Immigration irrégulière : priorité à l'éloignement des déboutés et des demandeurs « dublinés »

05.12.2017

Droit public

Une circulaire du ministre de l'intérieur fixe les objectifs et priorités du gouvernement en matière de lutte contre l'immigration irrégulière, en mettant l'accent sur l'éloignement des déboutés du droit d'asile et des demandeurs en procédure « Dublin ».

A travers une circulaire du 20 novembre 2017 et dans l’attente de l’adoption d’une future loi dont il apparaît qu’elle portera principalement sur cette question, le ministre de l’intérieur demande à l’ensemble des acteurs placés sous sa tutelle « d’agir rapidement, à droit constant », afin de renforcer leur « action de lutte contre l’immigration irrégulière ».
 
Il précise ainsi les objectifs prioritaires du gouvernement en la matière (éloignement des étrangers menaçant l’ordre public et des ressortissants de pays tiers en situation irrégulière, transfert des demandeurs en procédure « Dublin », mise en œuvre de l’aide au retour et lutte contre les filières d’immigration irrégulière) et les moyens matériels et juridiques à disposition.
Priorité à l’éloignement des ressortissants de pays tiers…
Après avoir brièvement rappelé les termes de l’instruction du 16 octobre 2017 concernant la nécessité d’éloigner les étrangers dont la présence sur le territoire constitue une menace pour l’ordre public ainsi que ceux sortant de prison (Instr., 16 oct. 2017, NOR : INTK1701890J), la circulaire vise plus largement « l’éloignement des ressortissants des pays tiers vers les pays tiers », autrement dit, tous les étrangers non européens se trouvant en situation irrégulière.
 
Quelle que soit la cause de cette irrégularité, ces étrangers devront faire systématiquement l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF), même si leur situation « ne permet pas de mettre en œuvre immédiatement [leur] éloignement » (§. 2.1).
… des déboutés du droit d’asile et des demandeurs en procédure « Dublin »
Mais, « au sein de ce public », ce sont surtout les personnes déboutées de leur demande d’asile (§ 2.2) et les personnes en procédure « Dublin » (qui représentent près de 52 % des demandeurs d’asile) qui constituent l’objectif prioritaire.
Remarque : on peut regretter que le traitement des demandes d’asile en procédure « Dublin » soit rattaché à l’immigration irrégulière. En effet, un demandeur d’asile n’est jamais en situation irrégulière et l’application du règlement « Dublin » peut constituer, dans certains cas, la mise en œuvre du droit d’asile.
Ainsi les demandeurs d’asile déboutés devront faire « systématiquement l’objet d’une [OQTF] dès que possible après la décision définitive de rejet de la demande d’asile ».
 
S’agissant des demandeurs « dublinés », l’administration dispose de deux possibilités :
 
- si la demande d’asile de l’intéressé n’a pas été examinée par l’État responsable ou si elle est encore en cours d’instruction, la procédure de transfert doit être diligentée (§ 1.3) ;
 
- s’il apparaît que la demande d’asile a été rejetée par l’État membre réputé responsable ou si l��intéressé renonce explicitement à maintenir cette demande, « qui est alors clôturée par l’État membre responsable », l’éloignement vers le pays tiers sera conduit par la France après qu’une aide au retour aura été proposée (§ 1.4).
Remarque : en effet, dans l’hypothèse où la demande de protection introduite dans le premier État membre a été rejetée par une décision définitive, le règlement « Dublin III » autorise l’État membre sur le territoire duquel la personne concernée séjourne irrégulièrement à choisir entre la procédure de reprise en charge et la mise en œuvre d'une procédure de retour (Règl. no (UE) 604/2013 du Parlement européen et du Conseil 26 juin 2013, art. 24.4).
Enfin, le ministre de l’intérieur persiste à utiliser le levier de la fuite, qui n’est pourtant toujours pas définie par des critères objectifs établis par la loi, pour inciter les préfets à prolonger le délai de transfert en raison de ce motif (§ 1.3).
Mobilisation des structures opérationnelles et stratégies locales de contrôle des flux migratoires
Le ministre de l’intérieur rappelle qu’il appartient à l’ensemble des acteurs de se mobiliser en vue de mettre en œuvre contrôles et interpellations « qui s’imposent » avec « une priorisation [...] en fonction des publics » (§. 2.1), sous la responsabilité des préfets de zone veillant à la cohérence des stratégies départementales.
 
Ces préfets de zone animeront et coordonneront les actions diligentées au niveau départemental. Toujours selon le ministre, les effectifs « étrangers » des préfectures vont être renforcés pour la conduite des procédures d’éloignement.
 
La réalisation des objectifs fixés par le gouvernement passe par une organisation opérationnelle affectant à chacun des acteurs des rôles précis, à chaque stade de la procédure d’éloignement.
 
Ainsi, l’Ofii doit signaler les personnes déboutées et encore hébergées dans les structures d’accueil (§. 1.2) et l’Ofpra doit communiquer les informations permettant l’identification des personnes (§. 1.2).
 
