Sochaux-Lens, l’éternel retour

05.01.2022

Droit public

Cette fois-ci, les requérants se placent sur le terrain de la responsabilité sans faute.

Il y a des affaires qui marquent les esprits, non pas par leur intérêt intrinsèque, mais pas l’acharnement d’une des parties à poursuivre un contentieux dont l’issue est prévisible depuis longtemps. L’affaire Sochaux-Lens est un de ces nombreux exemples de cas où un club qui a perdu sur le terrain a voulu regagner sur tapis vert et profiter ainsi d’une circonstance complètement extérieure à ses performances.

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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A la fin de la saison 2013-2014, les résultats sportifs étaient sans appel : le Racing Club de Lens, 2ème de Ligue 2, montait en Ligue 1 et le Football Club de Sochaux Montbéliard (FCSM), antépénultième d Ligue 1, descendait en contrepartie. Mais la commission de contrôle des clubs professionnels confirmée par la commission d’appel de la DNCG jugeait l’accession du RCL en Ligue 1 impossible en raison de la situation financière du club. Ce refus d’accession entrainait mécaniquement le maintien de Sochaux qui n’était donc que le bénéficiaire indirect de la décision frappant Lens. Ce club, toutefois, saisissait la conciliation, et, le conciliateur proposait de substituer à la mesure d’interdiction d’accession au championnat de Ligue 1 une limitation de la masse salariale du club, assortie d’un contrôle du recrutement. Le comité exécutif de la FFF décidait d’accepter la proposition de conciliation ce qui permettait donc au club de Lens d’accéder en ligue 1 mais privait le club de Sochaux d’un maintien qu’il avait pu espérer pendant un mois, entre le 26 juin 2014 et le 28 juillet suivant. Cette déception, assez fréquente, ne fut pas admise et le club de Sochaux engagea une guérilla juridique contre la FFF qui, sept ans après, ne s’est pas encore calmée.

Ni maintien en Ligue 1

Il est vrai que les nombreux ressorts contentieux ont parfois conduit à des rebondissements inattendus qui ont prolongé l’affaire : dans un premier temps le tribunal administratif de Besançon par un jugement du 29 janvier 2015, à la surprise générale, annulait la décision de la FFF acceptant la conciliation car il estimait que les décisions prises par la DNCG et sa commission d’appel ne pouvaient être regardées comme des décisions de la FFF soumises à conciliation, et que la fédération n’avait donc pas le pouvoir de revenir sur de telles décisions. Ce jugement fut, de manière tout aussi inattendue, confirmé par un arrêt du 1er mars 2016 de la cour administrative d’appel de Nancy. Toutefois, le 22 juin 2017, le Conseil d’Etat annulait, pour erreur de droit, l’arrêt de la cour de Nancy et renvoyait l’affaire devant celle-ci. La cour administrative d’appel de Nancy récidivait alors le 19 juillet 2018, en retenant, cette fois, comme moyen d’annulation, que la FFF s’était fondée sur des moyens matériellement inexact parce que le virement SWIFT sur lequel s’était basé le conciliateur n’avait pas été exécuté immédiatement et que les 4 millions promis n’étaient parvenus au club lensois que quelques mois plus tard. Le 28 février 2020, le Conseil d’Etat, à nouveau saisi, annulait cet arrêt et rejetait la demande du club sochalien, près de six ans après les faits.

Ni indemnisation

On devine bien que l’enjeu de cette affaire n’était plus le maintien en Ligue 1, qui avait été écarté par le juge des référés du tribunal administratif bisontin dès l’origine, mais une éventuelle indemnisation de la perte de ce maintien. Dès octobre 2015 le club avait adressé une demande d’indemnisation –bien évidemment rejetée- à la Fédération et à la Ligue puis début janvier 2016 avait demandé au tribunal administratif de Besançon leur condamnation à hauteur de 45 M€. Ce dernier attendit bien logiquement que la question de la légalité de la décision soit réglée et c’est donc près de six ans plus tard que le tribunal examina la question.

Le club fondait sa demande sur deux terrains : la responsabilité pour faute et la responsabilité sans faute. Sur la première, si on sait que toute décision illégale est fautive et donc susceptible d’engager la responsabilité pour faute de son auteur, il n’y avait ici aucune illégalité, comme cela avait été au bout de cinq ans, définitivement établi par le Conseil d’Etat. Il pouvait difficilement y en avoir une dans le fait de ne pas avoir retiré sa décision, dès lors qu’elle était légale.

Pas de responsabilité sans faute, juste la noble incertitude du sport

Restait la responsabilité sans faute qui était invoquée sur les fondements du risque et de la rupture d’égalité devant les charges publiques. On devine que, face à une décision autorisant l’accession de Lens en L1 qui était légale, et dont découlait mécaniquement le maintien de la rétrogradation de Sochaux, aucun de ces deux terrains n’était facile à établir pour le club requérant.

