestion du personnel

Le 14 avril, le Conseil constitutionnel rendra ses deux décisions très attendues sur la réforme des retraites. La première sur la LFRSS pour 2023 qui porte réforme des retraites, la seconde sur la proposition de loi instituant un référendum d'initiative partagée afin que l'âge légal de départ à la retraite demeure à 62 ans. Bérénice Bauduin, maître de conférence à l'Ecole de droit de la Sorbonne, répond à nos questions sur la position que les Sages pourraient adopter sur ces deux textes.

Peut-on affirmer que la procédure parlementaire utilisée pour la réforme des retraites est inédite ?

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

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- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
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Le recours au vote bloqué et à l’article 49 alinéa 3 de la Constitution est assez fréquent dans le cadre des lois de finances. Le recours à ces articles n’est donc pas inédit pour une loi de finances, ces dispositions constitutionnelles permettant d’accélérer l’examen du texte. S’il est vrai que leur cumul avec les délais prévus à l’article 47-1 de la Constitution (applicable aux lois de financement de la sécurité sociale) est plus rare, rien n’oblige le Conseil constitutionnel à appréhender ces mécanismes constitutionnels de façon globale. Or, il semble qu’individuellement ces mécanismes aient été utilisés conformément au texte constitutionnel.

La véritable originalité de ce texte est le véhicule législatif utilisé pour une réforme des retraites, un projet de loi rectificative de financement de la sécurité sociale (PLFRSS). C’est ce point que devra trancher le Conseil constitutionnel.

Sur la nature du véhicule législatif, on peut se référer à une précédente décision du Conseil constitutionnel qui portait sur la LFSS pour 2018. Les requérants considéraient que l’article contesté, qui supprimait le régime social des indépendants (RSI) et modifiait les règles d'affiliation à l'assurance vieillesse de certaines professions libérales, était une mesure trop large pour figurer au sein d’une loi de financement de la sécurité sociale. Cet argument a été rejeté par le Conseil constitutionnel. Dans la LFRSS pour 2023, l’article le plus contesté est l’article 10 qui reporte l’âge de départ à la retraite et qui, certes, concerne davantage d’assurés sociaux.

Les saisines critiquent également le caractère insincère de la loi déférée. Cet argument peut-il prospérer devant les Sages ?

Ce principe de sincérité de la LFSS veut que la loi "détermine, pour l'année à venir, de manière sincère, les conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale compte tenu notamment des conditions économiques générales et de leur évolution prévisible" (article LO 111-3 2° du code de la sécurité sociale).

Le Conseil constitutionnel a tiré des conséquences précises de cette disposition en considérant que :

- La sincérité de la loi de financement rectificative de la sécurité sociale se caractérise par l'absence d'intention de fausser les grandes lignes de l'équilibre qu'elle détermine pour l'année en cours" ; 

- Qu’il se déduit du principe de sincérité une obligation de véracité des informations transmises au parlement et que la sincérité de la loi de financement de la sécurité sociale s'apprécie "au regard des informations disponibles à la date du dépôt du projet de loi de financement de la sécurité sociale et des dispositions contenues dans ce projet de loi" ;

- Enfin, qu’"il appartient au gouvernement d'informer le Parlement, au cours de l'examen de ce projet de loi, lorsque surviennent des circonstances de droit ou de fait de nature à remettre en cause les conditions générales de l'équilibre financier des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale et, dans ce cas, de corriger les prévisions initiales".

En l’espèce, s’il y a eu des "cafouillages" de la part du gouvernement sur les conséquences exactes de certaines mesures, il est difficile de considérer que la censure s’impose sur ce grief tiré de l’insincérité.

Le Conseil constitutionnel peut-il donner raison à ceux qui pointent la présence de cavaliers sociaux ?

