Quand la criminalité environnementale se transforme en mafia

Quand la criminalité environnementale se transforme en mafia

02.02.2018

Environnement

Déchets, produits phytos, trafic d’espèces protégées : la criminalité environnementale a de vrais airs de mafia, nous explique le colonel Jacques Diacono, chef de l’office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique.

Chargé, entre autres, de traquer les criminels de l’environnement sur le terrain, l’Oclaesp (office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique) est bien informé des différentes formes que peuvent prendre les atteintes à l’environnement. Créé en 2004 il est aujourd’hui dirigé par Jacques Diacono. Nous sommes allés le rencontrer, lui et son équipe, dans les locaux de la gendarmerie. L’occasion de mettre un coup de projecteur sur ce service, mal connu, et de profiter de ses observations générales.

L’Oclaesp est une unité opérationnelle, qui descend sur le terrain, mais il est aussi chargé de centraliser le renseignement, de réaliser des formations, et est doté d’un rôle stratégique. C’est ainsi qu’il a fait part de propositions lors de l’élaboration de la loi biodiversité par exemple. "L’office central, c’est le top du top", résume Jacques Diacono. Il s’agit d’une unité de police judiciaire à compétence nationale : on n'y traite donc que les enquêtes qui sont les plus importantes, de par leur ampleur géographique (inter-régionale, nationale, voire transfrontalière), le nombre de victimes, ou encore la sensibilité, notamment médiatique.

 

L’Oclaesp en chiffres

• 70 membres

• 30 personnes pour la cellule investigation

+ un réseau de 360 gendarmes enquêteurs spécialisés, formés par l’Oclaesp

 

Mafias

L'office a changé d'organisation il y a quelques mois, pour mieux répondre à l’augmentation du nombre de bandes criminelles organisées. Trois cellules composent aujourd'hui la division investigations : l'une s'attelle à la délinquance en col blanc, une autre au trafic organisé et la dernière au volet financier et aux avoirs criminels des affaires. "On parle de bandes organisées parce qu’elles utilisent les mêmes outils que la mafia, comme le blanchiment d’argent par exemple", explique Jacques Diacono.

Contrairement à l’Italie, il n’existe pas de définition de la mafia en France. En revanche, la loi définit bien la bande organisée et les crimes organisés, contre lesquels les gendarmes ont le droit d’utiliser des techniques d’enquête spécifiques. Or, depuis la loi biodiversité, des crimes environnementaux en bande organisée sont reconnus, ce qui facilite quelque peu la tâche des enquêteurs. 

 

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La criminalité environnementale contemporaine est une criminalité d’opportunisme, qui suit une stratégie d’entreprise incitée par l’appât du gain, et très bien structurée. C’est particulièrement le cas pour le trafic d’espèces protégées, y compris en France. L’Oclaesp l’observe actuellement en Pays-de-la-Loire par exemple, avec le trafic de civelles – les alevins de l'anguille – attisé par la demande chinoise. Dans ce cas-là, "l’organisation est la même que pour celle du trafic de stupéfiants", raconte Jacques Diacono. Le faible nombre d’enquêteurs et la faiblesse des sanctions rendent ces crimes "faciles", d’après le gendarme.

Trafic de déchets

Autre domaine de compétences de l’Oclaesp : les déchets. Ici, les malfaisants sont souvent des structures jouant les intermédiaires entre les producteurs de déchets et les recycleurs. Parfois, les producteurs – des entreprises du BTP par exemple – ne sont même pas informés qu’ils paient pour un traitement des déchets qui au final n’a pas lieu. "On trouve des centaines de tonnes de déchets abandonnés en France", explique Jacques Diacono. Parmi eux, des toxiques qui engendrent des pollutions, mais aussi d'importantes dépenses financières, puisque certaines de ces entreprises "assurent leur l’insolvabilité et c’est donc l’État qui finance finalement la dépollution"

 

