Travailleurs détachés : la loi travail renforce la vigilance sur toute la chaîne de sous-traitants

Travailleurs détachés : la loi travail renforce la vigilance sur toute la chaîne de sous-traitants

02.09.2016

HSE

La loi travail renforce, pour protéger les travailleurs détachés, l'arsenal de sanctions administratives, facilitant les arrêts d'activité, et donne au maître d'ouvrage la responsabilité de vérifier les déclarations de détachements. Entre autres.

C’est la rentrée. Myriam El Khomri rencontrait cette semaine Elisabeth Morin Chartier, députée européenne (parti populaire européen), et Gilles Savary, le député (PS, Gironde) qui a donné son nom en 2014 à la loi contre le dumping social (voir notre article). Objectif : parler du détachement des travailleurs. On ne peut pas dire qu’il y ait eu de pause estivale en la matière. La loi travail, adoptée fin juillet et promulguée le 9 août, y consacre un titre entier. Gilles Savary en a d'ailleurs été une des chevilles ouvrières. Le texte propose une série de nouvelles mesures. Beaucoup nécessitent d'être précisées par des textes d'application.

Ce fut le projet de loi travail ou El Khomri, c'est désormais aussi la loi du 8 août 2016, date de sa signature et veille de sa publication au Journal officiel.

De la réforme de la visite médicale aux changements sur la durée du travail, en passant par la réforme de l'inaptitude, nous vous détaillerons tous les changements ayant un impact sur la santé-sécurité au travail dans les semaines qui viennent.

Après avoir évoqué les diverses dispositions qui affectent les missions du CHSCT ( voir notre article), nous abordons ici le titre de la loi qui concerne le travail détaché, une thématique qui ne cesse d'évoluer ces dernières années sur le plan réglementaire.

La loi du 8 août 2016

 

Vigilance renforcée pour le maître d'ouvrage

Le donneur d’ordre ou le maître d’ouvrage recourant aux services d’un prestataire qui détache des salariés est censé vérifier que celui-ci a bien effectué la déclaration préalable au détachement. Et s'il ne parvient pas à en obtenir une copie, il est censé lui-même déclarer les travailleurs dans les 48 heures. Cela ne change pas avec la loi travail, même s'il faut souligner que l'obligation de faire une déclaration dématérialisée sur Spisi – impulsée  pour les employeurs par la loi Macron ; un décret du 29 juillet 2016 ayant précisé ceci – est en train de se généraliser. La vraie avancée de la loi travail (article 105) en matière de vigilance, est d'étendre cette obligation sur toute la chaîne. Elle fait peser cette responsabilité uniquement sur le maître d'ouvrage : il doit désormais aussi s'assurer que  les sous-traitants directs ou indirects de ses propres prestataires, considérés comme cocontractants, sont en règle quant à la déclaration préalable de détachement (article L.1262-4-1 modifié du code du travail). Idem auprès des entreprises d’intérim qui travailleraient avec ces sous-traitants. L'article 112 de la loi insiste d'ailleurs encore sur le cas des travailleurs intérimaires, obligeant toute entreprise étrangère, qui utilise des intérimaires mis à disposition par une entreprise d'intérim elle aussi étrangère, à adresser une déclaration spécifique à l’inspection du travail attestant que l’entreprise d'intérim sait que ses salariés sont en situation de détachement (article L. 1262-2-1).

► En cas de méconnaissance de son obligation de vérification auprès de son prestataire, le maître d’ouvrage ou le donneur d’ordre est (toujours) passible d’une amende administrative (article L. 1264-2 du code du travail). Le maître d'ouvrage devient en plus passible d’une amende administrative dans le cas où l’un des sous-traitants directs ou indirects de son prestataire (entreprises d'intérim comprises) n’aurait pas transmis à l’administration la déclaration préalable de détachement.

Accident du travail : déclaration obligatoire

Que ce soit l'employeur direct, le maître d'ouvrage ou le donneur d'ordre, lorsqu'un accident du travail touche un travailleur détaché, tous ont désormais l'obligation d'en faire la déclaration (nouvel article L. 1262-4-4 du code du travail). Une obligation, créée par l'article 105 de la loi travail, qui va dans le sens du renforcement de l'obligation de vigilance sur toute la chaîne de sous-traitance et doit elle aussi permettre de "mettre un terme aux montages juridiques consistant à insérer une entreprise écran entre le prestataire et le maître d’ouvrage afin d’échapper aux règles de vigilance qui pèse sur ce dernier", expliquait le rapporteur Christophe Sirugue lors des travaux législatifs. Jusqu'alors, l’obligation de déclarer l’accident du travail d’un salarié détaché auprès de l'inspection du travail ne s'appliquait qu'aux salariés détachés non affiliés à un régime français de sécurité sociale, et elle n'était inscrite que dans la partie réglementaire du code du travail. Délais et modalités de déclaration seront fixés par décret.

► En cas de méconnaissance de cette obligation, le maître d’ouvrage et le donneur d’ordre est passible d’une amende administrative (article L. 1264-2).

Sanction : l'activité de l'entreprise étrangère suspendue

La suspension de la prestation de service internationale, en tant que sanction infligée à une entreprise non établie en France et qui commet des manquements graves (durée maximale du travail, hébergement collectif indigne, etc.) avec ses travailleurs détachés et ne régularise pas la situation, a été créée par la loi Macron en 2015 (voir cet article et  celui-ci). Cette sanction serait plus efficace qu'une sanction pécuniaire. Il est en effet difficile de s'assurer du recouvrement forcé d'une amende pour une entreprise qui n'est pas établie en France, même si ce point s'améliore au fur et à mesure que la directive européenne "détachement" est transposée dans les États membres – ce que finalise d'ailleurs la France avec l'article 108 de la loi travail, en créant l'article L. 1264-4 du code du travail.