Le Conseil constitutionnel va s'assurer que l'effet de chacune des dispositions de la loi sur les recettes ou sur les dépenses n’est pas "trop indirect". Pour apprécier cet effet, le juge constitutionnel privilégie le critère juridique au critère financier. En d'autres termes, c'est le lien juridique qu'entretiennent les dispositions contestées avec le domaine des lois de sécurité sociale qui justifie ou non la censure et non l'importance de leurs conséquences financières.

A cet effet, plusieurs mesures pourraient être considérées comme des cavaliers sociaux.

Tel pourrait être le cas de l’article 2 de la loi qui prévoit un Index seniors dans les entreprises de 300 salariés et plus, quand bien même le texte prévoit une sanction qui pourrait être rattachée à une loi de finances.

Le texte prévoit ensuite l’ouverture d’une négociation interprofessionnelle sur les seniors dans le cadre de l’article L.1 du code du travail, qui n’a pas de lien direct avec une LFSS. En l’absence de négociation interprofessionnelle, la loi prévoit un CDI de fin de carrière (CDI seniors) dont les modalités seraient définies par les branches professionnelles (dispositions supplétives) accompagné d’une exonération de cotisation. Mais là encore, le lien avec une LFSS apparait très ténu.

Il est également probable que le Conseil constitutionnel censure en tant que cavalier législatif l’article 17 de la loi qui instaure un suivi individuel spécifique des salariés ayant exercé des métiers exposés à des facteurs de risques professionnels.

Le Conseil constitutionnel pourrait donc, selon vous, ne pas aller au-delà de la censure de ces cavaliers sociaux ?

L’attitude - classique - du Conseil constitutionnel serait d’être prudent sur les motivations politiques et se contenter de censurer les cavaliers sociaux. Sur le véhicule législatif utilisé, si on peut rejeter la méthode ou la déplorer, la censure ne s’impose pas au regard de la jurisprudence constitutionnelle antérieure. Au regard de l’extrême tension du contexte social actuel, nous ne sommes toutefois pas à l’abri d’un coup de théâtre inattendu de la part du Conseil constitutionnel. Mais si censure il y a, ce sera uniquement sur des motifs juridiques - qui seront alors à construire -  en limitant par exemple le champ des lois de financement de la sécurité sociale.

Le Conseil constitutionnel pourrait-il censurer le texte au motif que la loi n’aura d’effets qu’à partir de septembre 2023 ?

Non. Peu importe que la loi ne commence à produire ses effets qu’en septembre 2023. Ce qui importe c’est que le texte ait des effets sur les recettes et dépenses de l’année. Or, en l’espèce, il y en a.

Le Conseil constitutionnel pourrait-il invalider la loi au motif que la démocratie sociale n’a pas été respectée comme ne cessent de le répéter les organisations syndicales ?

Non, le Conseil constitutionnel ne censure pas la loi sur le motif du non-respect de la démocratie sociale. Dans une décision du 21 décembre 2017, le Conseil constitutionnel avait rejeté un tel grief. Faute de valeur constitutionnelle, le grief tiré de la violation de l’article L.1 du code du travail est inopérant devant le Conseil constitutionnel. De plus, ce type de réforme ne rentre pas dans le champ d’application de cet article L.1.

La censure de certaines dispositions empêcherait-elle de les voir prospérer dans une autre loi ?

En cas de censure partielle ou totale de la loi, la possibilité de reprendre les dispositions censurées dans un autre texte de loi dépend de la nature de la censure. Si l’invalidation envisagée vise des cavaliers sociaux, ces dispositions peuvent être reprises dans une loi classique sans que cela ne soit censuré ultérieurement pour ce même motif.