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L’office est aussi confronté à la criminalité liée aux produits phytosanitaires, qu'il s'agisse d'importations illégales depuis des pays où la réglementation est moins stricte en la matière, comme en Espagne, ou de copies de substances. Le colonel regrette que ce problème, véritable "bombe à retardement", ne soit pour le moment pas suffisamment pris en compte. En matière de pollution atmosphérique et de l’eau aussi, l’Oclaesp intervient, mais il lui est souvent difficile d'établir un lien direct entre le responsable et la pollution, en témoignent les questions de la qualité de l’air à Paris ou des algues vertes en Bretagne. "La judiciarisation de certains dossiers est une hérésie", estime le colonel, qui dénonce ce qu'il estime être une "instrumentalisation de la justice" par des associations "qui portent plainte alors qu'on sait que cela ne pourra pas aboutir". 

"La collaboration internationale fonctionne bien"

L'Oclaesp coopère quand même avec certaines associations de défense de l'environnement – attention, pas Greenpeace, précise le colonel ! Elles peuvent se révéler être des sources pour ouvrir des enquêtes. L'office peut également compter sur des alertes qui émanent directement de membres des entreprises concernées. "La coopération internationale fonctionne bien", se félicite par ailleurs Jacques Diacono. Des simples demandes d'informations de leurs homologues étrangers débouchent parfois de nouvelles enquêtes. "Ils nous demandent juste des vérifications, et on se rend compte que la France est aussi concernée par le problème, alors que nous n'avions aucun indice avant", explique le gendarme. Son équipe assure également une veille médiatique, y compris sur les réseaux sociaux, qui peuvent constituer une source d'informations supplémentaire. 

L'ouverture d'une enquête peut également émaner de l'administration. Souvent, l'office l'aide à "monter le dossier de l'article 40", expliquent avec leur jargon les membres de l'équipe. Cet article prévoit que "toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire", s'il "acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit" dans l'exercice de ses fonctions, doit en aviser le procureur de la République. Dans ces cas là, les gendarmes aident l'administration à élaborer sa plainte. Mais même quand l'enquête a été initiée par une autre source, "l'administration est toujours dans la boucle puisque la décision administrative est toujours plus rapide que la judiciaire", résume le colonel.

 

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Des magistrats pas assez formés

De là à prôner la dépénalisation ? Pas vraiment. Même si les gendarmes remarquent quelques failles et vides juridiques, ils ne sont pas favorables à une totale refonte du droit en vigueur, "déjà suffisamment complexe comme ça", mais préconisent de prendre davantage en compte les motivations des coupables.

Surtout, ils regrettent que les juges "méconnaissent" ces questions et n'y soient pas suffisamment formés. Les gendarmes de l'Oclaesp précisent qu'ils ouvrent aux magistrats les portes de leurs formations, mais qu'ils ne les y voient pas souvent. Un constat dont Jacques Diacono avait d'ailleurs fait part lors d'une conférence organisée à la Cour de cassation en juin 2017, et qui n'avait pas été très bien reçue par les concernés. Mais le gendarme persiste : des magistrats spécialisés apporteraient une réponse plus forte à la criminalité. Il aimerait qu'existent en environnement des pôles spécialisés comme ceux déjà en place pour la santé publique aux TGI de Paris et Marseille.

Dans une moindre mesure et sur une autre cause, l’office a récemment obtenu gain de cause. Lorsque nous les avions rencontrés, les gendarmes défendaient une amélioration de la communication entre les différents services, et regrettaient notamment de devoir faire une réquisition auprès de la Cnil à chaque fois qu’ils souhaitent savoir si un transfert de déchets est autorisé ou pas. Un récent arrêté les autorise à accéder à la base de données Gistrid, dédiée à la question. Petite avancée pour faciliter leur travail, donc.

 

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Environnement

La mise en place d’une stratégie environnementale cohérente s’impose de plus en plus aux entreprises du fait de la complexité de la législation pour la protection de l’environnement et de la multiplicité des réformes. En effet, de nombreuses lois et réglementations ont récemment impacté les activités économiques (autorisation environnementale, concernant notamment les ICPE, loi de transition énergétique, loi biodiversité)

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Pauline Chambost

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