Nanomatériaux dans l'alimentation : étiquetage obligatoire

29.05.2017

Droit public

Les conditions d'étiquetage des nanomatériaux manufacturés dans les denrées alimentaires sont fixées.

Le règlement (UE) n° 1169/2011 du 25 octobre 2011 concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires prévoit un étiquetage obligatoire des denrées alimentaires contenant des nanomatériaux manufacturés (art. 18, § 3). Cette exigence d’étiquetage des ingrédients des denrées alimentaires est en vigueur depuis décembre 2014. Pourtant, elle n’était pas mise en œuvre. C’est pour rectifier cette situation de regrettable carence qu’a été adopté l’arrêté du 5 mai 2017 fixant les conditions d’étiquetage des nanomatériaux manufacturés dans les denrées alimentaires. Ses termes sont en tout point conformes à l’article 18, § 3 du règlement : « tous les ingrédients des denrées alimentaires qui se présentent sous forme de nanomatériaux manufacturés sont indiqués clairement dans la liste des ingrédients. Le nom des ingrédients est suivi du mot “ nano ” entre crochets ».
 
L’arrêté livre aussi une définition du « nanomatériau manufacturé » : « tout matériau produit intentionnellement présentant une ou plusieurs dimensions de l’ordre de 100 nm ou moins, ou composé de parties fonctionnelles distinctes, soit internes, soit à la surface, dont beaucoup ont une ou plusieurs dimensions de l’ordre de 100 nm ou moins, y compris des structures, des agglomérats ou des agrégats qui peuvent avoir une taille supérieure à 100 nm mais qui conservent des propriétés typiques de la nanoéchelle. Les propriétés typiques de la nanoéchelle comprennent : i) Les propriétés liées à la grande surface spécifique des matériaux considérés ; et/ou ii) Des propriétés physico-chimiques spécifiques qui sont différentes de celles de la forme non nanotechnologique du même matériau ». Cette définition reproduit celle du règlement (UE) n° 2015/2283 du 25 novembre 2015 (art. 3) sur les nouveaux aliments. On sait, en effet, que le règlement n° 1169/2011 contenait initialement une définition différente et qu’une difficulté de mise en cohérence avec la recommandation de la Commission du 18 octobre 2011 sur la définition des nanomatériaux en résultait. Le règlement n° 2015/2283 a donc modifié le règlement (UE) n° 1169/2011 en y substituant sa propre définition des nanomatériaux manufacturés et en attribuant pour l’avenir à la Commission le pouvoir de l’ajuster et de l’adapter par voie d’actes délégués.
 
Restituant exactement les dispositions du droit européen, cet arrêté paraît indiscutable. Cependant, cette intégration tardive et a minima est-elle pleinement satisfaisante ? D’abord, on notera que la théorique application directe et de plein droit des règlements européens se heurte encore en France à l’idée qu’un acte de l’exécutif national aurait davantage d’efficacité. Ensuite, on cherchera vainement une réponse explicite à la question brûlante du moment : celle de l’étiquetage des additifs, à l’instar du E 171 contenant du nano-dioxyde de titane et largement utilisé en tant que colorant dans la production de confiseries, de desserts et crèmes glacés, de produits de boulangerie et pâtisserie, de tablettes de chocolat (etc.). Malgré la présence avérée de cet additif dans les produits fabriqués et vendus en France, aucune mention « nano » n’apparaît sur les étiquettes et le TiO2 n’apparaît pas dans le secteur des utilisations « fabrication de produits alimentaires » dans l’outil de déclaration annuelle réglementaire R-nano.
 
Or, le TiO2 fait l’objet de préoccupations sanitaires depuis plusieurs années (classement par le centre international de recherche sur le cancer (CIRC) dans le groupe des substances « cancérogènes possibles chez l’Homme (2B) » par voie pulmonaire en 2006 ; proposition de classement en « substance dont le potentiel cancérogène pour l’être humain est supposé » (1B) par voie pulmonaire, dans le cadre du règlement CLP en 2015). La publication en 2016 d’un avis de l’EFSA concluant que les expositions actuelles des consommateurs au E 171 dans ses utilisations alimentaires ne sont pas de nature à entraîner un risque sanitaire n’a pas fait taire les contestations de certaines associations (not. Agir pour l’environnement). Ces dernières ont d’ailleurs vu leurs doutes renforcés par la publication en 2017 d’une étude sur le passage et la distribution de TiO2 dans quelques organes cibles après administration orale, les effets génotoxiques et inflammatoires du TiO2 au niveau intestinal ainsi que les effets d’initiation et de promotion de lésions au niveau du côlon (Bettini et al., 2017). L’ANSES a rendu le 4 avril 2017 un avis sur l’exposition alimentaire aux nanoparticules de dioxyde de titane, où elle convient que les résultats de cette étude « mettent en évidence des effets qui n’avaient pas été identifiés auparavant, notamment les potentiels effets promoteurs de la cancérogenèse du E171 ». L’agence appelle donc à la réalisation des « études nécessaires à la parfaite caractérisation du danger associé au E171 », mais aussi « rappelle les enjeux de renforcement de la traçabilité des produits de consommation contenant des nanomatériaux, essentiels aux travaux d’évaluation des risques. […] Elle souligne dans ce contexte les enjeux associés à l’amélioration du processus de déclaration mis en œuvre dans le cadre du portail national R-nano afin d’assurer une meilleure description des nanomatériaux mis sur le marché, de leurs usages précis et des expositions de la population qui leurs sont associées ».
 
Une difficulté vient d’une incertitude sur l’applicabilité de l’obligation d’étiquetage aux additifs. En effet, les additifs alimentaires relèvent d’une réglementation spécifique (Règl. (CE) n° 1333/2008, 16 déc. 2008 : JOUE, 31 déc.) et un doute subsiste sur l’applicabilité du règlement (UE) n° 1169/2011 du 25 octobre 2011 à ce type de denrées alimentaires. Ce doute vient de l’adoption puis de l’invalidation par objection du Parlement européen du règlement délégué (UE) n° 1363/2013 du 12 décembre 2013 indiquant que le règlement n° 1169/2011 ne concernerait pas les additifs. Formulée dans le temps imparti par l’article 290 TFUE, l’objection invalide le texte et restitue au règlement n° 1169/2011 un champ d’application à toutes les denrées alimentaires incluant les additifs. Cette analyse juridique est pourtant mal comprise et mal acceptée. La formulation de l’arrêté du 5 mai 2017 permettra-t-elle de lever cette incertitude entretenue par résistance ? On peut en douter.

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

Découvrir tous les contenus liés
Sonia Desmoulin-Canselier, chargée de recherche CNRS, université de Nantes, Droit et Changement Social, associée à l'UMR Institut des Sciences Juridique et Philosophique de la Sorbonne
Vous aimerez aussi

Nos engagements