L'attribution de la palme d'or au film de Ken Loach "I, Daniel Blake" a été saluée par l'association Solidarités nouvelles face au chômage qui y voit l'occasion de "porter un regard neuf sur la situation réelle des chercheurs d'emploi". Le cinéma peut-il être un bon moyen de bousculer les stéréotypes que ce soit vis-à-vis des chômeurs ou des personnes handicapées ?
L'image a fait le tour des télés ce dimanche 22 mai. Au moment où le réalisateur anglais Ken Loach reçoit sa seconde palme d'or lors de la clôture du festival de Cannes, il soulève les deux poings de la victoire et déclare : "Un autre monde est possible et nécessaire". Le film "I, Daniel Blake" conte l'histoire d'un chômeur âgé confronté à l'obligation de travailler (pour ne pas sombrer dans la pauvreté) alors même que son état de santé ne le lui permet pas. Ce nouveau film du réalisateur quasi-octogénaire se situe dans l'Angleterre libérale de Cameron, mais elle a forcément des résonances dans notre pays avec ses 3,5 millions de chômeurs.
"Palme d'or aux laissés pour compte"
L'association Solidarités nouvelles face au chômage (SNC) ne s'y est pas trompée, saluant, dans un communiqué, "la palme d'or aux laissés pour compte". "I, Daniel Blake se veut le miroir d'une réalité souvent dure pour des millions de personnes en situation d'inactivité. Ken Loach (1) y critique une mentalité qui conduit à une forme d'injustice", estime le SNC qui, en France, mobilise plus de 2 000 citoyens bénévoles pour accompagner des chômeurs, souvent de longue durée. Mais en quoi un film, même populaire, peut-il tordre le cou à des représentations stéréotypées de la vie des chômeurs ? Le cinéma peut-il vraiment nous permettre d'ouvrir les yeux ?
"On ne voit plus la tragédie de l'ordinaire"
"Le quotidien ne nous interpelle plus, déplore Vincent Godebout, délégué général du SNC. Comme dit Ken Loach, on ne voit plus la tragédie de l'ordinaire." Dans ce contexte où l'indifférence face aux drames sociaux gagne du terrain, il estime que l'émotion peut être un déclic intéressant pour changer son regard, pour faire évoluer sa vision du monde. La subjectivité d'une fiction permet finalement de faire comprendre la réalité sociale de personnes dont nous semblons éloignés.
Cette expérience d'un changement de perception induit par un film, Christel Prado l'a vécue. La présidente de l'Unapei se souvient avoir vu Lady bird, là encore un film de Ken Loach (sorti en 1994) dans lequel une mère seule élevant ses quatre enfants se les voit retirés. "Mon regard sur les mauvaises mères en a été changé. J'ai compris la force du lien d'une mère avec ses enfants même quand elle est plongée dans la pauvreté", explique-t-elle
"La part d'humanité en chacun"
Dans le champ du handicap, la traînée de poudre suscitée par le film Intouchables (2011) continue à être commentée. Même si elle ne se déclare pas fan de cette comédie, la jugeant peu représentative du vécu des personnes handicapées, la présidente de l'Unapei lui reconnaît une grande qualité : "Ce film a permis au grand public de comprendre la part d'humanité qu'il y a en chacun."
Effet d'entraînement
Directeur général adjoint de l'APF, Patrice Tripoteau trouve important que le sujet du handicap ne soit pas abordé simplement sous l'angle du documentaire ou du reportage. "La fiction nous permet plus facilement d'oublier le handicap qui devient un sujet de création comme un autre." Selon le représentant de l'APF, le succès du film Intouchables a eu un effet d'entraînement sur d'autres productions. Deux autres films, notamment, Henri (réalisé par Yolande Moreau, 2013) et La famille bélier (2014), ont abordé directement le handicap au quotidien.
De quelle émotion parlons-nous ?
Concernant le premier pour lequel Christel Prado confesse une certaine tendresse, l'Unapei a été consultée sur le scénario et a proposé deux modifications mineures qui ont été intégrées. En revanche, l'organisation n'avait pas soutenu officiellement De toutes nos forces (2014) qui, dixit C. Prado, "dégoulinait de bons sentiments". Dans toutes les productions mettant en scène des enfants handicapés, pas facile de savoir où se situe la frontière entre l'émotion maîtrisée qui permet de faire réfléchir et celle qui engloutit tout... Les organisations du handicap sont très sensibles au fait de ne pas présenter une image du secteur misérabiliste ou sombrant dans la sensiblerie.
La stigmatisation des chômeurs dénoncée par le Cese
Par-delà l'évolution des mentalités difficilement mesurable, certains films peuvent avoir des effets plus ou moins directs sur l'agenda politique. Vincent Godebout raconte qu'une séance de projection du film La loi du marché (pour lequel Vincent Lindon a reçu un prix d'interprétation à Cannes en 2015) a été organisée par le SNC au Conseil économique, social et environnemental (Cese). Lequel vient d'adopter en mai 2016 un avis qui dénonce la stigmatisation des chômeurs. Même si le lien entre les deux événements n'est pas direct, le responsable de Solidarités nouvelles face au chômage y voit comme un clin d'oeil...
(1) Certains films du réalisateur anglais peuvent être vus gratuitement sur la chaîne Youtube (cliquer ici)
De la Croisette à Paname |
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Pour la 7e année, l'APF a organisé un festival de courts métrages traitant du handicap à Cannes, au moment du festival. Les films qui concourent sont accessibles à tous types de publics quel que soit leur handicap, grâce aux techniques d'audio description, de sous titrage, de traduction LSF, de boucles magnétiques portables, etc. Les organisateurs se félicitent du succès de l'édition 2016 : "Les chiffres de fréquentation sont éloquents, le nombre de films ayant candidaté est exponentiel, et le caractère international est confirmé par la provenance des films". Les sept productions retenues par le jury seront présentées à Paris, au cinéma des cinéastes ce jeudi 26 mai (renseignements ici) |