Si la censure est liée à la violation de droits et libertés constitutionnels, ce qui est très improbable, c’est évidemment plus délicat car il faut tenir compte des motifs de censure pour ne pas être à nouveau censuré. Mais cela n’est pas impossible : souvenons-nous du système de plancher/plafond applicable aux indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La NUPES a développé des griefs qui reposent sur une méconnaissance de certaines dispositions de la Constitution consacrant des droits "substantiels" :

- En application de l’alinéa 11 du Préambule de la Constitution de 1946, le report de l’âge légal contreviendrait à un "droit à la retraite" ; 

- En application de l’alinéa 3 du Préambule de la Constitution de 1946, les femmes seraient défavorisées alors que le texte dispose que "la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme" ; 

- Enfin, en violation de l’article 1 de la Constitution de 1958, le texte augmenterait les difficultés des seniors sur le marché de l’emploi ce qui serait contraire à la "République sociale".

Selon nous, aucun de ces griefs n’a de chance d’être retenu car ils reposent sur une interprétation de la Constitution qui ne résulte pas de la jurisprudence constitutionnelle actuelle.

La Première ministre a adressé au Conseil constitutionnel une "saisine blanche". Cela empêchera-t-il  le dépôt ultérieur de questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) ? 

La QPC est possible pour les dispositions législatives qui n’ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances. La "saisine blanche" ne change pas grand-chose.

Lorsque le Conseil constitutionnel est saisi d’un contrôle a priori d’une loi, il peut soulever des griefs qui n’ont pas été expressément visés. C’est-à-dire qu’il peut se prononcer sur des dispositions qui ne sont pas directement contestées par les auteurs des saisines et qu’il peut soulever d’office une contrariété avec un autre droit constitutionnel que ceux invoqués. En principe, toutefois, le Conseil se contente d’examiner les griefs qui lui sont soumis et se limite ainsi aux dispositions effectivement contestées pour justement laisser de la place aux QPC. L’examen des QPC lui laisse en effet plus de temps pour trancher des questions complexes, et de surcroit dans le cadre d’une procédure contradictoire plus développée que dans un contrôle a priori. À cet égard, la saisine blanche n’aura aucun impact tangible.

Il faut toutefois que la procédure QPC permette de telles questions sur une loi de financement de la sécurité sociale. Il est en effet nécessaire que la disposition contestée par QPC soit applicable au litige en cours. Si tel est le cas, cela aura probablement lieu à l’occasion de contentieux administratifs sur les décrets pris pour l’application des dispositions législatives.

Venons-en à la proposition de loi sur le référendum d’initiative partagée (RIP) déposée par des parlementaires et sur lequel le Conseil constitutionnel rendra également sa décision le 14 avril. Quel est la nature du contrôle que va opérer le Conseil constitutionnel ?

Lorsque le Conseil Constitutionnel est saisi d’une proposition de loi sur un RIP, il vérifie que les conditions prévues par l’article 11 de la Constitution sont remplies.

- Le nombre de parlementaires signataires (un cinquième des membres du Parlement) ;

- La conformité de l’objet : les parlementaires peuvent soumettre au référendum "tout projet de loi portant sur l'organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d'un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions" ;

- Les conditions de délai : le RIP ne peut avoir pour objet l'abrogation d'une disposition législative promulguée depuis moins d'un an.

Et enfin si la proposition de loi n’est pas contraire à la Constitution dans sa totalité : partage de compétences entre le législatif et le réglementaire, respect des droits substantiels,…

Qu’en est-il de cette proposition de loi ?

La proposition de loi soumise au Conseil constitutionnel est constituée d’un article unique qui vise à inscrire dans la loi la règle selon laquelle l’âge d’ouverture du droit à pension de retraite ne peut pas être fixé au-delà de 62 ans. 

S’agissant de la conformité de son objet au regard de l’article 11 de la Constitution, on peut se demander si la proposition est une "réforme" en tant que telle car elle vise à maintenir l’état actuel du droit. Le texte du RIP sur la privatisation d’ADP proposait également un statu quo afin d’empêcher sa privatisation, mais en affirmant son caractère de service public. Les Sages ont considéré qu’il s’agissait bien d’une réforme en matière de politique économique sans que la question de la "réforme" n’ait été soulevée en tant que telle.