En ce qui concerne le risque, le club soutenait qu’il avait dû accepter celui de voir un club participer à un championnat malgré la présentation de documents frauduleux. A ceci, le tribunal administratif répond que « la participation à un championnat sportif inclut nécessairement le risque pour les équipes engagées d’être reléguées au niveau inférieur. L’acceptation de ce risque est inhérente au déroulement des compétitions sportives, indépendamment du respect par les autres équipes engagées des conditions nécessaires au déroulement de la compétition ». On remarquera aussi qu’on ne voit pas bien comment Sochaux qui allait évoluer en L2 et qui n’allait donc jamais être confronté à Lens qui allait évoluer dans la division supérieure, pouvait être victime de quelque manière que ce soit d’un éventuel manquement à l’équité financière des compétitions au cours de la saison 2014/2015. La responsabilité pour risque suppose qu’il existe un lien direct et certain entre le risque auquel le requérant a été exposé et le préjudice invoqué (ex. : CE, Ass., 6 nov. 1968, n°72636 pour le cas de l’exposition d’une institutrice à un risque de contagion et les malformations dont son enfant a été victime) et il n’était déjà pas évident qu’il existait un tel lien de causalité directe et certaine puisque la rétrogradation résultait directement des résultats sur le terrain et non des problèmes financiers de Lens. Le risque de relégation ne résultait pas d’éventuelles manœuvres de l’autre club mais de la « noble incertitude du sport ».

La rupture d’égalité devant les charges publiques écartée

L’autre fondement invoqué était celui de la rupture d’égalité devant les charges publiques. La responsabilité de la puissance publique est en principe engagée quand une mesure légalement prise cause à certaines personnes un préjudice anormal, entraînant une rupture à leur détriment de l’égalité devant les charges publiques. Cette responsabilité peut être engagée, même si la décision est légale.

Exemple : c’est ainsi, dans le cas de la fermeture légale d'un camping, qu’un arrêt juge que la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit en se bornant à considérer qu’il n’y avait pas rupture de l’égalité devant les charges publiques par le seul fait que la décision soit légale (CE, 11 avr. 2008, n° 288528). Un arrêt admet que la responsabilité pour risque soit engagée dès lors qu’une mesure de fermeture d’un camping a été prise légalement pour parer à un risque d’inondation, ce qui provoque un préjudice anormal et spécial, mais cette fermeture ne pouvait être regardée comme un aléa excédant ceux que comportait nécessairement son exploitation arrêt (CE, 25 juill. 2007, n° 278190). De la même manière, dans une décision où l’exploitation d'une micro-centrale hydroélectrique avait été interdite en raison d'un risque grave apparent, l’arrêté d'interdiction avait été jugé légal alors même que la mesure prescrite s’était révélée ensuite inutile, mais le Conseil d’Etat refuse, implicitement, l'engagement d'une responsabilité pour rupture d'égalité devant les charges publiques (CE, 31 août 2009, n°296458).

Dans notre cas, le tribunal administratif écarte la responsabilité du fait de la rupture d’égalité dans les charges publiques qui se serait fondée sur le fait que le club aurait dû supporter seul l’intérêt de protection des compétitions et du risque contentieux avec le Racing-club de Lens en retenant que « les conditions d’accession pour le championnat ont été remplies par le RCL, ainsi qu’il résulte d’ailleurs de la décision du 28 juillet 2014 dont la légalité a été validée par le Conseil d’Etat ». En revanche, Sochaux « n’était, quant à lui, pas parvenu à éviter une relégation « sportive », lors de la saison précédente, au vu de ses résultats. Dans ces conditions, c’est par une exacte application du règlement des compétitions que l’accession du RCL et la relégation du FCSM ont été arrêtées, sans que ce dernier ait à supporter autre chose que le processus de relégation qui pèse sur chacun des clubs engagés dans cette compétition ». C’est là aussi le lien de causalité qui est en débat : la cause de la relégation n’était autre que le résultat sportif et non l’absence d’un refus d’accession inespéré.

On peut et on doit souhaiter que ce marathon contentieux s’achève là, avec une décision du tribunal administratif de Besançon qui, à la différence des précédentes dans la même affaire, on ne peut qu’approuver.

En fait, cette « queue de dossier » montre bien que le problème du contentieux du sport est essentiellement dans la grande liberté d’accès au juge de ceux qui ne sont que les bénéficiaires très indirects d’une décision.

Dominique Rémy, Conseiller scientifique Dictionnaire permanent Droit du sport
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