De nouvelles surveillances visent les experts-comptables et les avocats

De nouvelles surveillances visent les experts-comptables et les avocats

31.05.2018

Gestion d'entreprise

Définitivement adoptée, une directive impose aux intermédiaires fiscaux, dont en principe les experts-comptables et les avocats, de déclarer certains schémas agressifs. Ce dispositif est à rapprocher d’un projet de loi qui veut renforcer les sanctions encourues par les conseillers complices de fraude fiscale.

Le dossier est bouclé. Vendredi 25 mai, le Conseil de l’Union européenne a adopté, comme prévu sans discussion, un nouveau dispositif destiné à renforcer la lutte contre l’évasion fiscale — le PDF icontexte ne peut désormais plus être modifié, le Parlement européen étant seulement consulté sur ce dossier, ce qu’il a fait le 1er mars en rendant un avis positif. Cette réponse aux scandales tels que celui des Panama papers impose à l’intermédiaire fiscal ou, selon le cas, au contribuable de déclarer à son administration fiscale dans les 30 jours de leur mise à disposition certains schémas fiscaux dits agressifs. En cas de manquement, une sanction sera encourue. Cette déclaration viendra ensuite alimenter une base de données européenne qui pourra être consultée par les autorités compétentes des Etats membres. Ce répertoire centralisé contiendra :

► l'identification des intermédiaires et des contribuables concernés ;

► des informations détaillées sur les marqueurs selon lesquels le dispositif transfrontière doit faire l'objet d'une déclaration ;

► un résumé du contenu du dispositif transfrontière devant être déclaré ;

► la date de mise en oeuvre du dispositif transfrontière devant être déclaré ;

► des informations détaillées sur les dispositions nationales sur lesquelles se fonde le dispositif transfrontière devant être déclaré ;

► la valeur du dispositif transfrontière devant être déclaré ;

► l'identification de l'Etat membre du ou des contribuable (s) concerné (s) ainsi que de tout Etat membre susceptible d'être concerné ;

► l'identification, dans les Etats membres, de toute autre personne susceptible d'être concernée par le dispositif transfrontière devant être déclaré

Application au plus tard le 1er juillet 2020

Cette nouvelle obligation, que les Etats membres doivent appliquer au plus tard le 1er juillet 2020 — la transposition doit quant à elle se faire au plus tard le 31 décembre 2019 —, concerne les dispositifs fiscaux transfrontaliers agressifs. Transfrontalier en ce sens que le dispositif concerne une situation entre plusieurs Etats membres ou entre un Etat membre et un pays tiers. La notion d’agressivité renvoie à un risque potentiel d’évasion fiscale. La directive définit ainsi un certain nombre de situations, appelées marqueurs, tantôt suspectes en tant que telles tantôt suspectes parce qu’elles procurent un avantage principalement fiscal. Il s'agit notamment de certains dispositifs fiscaux dont la documentation et/ou la structure sont en grande partie normalisées, de certains schémas où l’intermédiaire fiscal perçoit des honoraires liés à l’avantage fiscal procuré, de certains schémas faisant intervenir une chaîne de propriété juridique ou de bénéficiaires effectifs non transparente, de déductions pour le même amortissement d’un actif demandées dans plusieurs juridictions, etc.

Marge de manœuvre encadrée

Qu’est-ce qu’un intermédiaire fiscal dans ce contexte ? "Toute personne qui conçoit, commercialise ou organise un dispositif transfrontière devant faire l’objet d’une déclaration, le met à disposition aux fins de sa mise en œuvre ou en gère la mise en œuvre", précise le texte. S’y ajoutent celles qui fournissent, directement ou non, une aide, une assistance ou des conseils concernant la conception, la commercialisation ou l’organisation du schéma fiscal.

Les experts-comptables et les avocats sont donc compris dans cette définition — les commissaires aux comptes inscrits en France ne sont en principe pas concernés dans la mesure où ils ne peuvent fournir de telles prestations dans l'hexagone. Pour autant, la directive laisse une petite marge de manœuvre aux Etats membres pour qu’ils puissent, s'ils le désirent, dispenser certains professionnels d'établir eux-mêmes la déclaration de schéma fiscal — il appartient dans ce cas à un autre intermédiaire ou au contribuable de procéder à la déclaration. Cette possibilité est réservée aux professions pour lesquelles l’obligation de déclaration serait contraire à leur obligation de secret professionnel (voir le texte de la directive ci-dessous).