En revanche, en 2022, le Conseil constitutionnel a conclu à la non-conformité de l’objet du RIP visant à taxer les super profits estimant qu’il ne s’agissait pas d’une réforme relative à la politique économique de la Nation

S’agissant du délai prévu à l’article 11 de la Constitution interdisant à un RIP d’avoir pour objet l’abrogation d’une disposition législative promulguée depuis moins d’un an, la question n’a pas lieu d’être. En effet, dans toutes ses décisions RIP, le Conseil constitutionnel énonce le même attendu de principe : "à la date d'enregistrement de la saisine, elle n'avait pas pour objet l'abrogation d'une disposition législative promulguée depuis moins d'un an". Cela est dit expressément dans la loi organique sur le RIP et tel est le cas en l’espèce.

D’autres questions posent davantage de difficultés. La proposition de loi, telle que rédigée, semble vouloir lier le législateur pour le futur, ce dernier ne pouvant plus fixer l’âge de départ à la retraite au-delà de 62 ans. Or, le pouvoir législatif ne peut pas contraindre un pouvoir normatif de même nature. Le Conseil pourrait être amené à interpréter cette disposition en rappelant qu’elle ne peut avoir pour effet d’empêcher une réforme future.

Le Conseil constitutionnel pourrait soulever une autre interrogation, plus compliquée à résoudre, sur le fondement de l’article 40 de la Constitution selon lequel "les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l'aggravation d'une charge publique".

Si la LFRSS et le RIP sont tous deux validés par le Conseil constitutionnel, n’existe-t-il pas un risque d’aggravation des charges publiques ? Non pas par rapport à l’état du droit actuel qui fixe l’âge légal de départ à la retraite à 62 ans, mais dans l’hypothèse où le RIP arriverait à son terme, après le passage à 64 ans, et que l’âge de départ à la retraite passerait de nouveau à 62 ans ? La question est complexe car le Conseil constitutionnel se prononcera le 14 avril : or, à cette date, il ne pourra pas y avoir d’aggravation des charges publiques. En revanche, Le RIP pourrait aggraver les charges ultérieurement, au bout du processus.

Si le Conseil constitutionnel estime que le RIP est conforme à la Constitution, le PLFRSS s’il est validé sera-t-il suspendu le temps que le RIP aille à son terme ?

Non. La loi promulguée pourra entrer en application et le RIP suivra son cours. La Constitution ne prévoit en effet pas la suspension de la loi dans ce cas.

S’agissant du RIP visant à empêcher la privatisation d’ADP, le Conseil constitutionnel l’avait validé et lancé la deuxième phase sur le recueil de la participation des citoyens le 9 mai 2019. La loi autorisant la privatisation avait, elle, été validée le 16 mai 2019 et promulguée le 22 mai 2019. À cette date, elle était donc applicable. La procédure de recueil des participations dans le cadre du RIP avait pris fin le 12 mars 2020 mais n’avait pas recueilli assez de participation. La loi pourrait donc être promulguée et entrer en vigueur tandis que RIP poursuivrait son parcours en parallèle. 

A quel moment les deux dispositifs pourraient-ils s’entrechoquer ?

Au bout de neuf mois, le Conseil constitutionnel vérifiera si le nombre de participants est suffisant (le RIP doit être soutenu par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales) et si le processus peut ainsi aller à son terme. Dans ce cas, le texte sera soumis au Parlement qui dispose d’un délai de six mois pour l’examiner. En l’absence d’examen, un référendum devra être convoqué. Au bout du processus, le RIP pourrait donc - potentiellement - permettre de revenir sur la loi promulguée et éventuellement l’abroger en partie sur l’âge de départ à la retraite. Selon que le Parlement l’examine ou qu’un référendum est organisé, la procédure totale pourrait durer entre un an et deux ans.

Florence Mehrez
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