Modernisation de l'agent des sûretés au profit des créanciers

08.06.2017

Gestion d'entreprise

En cas de procédure collective ouverte à l'encontre du débiteur de l'obligation garantie, dont il peut lui-même demander l'ouverture, l'agent des sûretés peut, de sa propre initiative et sans mandat spécial, procéder à la déclaration des créances.

Certaines opérations financières importantes ne peuvent être financées que par un crédit syndiqué, c'est-à-dire un crédit consenti par plusieurs prêteurs réunis au sein d'un « syndicat bancaire » ou pool bancaire. Les sûretés garantissant le prêt doivent alors pouvoir être gérées par une seule personne au profit de l'ensemble des créanciers. Il en va de même lorsqu'une société émet des obligations et que des sûretés viennent garantir cette émission au profit des obligataires, ou lorsqu'un même débiteur consent des sûretés à plusieurs groupes de créanciers.

La loi n° 2007-211 du 19 février 2007 instituant la fiducie avait déjà introduit l'agent des sûretés dans le code civil (C. civ., art. 2328-1). Cependant, le mécanisme de l’agent de sûretés était très peu utilisé. Les praticiens du financement avaient recours à diverses solutions, notamment, le mandat de droit commun et des « parallel debts »issues du droit anglais. En particulier, la Cour de cassation avait reconnu la régularité des déclarations de créances du trustee et des agents de sûretés (Cass. com., 13 sept. 2011, n° 10-25.633, n° 840 P+B).

Afin de doter le droit français d’un régime plus efficace, la loi « Sapin 2 » habilite le Gouvernement à légiférer par ordonnance (L. n° 2016-1691, 9 déc. 2016, art. 117 : JO, 10 déc.). L’ordonnance n° 2017-748 du 4 mai 2017 permet au droit français de concurrencer les dispositifs anglo-saxons, privilégiés ces dernières années, grâce à la clarification et aux précisions apportées au nouveau dispositif. L’article 2328-1 du code civil est abrogé et remplacé par un titre III intitulé : « De l'agent des sûretés » (C. civ., art. 2488-6 à 2488-12). L’entrée en vigueur est différée au 1er octobre 2017, afin de permettre aux professionnels d'adapter leur documentation contractuelle. Conformément au principe de survie de la loi ancienne en matière contractuelle, la loi nouvelle ne s'appliquera qu'aux agents des sûretés désignés postérieurement à son entrée en vigueur. Les agents des sûretés désignés avant le 1er octobre 2017 demeurent donc régis par la loi ancienne.

Statut de fiduciaire spécial

L’ordonnance précise que toute personne physique ou morale peut agir en qualité d'agent des sûretés. Il peut dès lors s’agir d'un établissement de crédit ou d’un tiers. Il prend et gère toute sûreté ou garantie pour le compte des créanciers obligataires, présents ou futurs, de l'obligation garantie (C. civ., art. 2488-6, nouv.). Il dispose des mêmes pouvoirs qu’un fiduciaire puisqu’il devient titulaire direct des sûretés et garanties constituées. Cependant, les formalités de la fiducie de droit commun ne sont pas applicables car l’agent des sûretés bénéficie d’un statut de « fiduciaire spécial ».

L’agent des sûretés intervient désormais en son nom propre. Lorsqu’il agit au profit des créanciers de l'obligation garantie, il doit faire expressément mention de sa qualité pour informer les tiers (C. civ., art. 2488-8, nouv.). Afin de mettre fin aux incertitudes des praticiens, il est prévu qu’il peut, dans la limite des pouvoirs conférés par les créanciers de l’obligation garantie dans le contrat de désignation, exercer tous droits et agir en justice au bénéfice des créanciers. Il en est de même en cas de procédure collective ouverte à l’encontre du débiteur de l’obligation garantie, dont il peut lui-même demander l’ouverture. Enfin, il possède le pouvoir, de sa propre initiative et sans mandat spécial des créanciers, de procéder à la déclaration des créances garanties (C. civ., art. 2488-9, nouv.). Puisque l'agent n'agit pas au nom de chaque créancier, les changements de créanciers membres du « pool » bancaire sont sans incidence à la différence du mandat.