 

"Chaque État membre peut prendre les mesures nécessaires pour accorder aux intermédiaires le droit d'être dispensés de l'obligation de fournir des informations concernant un dispositif transfrontière devant faire l'objet d'une déclaration lorsque l'obligation de déclaration serait contraire au secret professionnel applicable en vertu du droit national dudit État membre. En pareil cas, chaque État membre prend les mesures nécessaires pour que les intermédiaires soient tenus de notifier sans retard à tout autre intermédiaire, ou, en l'absence d'un tel intermédiaire, au contribuable concerné, les obligations de déclaration qui leur incombent en vertu du paragraphe 6.
Les intermédiaires ne peuvent avoir droit à une dispense en vertu du premier alinéa que dans la mesure où ils agissent dans les limites de la législation nationale pertinente qui définit leurs professions."

Question constitutionnelle

Selon nous, il serait surprenant que les experts-comptables inscrits en France bénéficient de cette dispense de déclaration. Pour deux raisons. Premièrement, il faudrait que le politique en manifeste l’envie, ce qui serait difficile à justifier dans un contexte global de renforcement de la lutte contre l’évasion fiscale laquelle passe notamment par un accroissement des obligations qui pèsent sur les conseillers, du chiffre et du droit — ce qui revient à dire que, sur ce plan, les avocats devraient être traités comme les experts-comptables. Deuxièmement, il serait difficile de justifier que cette obligation pose un problème de secret professionnel pour les experts-comptables eu égard à la situation existante. Une telle dispense de déclaration aboutirait à un deux poids deux mesures car ces professionnels sont tenus de déclarer à Tracfin les soupçons de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme qui pèsent sur leurs clients. Une telle dispense pourrait relancer aussi le débat sur l’incertitude juridique qui entoure le respect du secret professionnel de l’expert-comptable dans la mesure où ce professionnel établit régulièrement des déclarations fiscales — de TVA et de résultat annuel par exemple — pour le compte de ses clients (à ce sujet, lire l'interview de l'expert-comptable Stéphane Benayoun dans nos colonnes).

La question juridique majeure se trouve peut-être ailleurs. Cette directive pourrait faire l’objet d’un conflit avec la constitution française. Car une mesure similaire avait été censurée fin 2013 par les sages de la rue Montpensier. Rappelons qu'un dispositif qui arrive en France par la voie d’une directive européenne ne l'exonère pas automatiquement de l'examen constitutionnel. Bref, le dossier est loin d’être clos pour ce qui est de sa transposition en France.

Vers un renforcement des sanctions encourues par les conseillers fiscaux

Et l’on ne peut s’empêcher de rapprocher ce dossier d’une autre actualité. En mars, le gouvernement a présenté un projet de loi, que le Parlement n’a pas encore examiné, destiné notamment à étoffer les sanctions encourues par les conseillers fiscaux tels que les experts-comptables et les avocats. Son diagnostic est le suivant : les intermédiaires fiscaux sont difficiles voire impossibles à poursuivre en tant que complices de fraude. Deux sujets sont identifiés. Premièrement, il n’existe pas de sanction administrative à l’encontre des complices de fraude fiscale. Deuxièmement, "dans les faits, des complices de montages peuvent échapper à toute sanction pénale, alors même que leur participation dans la constitution de montages frauduleux ou abusifs permettant à leurs clients de se soustraire à leurs obligations fiscales a été déterminante", argumente l’étude d'impact. Raison avancée : "l’engagement par l’administration fiscale de poursuites pénales à l’encontre de l’auteur de l’infraction est réservé aux fraudes les plus graves conformément à la jurisprudence constitutionnelle relative au cumul des sanctions administratives et pénales [cf décisions n° 2016-545 QPC et n° 2016-546 QPC]". Conséquence : ce texte prévoit l’instauration d’une amende de 10 000 euros au minimum, un montant qui peut être porté, s'il supérieur, à 50 % des revenus tirés de la prestation en cause fournie au contribuable. Cette sanction fiscale vise "toute personne physique ou morale qui, dans l’exercice d’une activité professionnelle de conseil à caractère juridique, financier ou comptable ou de détention de biens ou de fonds pour le compte d’un tiers, a intentionnellement fourni" certains montages fiscaux frauduleux. Les experts-comptables, les avocats et autres conseillers fiscaux vont donc probablement se retrouver davantage surveillés. Tout en étant sollicités pour fournir du renseignement à l'administration.

Ludovic Arbelet

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