DSN : le mystérieux rapport du cabinet EY

DSN : le mystérieux rapport du cabinet EY

25.10.2016

Gestion d'entreprise

Le gouvernement avance que la déclaration sociale nominative (DSN) ferait économiser 3,7 milliards d’euros par an sans en dire beaucoup plus. Camouflée, l'étude sur laquelle il s'appuie a été conduite auprès d’un échantillon restreint, à en croire les extraits diffusés par la Cour des comptes.

Ca y est. Depuis hier, le chiffre est lâché. Les médias s’en font l'écho. Selon le gouvernement, la DSN ferait économiser 3,7 milliards d’euros par an aux entreprises. Sur quelle base cette estimation a-t-elle été précisément réalisée ? A l’heure où nous écrivons ces lignes, les documents diffusés par les pouvoirs publics sont muets sur cette question. Les secrétariats d’Etat concernés — celui de la réforme de l’Etat et de la simplification et celui pour la modernisation de l’action publique — se réfèrent exclusivement à une étude d’EY (ex Ernst & Young). "La mesure relative à la déclaration sociale nominative (DSN) a fait l’objet d’une évaluation d’impacts approfondie, réalisée par EY entre février et mai 2015, et dont les principaux résultats ont été synthétisés pour les besoins de cet exercice", avance Office presentation iconle document diffusé par le gouvernement (voir aussi cet autre PDF icondocument). Pourtant, quelques pages plus loin, la mesure chiffrée par EY est qualifiée de "non approfondie"...

Réponse d'EY : "Le contenu ne nous appartient plus"

Nous avons demandé aux secrétariats d'Etat à consulter l’intégralité de l’étude pour aller au-delà de la synthèse fournie par les services de presse. En vain. Pourquoi cacher un tel document qui relève de l'intérêt général et qui porte potentiellement sur des milliards d'euros, à en croire l'étude ? Nous avons également contacté EY. En vain. Le cabinet nous répond ne pas pouvoir nous fournir le document. "Une fois le rapport livré, son contenu ne nous appartient plus", répond le réseau comptable international. Nous avons également tenté notre chance du côté de la Cour des comptes. Cette dernière s’était fait l’écho de ce rapport en juillet dernier. Réponse de la rue Cambon : "l’étude de Ernst & Young ayant été réalisée pour le SGMAP [secrétariat général pour la modernisation de l’action publique], il convient de vous adresser directement à lui". Tant pis pour l’information du public.

Pour un expert-comptable, "c’est de la propagande"

"C’est un mensonge politique organisé. C’est de la propagande, tempête Stéphane Benayoun. La DSN représente un coût extrêmement important pour les petites entreprises. Les déclarations sociales qui pouvaient être trimestrielles vont toutes devenir mensuelles. Et cela va entraîner des problèmes de trésorerie", détaille l’expert-comptable qui a fait l'addition : "nous avions estimé il y a deux ans que la production sociale nous coûterait 30 % plus cher. C’est ce que nous constatons aujourd’hui".

Un constat que ne partage pas Marc Luccioni, président du comité utilisateurs du Gip-MDS. "En supprimant des déclarations, la DSN fait gagner du temps, ce que l’on constate chez les experts-comptables. L’économie est réelle mais le chiffrage définitif est difficile à réaliser", ajoute-t-il. Autre expert-comptable, autre point de vue.  "Pour les cabinets qui sont passés complètement à la DSN, il n’y a plus de perte de temps mais les gains espérés ne sont pas au rendez-vous. Il y a un investissement important pour passer à la DSN", livrait en juin Jean-Marc Morel dans nos colonnes.

L’étude d’EY ne semble pas représentative

La Cour des comptes s’était d’ailleurs quelque peu penchée sur le sujet des petites entreprises dans PDF iconson rapport de juillet dernier. "Aujourd’hui, seuls 6 % environ des employeurs de moins de 10 salariés déclarent et versent aux Urssaf et aux GPS selon une périodicité mensuelle. Avec la DSN, ils devront déclarer tous les mois comme les autres employeurs. Néanmoins, afin de ne pas pénaliser leur trésorerie, ils pourront opter pour le maintien d’un versement trimestriel", ajoutent les magistrats financiers. Ces derniers pointent implicitement, dans cette fameuse étude d’EY, l’absence d’analyse chiffrée approfondie pour les TPE. "En 2015, une estimation (EY, Etude DSN pour le SGMAP, juillet 2015) portant sur 48 entreprises, dont 34 déjà passées à la DSN, a conduit à estimer les gains à 23 000 € par entreprise et les coûts de mise en œuvre à 6 300 €, soit, extrapolé aux 222 000 entreprises qui ne font pas appel à un tiers déclarant, 5,1 Md€ de gains pour 1,4 Md€ de coûts, d’où un gain net de 3,7 Md€ l’année de passage à la DSN", résument les magistrats de la rue Cambon. On a donc retrouvé les 3,7 Md€ d’économie qui iraient dans les poches des entreprises. Problème : ils concernent un échantillon non représentatif tant au plan quantitatif — seulement 48 entreprises sont analysées dont 34 passées à la DSN — que qualitatif — l’extrapolation de l'étude ne concerne que les entreprises qui ne font pas appel à un tiers déclarant, ce qui écarte de fait beaucoup de TPE.

A qui profite la DSN ?

Est-ce à dire que "la DSN ne répond qu'au besoin des grandes entités", comme le prétend Stéphane Benayoun ? Pour la Cour des comptes, la réponse est négative. "Pour les entreprises qui recourent à des experts-comptables, la DSN, une fois pleinement intégrée, semble également devoir alléger la charge de travail de ces derniers". Mais dans son argumentation, la Cour des comptes pose la question du partage des gains éventuels. "Pour les entreprises de moins de 10 salariés dont les déclarations, de trimestrielles, deviendront mensuelles, l’éventualité d’une hausse des tarifs [des experts-comptables] ne peut être écartée", affirment les magistrats financiers. Pour d'autres, la DSN participe d'un mouvement général consistant à déléguer aux entreprises des tâches jusqu'ici dévolues à l'administration. "La DSN est une bonne idée, admet Michel Chassang. Mais elle va se mettre en place aux frais des entreprises et sera le véhicule du prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu. Or, le prélèvement à la source revient à faire faire aux entreprises ce que l'administration faisait", estime le président de l'union nationale des professions libérales (Unapl). Alors, qui va réellement tirer profit de la DSN ? Les pouvoirs publics, les entreprises, les éditeurs de logiciels ou les cabinets comptables ?

Ludovic Arbelet

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