La loi travail, article 107, permet donc de dégainer plus souvent la suspension de la prestation de service, qui devient possible, sur ordre du Direccte (ou d'une autre autorité administrative compétente), si la déclaration de détachement n'est pas faite dans les 48 heures après le début du détachement (nouvel article  L. 1263-4-1 du code du travail). D'une durée d'un mois au maximum, elle prend fin dès que l'administration reçoit les déclarations. "Le respect de l’obligation de déclaration est en effet la condition même de toute démarche de contrôle", écrivait le député socialiste Christophe Sirugue, rapporteur du projet de loi. Des modalités d'application doivent être précisées par décret.

► La suspension de la prestation de service est cumulable avec l'amende administrative qui était déjà prévue en cas de non-déclaration de détachement, et avait été nettement revue à la hausse par la loi Macron : jusqu'à 2 000 euros par salarié détaché, 4 000 en cas de récidive, et ce autant de fois qu'il y a de travailleurs concernés, avec un plafond à 500 000 euros.

Dans le BTP, l'arrêt d'activité se fait plus sévère

En 2013, 43% des déclarations de détachement émanaient du secteur du BTP et la DGT dénombrait sur les chantiers français 92 448 salariés détachés. Ce qui en fait une cible prioritaire pour la lutte contre le travail dissimulé, d'autant que les enjeux de sécurité y sont importants. Loi après loi, l'arsenal répressif se renforce. Dans la loi travail, article 110, le gouvernement a décidé d'insérer un amendement qui était porté par le député Gilles Savary : en cas de fraude au détachement commis par une entreprise sur un chantier où œuvrent plusieurs entreprises, l'autorité administrative peut ordonner l'arrêt de l'activité de l'entreprise incriminée (article L. 8272-2 modifié du code du travail). Seule l’entreprise ayant eu recours au travail illégal est ainsi sanctionnée. Mais si cette sanction est sans objet au moment où l'autorité administrative la prononce – l'entreprise en question n'ayant par exemple eu une intervention que de quelques jours sur le chantier –, l'administration peut désormais prononcer l’arrêt de son activité sur un autre site, même si l'entreprise est en règle sur cet autre site.

Communication améliorée pour le contrôle

Pour contrôler le travail illégal, encore faut-il que les agents qui en ont la charge aient accès aux données récupérées par l'administration, et qu'ils puissent comprendre et se faire comprendre dans les établissements qu’ils visitent. Deux points que la loi travail ambitionne d'améliorer avec son article 109. D'une part, elle instaure l’ouverture des données issues des déclarations de détachement transmises à l’inspection du travail (article L. 1263-1 du code du travail) : tous les agents de contrôle compétents, listés par l'article L. 8271-1-2, y auront accès. Ce qui restait jusqu'alors entre les mains de l'inspection du travail pourra désormais être consulté par, notamment, la police, les impôts, les douanes, et même les agents de Pôle emploi chargés de la prévention des fraudes, agréés et assermentés à cet effet.

D'autre part, pour se faire assister d'un interprète assermenté afin d'aller contrôler un établissement, l'inspecteur du travail n'avait jusqu'à présent d'autre solution que de faire valoir son "droit d'audition". Le "droit d'entrée", auquel l'employeur ne peut s'opposer sous peine de délit d'obstacle, ne lui permettait pas d'entrer avec l'interprète. Or l'employeur peut s'opposer au "droit d'audition", et donc empêcher tout contrôle. La loi travail corrige cette faille et permet désormais à l'inspection du travail d'exercer son droit d'entrée accompagné d'un interprète (article L. 8271-3).

Informations en langue originale

Selon l'article 105 de la loi travail stipule que les travailleurs détachés sur des chantiers de BTP en France doivent être informés de la législation les concernant en matière de droit du travail, via un document. "Rédigé dans une langue qu’ils comprennent", il leur est remis en même temps que la carte d’identification professionnelle introduite par la loi Macron (voir notre article) (article L. 8291-1). Un décret précisera les modalités d’application de cette mesure. La législation qui leur est applicable devra également faire l'objet d'un affichage sur les chantiers de bâtiment ou de génie civil relevant d'une coordination de sécurité de niveau 1. À savoir ceux qui brassent plus de 10 000 hommes par jour, avec au moins 10 entreprises pour les opérations de bâtiment ou 5 pour les opérations de génie civil. "Accessible", cet affichage devra être traduit dans les langues parlées les travailleurs détachés (article nouveau L. 1262-4-5 du code du travail). Son contenu sera fixé par décret. On est loin ici de la solution initialement proposée par un groupe de parlementaires pendant les débats sur la loi travail avec l'amendement "Molière". Il s'agissait de contraindre maître d'ouvrage ou donneur d'ordre à s'assurer que chaque travailleur détaché parle et comprenne le français (voir notre brève).

��� Si le maître d'ouvrage méconnaît sa nouvelle obligation d'affichage, il est passible d'une amende administrative de même que le donneur d'ordre (article L. 1264-2 modifié du code du travail).

HSE

Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement. 

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Élodie Touret et Claire Branchereau
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