La place des salariés dans la gouvernance de l'entreprise s'invite au Conseil constitutionnel !

La place des salariés dans la gouvernance de l'entreprise s'invite au Conseil constitutionnel !

06.10.2017

Représentants du personnel

Lors d'une table ronde organisée par le Conseil constitutionnel, Laurent Berger a plaidé mercredi soir pour un renforcement de la place des salariés dans la gouvernance des entreprises. Pour Jacques Aschenbroich, PDG de Valeo, il faut au contraire "sortir du système du code du travail" et des protections accordées aux salariés pour permettre aux entreprises de s'adapter plus vite.

Faire débattre jusqu'à minuit un patron de multinationale, une avocate d'entreprise et un leader syndical de l'avenir du droit du travail. Tel était le pari audacieux du Conseil constitutionnel pour la première édition de la Nuit du droit. Cet événement, organisé mercredi 3 octobre afin d'intéresser un large public au droit, a provoqué l'affrontement de deux visions de la direction des entreprises.

Réforme du code du travail : "C'est moins de la flexibilité qu'un nouveau rapport au temps"
À titre liminaire, l'avocate Emmanuelle Barbara s'est interrogée sur le sens de la succession de réformes du droit du travail ces quinze dernières années : "Dans un objectif louable de lutte contre le chômage de masse, le législateur acte un nouveau rapport au temps. Pour répondre aux besoin d'efficacité dans la gestion des entreprises, on accepte que le temps soit comprimé. C'est cette idée que l'on retrouve derrière la fusion des instances représentatives du personnel, de l'encadrement des délais de consultation des élus ou encore des PSE, illustre-t-elle. Les gouvernements successifs ont admis que l'entreprise est légitime à s'adapter, et cela rapidement à condition de trouver un accord avec les syndicats. Les ordonnances Macron accompagnent ce mouvement avec l'introduction d'un concept vraiment nouveau : la rupture conventionnelle collective. Il en résulte moins de la flexibilité au profit des employeurs qu'une accélération de la mise en oeuvre des décisions. Et côté salarié il s'agit moins de protéger que de développer l'employabilité", résume l'avocate auprès des entreprises.

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

Découvrir tous les contenus liés
Pour la CFDT,  les ordonnances Macron "restent un peu trop lutte des classes"
Plus que la rapidité, Laurent Berger souligne lui la nécessité d'articuler autrement la loi, la négociation collective et le contrat de travail, sujet au coeur des ordonnances Macron. "Quels sont les lieux les plus adaptés pour répondre aux attentes des salariés ? C'est cette préoccupation qui justifie que l'on donne aujourd'hui la primauté à la négociation d'entreprise, soutient le secrétaire général de la CFDT. Ce qui bien sûr n'empêche pas de conserver un socle légal minimal et des normes de branches pour éviter le dumping social. La difficulté c'est que le gouvernement ne va pas jusqu'au bout de la démarche, qui exige d'organiser une vraie culture du dialogue social. Ne pas rééquilibrer les moyens de négocier et renforcer la participation des salariés aux décisions de l'entreprise est un signe d'immaturité. Ces ordonnances étaient l'occasion de faire évoluer le syndicalisme, mais le gouvernement est resté trop méfiant, trop lutte des classes", regrette le leader syndical.
"Il faut sortir du système du code du travail", selon le PDG de Valeo
Un éloge du dialogue social aussitôt malmené par les propos, très unilatéraux, de Jacques Aschenbroich, PDG de Valeo : "J'ai été patron en Allemagne, pays de la cogestion. La différence c'est qu'en Allemagne les syndicats sont représentatifs de la grande majorité des salariés et qu'ils votent la fermeture des usines quand il faut couper les branches mortes pour sauver l'ensemble. Voici trois exemples vécus depuis mon arrivée chez Valeo qui démontrent que la protection juridique des salariés peut tuer l'emploi. À Angers nous avions deux sites éloignés de 5 kilomètres, l'un en pertes et l'autre bénéficiaire. Et bien on ne pouvait pas transférer les salariés d'un site à l'autre sans leur accord ! Le droit français préfère obliger l'employeur à licencier plutôt que d'imposer au salarié de faire l'effort de se former à un nouveau métier.
 La protection juridique des salariés peut tuer l'emploi

