«Certains managers toxiques sont en souffrance car ils sont eux aussi des victimes», O. Coppin

Olivia Coppin, coach et formatrice spécialisée sur le savoir-être au travail auprès des organisations intervient dans diverses structures : cabinets d’avocats, grandes écoles, DJ, ONG. Son objectif : donner l’opportunité aux organisations d’avoir « un temps d’avance » sur l’identification et le règlement des situations de violence au travail.

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Dans le monde du droit, la violence au travail est-elle aussi présente que dans d’autres secteurs ?

Dans le monde du droit, en particulier dans les cabinets d’avocats, nous sommes passés d’une ère où les comportements toxiques étaient largement tolérés à une tolérance zéro. Pour autant, hier comme aujourd’hui, quand vous devenez associé, vous n’avez pas appris à manager. Il y a aussi un effet de répétition : les personnes confrontées à du management toxique hier vont reproduire ces situations demain.

Au sein des DJ, il y a une vraie bataille d’attractivité pour capter et fidéliser les talents. Les jeunes collaborateurs n’acceptent plus ce type de comportement. Aujourd’hui, le savoir-être est devenu à la fois un sujet de marque employeur et un enjeu réputationnel.

Comment agir lorsqu’un collaborateur dénonce une personne toxique dans l’équipe ?

Il faut déjà faire en sorte que le sujet ne soit plus un tabou pour que l’information remonte rapidement et que les solutions idoines soient proposées. Régulièrement, mettre en place des actions de sensibilisation au sein de l’équipe est utile pour que chacun ait conscience des comportements inappropriés. Si nous avons tous une sensibilité différente, l’organisation doit fixer la ligne rouge commune à ne pas franchir, et cela doit passer par des exemples concrets.

Ensuite, lorsque vous faites face à un problème de management toxique, la première chose est de faire confiance au salarié qui fait remonter l’information. Il est important de solliciter également la personne sur qui pèse l’accusation, essayer de clarifier la situation et en cas de problème de management lui proposer un coaching. Les managers toxiques sont aussi en souffrance. Ils se sentent incompris ou ne savent pas gérer le stress et cela se répercute sur leurs équipes. Se faire coacher est tout sauf une punition, mais le moyen de progresser et de dépasser ses blocages avec l’autre !

Lorsqu'on a une remontée sur un manager toxique, certes il faut absolument écouter et accompagner le salarié en souffrance mais il est essentiel d’aider également le manager à mettre en place d’autres mode de communication. Bien sûr, quand rien n’a fonctionné, la sanction reste le dernier levier.

Comment le directeur juridique peut-il savoir s’il est un bon manager ?

Il y a un ensemble de signaux faibles à connaître, comme le turn-over (si les personnes ne restent pas longtemps dans l’équipe). Par ailleurs, remettre en question son comportement : à quel point j’accepte l’opinion de l’autre ? Est-ce que j’accepte qu’on me contredise souvent ? Est-ce que chacun peut s’exprimer ? Si des collaborateurs terminent systématiquement à 20h, la notion de présentéisme ne cache-t-elle pas un sujet de violence au travail ? Sont-ils autonomes dans leur emploi du temps, dans leurs tâches ? Cela vous permettra de voir ce sur quoi il faut travailler. Si lors des réunions que j’anime, personne ne s’exprime, cela signifie que le rapport à l’autorité est compliqué ou alors que cette réunion est dépourvue de sens, attention au bore-out.

Certains managers sont très à l'écoute mais ils ont un grand besoin de contrôle. Par exemple, ils sont très rigides sur la manière dont les membres de l'équipe gèrent leur planning. Ces derniers peuvent alors avoir l'impression que le manager n'a pas confiance en eux.

Je compare souvent le management à la parentalité : être un bon parent en soi ne veut rien dire, idem pour le manager, cela dépend de la personne que l’on a sous sa responsabilité. Notre manière de communiquer va marcher avec un tel mais pas avec l’autre. La clé est donc de s’adapter à l’autre, à partir de ce que l’on est. Concernant les métiers du droit, on apprend aux élèves à réfléchir, à raisonner, mais pas à manager. Ce sont souvent des métiers où on raisonne seul,  où on a peu appris à travailler avec l’autre et donc à developper son intelligence émotionnelle, sa capacité d’adaptation ou son empathie. Pourtant, ce sont des qualités utiles pour manager.

Il faut par ailleurs sensibiliser, former l’ensemble du staff : les salariés d'aujourd'hui seront les managers de demain.

Une personne victime de violence au travail peut-elle ensuite devenir auteur ?

On peut tous être victime un jour puis auteur un autre jour, voire les deux. Certains managers toxiques sont en souffrance car ils sont eux aussi des victimes : pression de la hiérarchie, problèmes personnels…

On peut être victime puis devenir un vrai tyran : cela détruit l'estime de soi donc il est difficile de manager. On peut se sentir menacé par les talents qui nous entourent et il est alors compliqué de mettre en avant les bons éléments de son équipe. D’ou l’importance de former et de sensibiliser le plus tôt possible.

Les jeunes salariés sont-ils plus souvent victimes de harcèlement au travail ? Pourquoi ?

Les jeunes ne sont pas du tout préparés au monde du travail. Souvent, ils sont victimes deux fois : ils n’ont pas conscience de leur statut de victime. Ils pensent ne pas être à la hauteur et vont davantage se remettre en question par rapport à des profils plus expérimentés.

Il faut les accompagner. Lorsqu’on est sensible au savoir-être très tôt, cela permet d’identifier qui on fait évoluer en tant que manager.

Que conseilleriez-vous à un lecteur qui s’estimerait victime de harcèlement ?

Dès les premiers signes, je recommande d’en parler aux RH ou à la direction et de faire remonter l’information. C’est à partir de là qu’une médiation ou un coaching de l’auteur peuvent être déclenchés. Ensuite, se faire aider : en parler à ses proches, se faire accompagner par un coach ou un thérapeute si la santé mentale est impactée. Le plus important est de réagir le plus tôt possible et surtout de prendre conscience que ce n’est jamais de sa faute.  La victime est toujours le réceptacle de la violence de l’auteur, jamais la cause. Et une bonne fois pour toutes, l’incompétence présumée d’un salarié ne justifie jamais la violence.

Donc, ne remettez pas en cause vos compétences. Si vous avez été embauché, c’est que vous êtes à votre place.

Si la poursuite de vos missions est trop difficile, projetez-vous sur un autre poste. Lorsque le management toxique se révèle être du harcèlement, prenez rapidement conseil auprès d’un avocat.

Et à l’auteur qui réalise qu’il est manager toxique ?

Je leur rappelle qu’ils sont comme 95 % des gens : ils ne savent pas manager car c’est un exercice difficile qui demande a être formé. Je leur rappelle aussi qu’il n’y a pas de fatalité : ce n'est pas parce qu'on est mauvais manager un jour qu’on le sera toujours. Cette épreuve peut vous permettre justement de vous remettre en question et de développer de nouvelles qualités. Il ne faut pas avoir honte d’être un mauvais manager. La honte, c’est de ne pas vouloir changer.

L'auteur qui prend conscience de son comportement peut aller s'excuser auprès des personnes qu'il a pu blesser et commencer un travail sur lui grâce au coaching pour devenir un meilleur manager.

Enfin, le savoir-être au travail est devenu un levier business ! On ne peut plus réussir une carrière quand on est manager toxique. Cette époque est révolue car cela se répercute sur la productivité des collaborateurs, il y a du turn-over… Cela met en péril la bonne continuité du service et le risque réputationnel pour l’entreprise est aujourd’hui bien trop fort.