La circulaire rappelle également qu’un ambassadeur chargé des migrations (D. 6 sept. 2017, NOR : EAEA1724429D, JO 7 sept.) a été nommé afin de travailler avec les pays d’origine et de transit dans le but d’améliorer la coopération consulaire et la délivrance de laissez-passer (§. 2.6).
 
Quant à la police aux frontières, cheville ouvrière de la politique de retour, elle occupe une place centrale afin :
 
- d’assurer la bonne exécution des décisions administratives d’éloignement, par la prise en charge, après leur interpellation par d’autres services, des personnes en situation irrégulière (§. 2.1) ;
 
- de réguler les placements en rétention, tâche confiée à un référent « régulation rétention » (§. 2.3) ;
 
- de coordonner l’action répressive des différents services de police judiciaire que ce soit en matière de lutte contre les filières d’immigration clandestine, contre la fraude documentaire ou contre le travail illégal (§. 1.5).
Mobilisation sans précédent des systèmes d’information
Selon le ministre de l’intérieur, l’ensemble des systèmes d’information sera mobilisé pour atteindre l’objectif affiché (§. 2.5). Il s’agit principalement de la mise en œuvre :
 
- du système biométrique national d’AGDREF (SBNA), permettant de comparer les empreintes digitales et les photos recueillies après interpellation avec celle de la base ;
 
- d’un nouveau « module » dédié à l’éloignement, intégré dans AGDREF, « doté d’une fonctionnalité permettant l’édition des actes administratifs et de gérer l’ensemble des étapes de la procédure d’éloignement » ;
 
- de l’application LOGICRA qui permet avoir connaissance en temps réel des places disponibles en rétention.
 
La circulaire souligne par ailleurs qu’une procédure expérimentale d’information en temps réel « par voie électronique et de manière automatisée » des décisions prises par l’Ofpra ou la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) semble avoir donné satisfaction. Elle sera généralisée à compter du 15 décembre 2017. Ainsi, après réception de la liste des personnes qui, hébergées, ont été déboutées de leur demande, l’autorité administrative prendra les dispositions pour procéder à l’expulsion du lieu d’hébergement et, concomitamment, diligenter la procédure d’éloignement.
Généralisation des dispositifs de préparation au retour (DPR)
Après une première expérimentation dans sept départements, les dispositifs de préparation au retour (DPR) vont se généraliser (§. 2.2).
 
Il s’agit très concrètement d’un dispositif matériel permettant le maintien à disposition des déboutés du droit d’asile dans des structures d’hébergement dédiées au retour et dans lesquelles les intéressés sont assignés à résidence.
Généralisation de l’assignation à résidence et de la rétention pour les déboutés de l’asile et les « dublinés »
Aux termes de la circulaire du 20 novembre 2017, les demandeurs d’asile en procédure « Dublin » seront systématiquement assignés à résidence dès leur présentation au guichet unique, ce qui imposera leur orientation, en priorité, vers des Prahda (Programmes d’accueil et d’hébergement des demandeurs d’asile) où ils seront astreints à résider (§. 1.3).
Remarque : de fait, ces Prahda vont devenir des centres d’assignation à résidence.
Concernant les déboutés, si le recours à l’assignation à résidence, qui « connaît une augmentation significative » (laquelle « a vocation à se poursuivre »), est évoqué de manière très succincte, il est précisé en revanche que « chaque fois que les conditions [...] seront remplies », l’étranger concerné devra être placé en rétention (§. 2.3).
 
Pour cela, deux cents places supplémentaires vont être créées dans les centres existant au plus tard en janvier 2018. Les préfets sont par ailleurs invités à recourir aux locaux de rétention (LRA), qu’ils peuvent créer par simple arrêté, dès lors que les conditions matérielles (sanitaires, téléphone en libre accès, locaux de visite pour les familles et les avocats) le rendent possible (§. 2.3).
Promotion de l’aide au retour volontaire
La circulaire rappelle en dernier lieu la possibilité pour les étrangers en situation irrégulière de bénéficier d’une aide au retour volontaire (§. 1.4) et demande d’accentuer la mobilisation des services de l’État en lien avec l’Ofii « afin d’assurer la promotion des aides au retour et à la réinsertion ». Cette aide peut être proposée « à tout étranger faisant l’objet d’une mesure d’éloignement », et même à ceux qui, à l’expiration de la période de rétention, ont été remis en liberté.
 
La circulaire rappelle également que l'aide au retour est majorée lorsqu’elle concerne les migrants accueillis dans les centres d’accueil et d’orientation ou dans les centres d’hébergement d’urgence à la suite des opérations d’évacuations de campement.
Remarque : il ressort toutefois de la présentation du dispositif qu’une telle aide, si elle est acceptée, est susceptible de justifier une décision d’interdiction de retour, ce qui, en connaissance de cause, serait de nature à en dissuader les candidats.
L’aide au retour sera aussi proposée aux personnes en procédure « Dublin » dont la demande d’asile a été rejetée par l’État responsable ou s’ils renoncent à demander l’asile et qui, de ce fait, peuvent être éloignées vers leur pays d’origine par les autorités françaises.

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Christophe Pouly, avocat
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