Au final, nous avons organisé la fusion des deux sites pour enfin pouvoir transférer les salariés d'Angers sud vers Angers nord. Cela nous a fait perdre un an alors même que c'était dès le premier jour une décision de bon sens financier, s'insurge l'employeur. Idem à Nogent le Rotrou, lorsque l'on a changé la production de l'usine et souhaité passer des 3X8 aux 5X8, parce que les salariés ont leurs propres activités, il a été exigé que l'on obtienne leur accord avant de modifier le contrat. Cela nous a forcé à organiser trois référendums successif pour obtenir un taux d'adhésion de 80%, permettant de limiter les indemnités de licenciement à verser et ainsi préserver la compétitivité du site". Le PDG de Valeo synthétise ainsi son désir de réforme : "La modernisation des usines n'emporte pas de réduction des emplois mais il faut être rapides, flexibles, revoir les grilles de salaires et les horaires de travail. Les technologies, les productions, les organisations évoluent de plus en plus vite, c'est pourquoi il faut sortir du système du code du travail, soutient-il. C'est une spécificité française qui rend difficile la vie des entreprises et qui laisse les investisseurs étrangers totalement incrédules".

Les salariés ne doivent pas s'excuser de bénéficier d'un minimum de protections

 

Difficile alors, pour Laurent Berger, de dissimuler son agacement : "Je ne supporte pas la caricature faite par certaines organisations syndicales qui décrivent l'entreprise comme un lieu d'exploitation, mais je ne suis pas non plus d'accord avec vos propos (M. Aschenbroich). Je peux vous présenter des syndicalistes qui ont signé des accords PSE, pas de gaïté de coeur, mais qui l'on fait. Et je ne crois pas que les salariés français, qui créent quand même de la richesse, doivent s'excuser de bénéficier d'un minimum de protections. Il faut certes plus de souplesse au niveau de l'entreprise, mais pas dans un cadre où le patronat disposerait de la vérité absolue et les syndicats ne seraient là que pour signer. Il faut responsabiliser les acteurs et renforcer la place des salariés dans la gouvernance des entreprises", répète le secrétaire général CFDT.
Pas de dialogue social sans transparence à l'égard des élus
Un propos largement approuvé par l'avocate Emmanuelle Barbara : "Il faut effectivement revoir la gouvernance pour co-construire le droit à tous les étages de la fusée. Dans le cadre de mon activité de conseil aux entreprises, j'invite mes clients à prendre leurs responsabilités et faire en sorte que leurs partenaires sociaux partagent leur vision. Ce n'est pas notre culture mais il faut dire les choses en vrai". Et le PDG de Valeo d'adoucir son propos : "Il n'y a effectivement pas de dialogue social s'il n'y a pas de confiance, concède-t-il. C'est pourquoi j'ai toujours présenté aux représentants du personnel ce que je présente au membres du conseil d'administration, sans aucune censure. Il faut alors accepter que le futur n'est pas écrit et que l'employeur n'a pas la réponse à tout. Il faut expliquer ce que l'on sait et avoir le courage d'admettre ce que l'on ignore". Et Laurent Berger de conclure, dans la salle où se déroulent habituellement les audiences QPC (question prioritaire de constitutionnalité) devant les Sages, par une formule énoncée à plusieurs reprises par François Rebsamen en 2015, et plus récemment par la ministre du Travail Muriel Pénicaud : "Le droit du travail de demain ce n'est pas moins de droits, mais mieux de droits".
Julien François
Vous aimerez aussi