Désignation et remplacement

Une large place est laissée à la liberté contractuelle. Notamment, il n’est plus nécessaire de désigner l’agent des sûretés dans l’acte constitutif de la sûreté. Il peut l'être dans un acte distinct de celui de l’obligation garantie, conclu en amont ou postérieurement à la naissance de celle-ci.

Néanmoins, à peine de nullité, la convention par laquelle les créanciers désignent l'agent des sûretés doit être constatée par un écrit qui mentionne la qualité de ce dernier, l'objet et la durée de sa mission ainsi que l'étendue de ses pouvoirs (C. civ., art. 2488-7, nouv.).

En l'absence de stipulations contractuelles visant les modalités de remplacement de l’agent des sûretés, tout créancier bénéficiaire des sûretés et garanties pourra demander en justice son remplacement ou la désignation d'un agent des sûretés provisoire si celui-ci manque à ses devoirs, met en péril les intérêts qui lui sont confiés ou fait l'objet d'une procédure collective : sauvegarde, redressement judiciaire, liquidation judiciaire ou rétablissement professionnel (C. civ., art. 2488-11, nouv.).

Responsabilité civile

Conformément au droit commun de la responsabilité civile, l'agent des sûretés est responsable, sur son patrimoine propre, des fautes qu'il commet dans l'exercice de sa mission tant à l’égard de ses cocontractants qu’à l’égard des tiers à l’exception des clauses limitatives ou élusives de responsabilité contractuelle (C. civ., art. 2488-12, nouv.).

La responsabilité de l'agent des sûretés est engagée en cas de faute lourde ou dolosive ou en cas de manquement qui priverait de leur substance les obligations résultant de sa mission (C. civ. art.1170). Il engage son patrimoine personnel s’il est condamné à indemniser les créanciers.

Patrimoine d’affectation

L’agent des sûretés se voit reconnaître par l’ordonnance les pouvoirs d'un fiduciaire puisqu'il devient titulaire des sûretés et garanties, qui sont transférées dans un patrimoine d'affectation créé pour les besoins de sa mission, distinct de son patrimoine propre, qu'il gèrera dans l'intérêt des créanciers bénéficiaires. Entrent dans ce patrimoine, tant les sûretés et garanties elles-mêmes que les actifs perçus dans le cadre de leur gestion et de leur réalisation (C. civ., art. 2488-6, nouv.).

En cas de remplacement conventionnel ou judiciaire de l'agent des sûretés, les droits et biens qui forment le patrimoine affecté sont alors transmis de plein droit au nouvel agent des sûretés (C. civ., art. 2488-11, nouv.).

Ouverture d’une procédure collective à l’encontre de l’agent des sûretés

L’ouverture, à l��égard de l’agent des sûretés, d’une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire ou encore d’une procédure de rétablissement professionnel est sans effet sur les sûretés et garanties dont l’agent des sûretés est titulaire dans le cadre de sa mission. Seul son patrimoine propre sera concerné, afin d’assurer la protection des créanciers bénéficiaires (C. civ., art. 2488-10, nouv.).

Les biens acquis par l'agent des sûretés dans l'exercice de sa mission ne peuvent donc être saisis que par les titulaires de créances nées de leur conservation ou de leur gestion, à l’exclusion de ses créanciers personnels. Toutefois, les autres créanciers titulaires d’une sûreté leur conférant un droit de suite sur un bien de ce patrimoine affecté peuvent exercer leurs droits. Il est de même en cas de fraude aux droits des autres créanciers.

 

Catherine Cadic, Dictionnaire Permanent Difficultés des entreprises

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