Système « Dublin » : l'introduction de la demande d'asile ne suppose pas son enregistrement

25.08.2017

Droit public

Pour la CJUE, une demande de protection internationale est réputée introduite, au sens du règlement « Dublin », dès que l'administration reçoit un document écrit faisant état de cette demande. Une solution susceptible de fragiliser le dispositif français.

Dans un arrêt du 26 juillet 2017 faisant suite à une question préjudicielle d’une juridiction allemande, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) juge qu’au sens du paragraphe 2 de l’article 20 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 (dit « Dublin III »), une demande de protection internationale est réputée introduite dès que l’autorité compétente est informée, par un document écrit, établi, même sommairement, par une « autorité publique », de l’intention d’une personne de solliciter le bénéfice d’une protection internationale.
 
Une solution qui devra être examinée de près, dès lors qu’en France la demande d’asile n’est actuellement considérée comme introduite qu’au moment de la remise du formulaire de demande d’admission au séjour au titre de l’asile, lors du rendez-vous au guichet unique.
Remarque : la solution dégagée par la Cour est importante, dès lors que la date d’introduction de la demande détermine le point de départ de la procédure « Dublin » et notamment le délai de saisine de l’État réputé responsable de l’examen de la demande d’asile. Or, dans la même décision, la Cour juge également que la méconnaissance de ces délais peut constituer un motif d’annulation de la décision de transfert. Il est donc essentiel de savoir à quel moment, et par quel acte précisément, la demande d’asile est réputée introduite.
Une demande caractérisée par des informations transmises par écrit...
La première phrase du paragraphe 2 de l’article 20 du règlement « Dublin » dispose qu’« une demande de protection internationale est réputée introduite à partir du moment où un formulaire présenté par le demandeur ou un procès-verbal dressé par les autorités est parvenu aux autorités compétentes de l’État membre concerné ».
 
Pour la Cour, la question était donc de savoir quels éléments devaient comporter le « formulaire » ou le « procès-verbal » visés par ces dispositions pour être regardés comme constituant formellement une demande d’asile.
 
En réponse, la Cour estime que la seule communication à l’autorité compétente des informations relatives à l’intention du ressortissant de l’État tiers de demander l’asile est suffisante pour déclencher la procédure de détermination, sans que ce document, quel qu’il soit, parvienne en original ou en copie à cette autorité.
Remarque : la Cour rejette ainsi la thèse soutenue par la Hongrie selon laquelle la demande d’asile ne devait être réputée introduite qu’à compter de la remise d’une attestation délivrée suite à cette demande.
Les juges de Luxembourg précisent par ailleurs que l’établissement d’un procès-verbal a pour seul but de recueillir l’intention du demandeur. Il n’est donc pas nécessaire qu’il soit précis ou qu’il soit établi à la suite de l’entretien individuel prévu par l’article 5 du règlement.
.... par tous moyens...
Pour la Cour, il n’est pas non plus nécessaire que ce soit le procès-verbal ou le formulaire, en copie ou en original, qui soit communiqué à l’autorité compétente.
 
En effet cette autorité peut être seulement destinataire « des principales informations figurant dans un tel document », ces informations étant suffisantes pour établir l’introduction de la demande de protection.
 
Une fois encore, c’est l’objectif de célérité qui constitue l’axe autour duquel la Cour articule son raisonnement. Or, comme elle le rappelle, « cet objectif serait [...] fragilisé si la date de début dudit processus dépendait uniquement d’un choix opéré par l’autorité compétente, tel que l’octroi d’un rendez-vous en vue de réaliser un entretien individuel ».
... et par une « autorité publique »
Dans sa décision, la Cour prend enfin soin de préciser que les informations doivent être transmises par une « autorité publique ».
 
Sur ce point, la portée de la décision de la Cour pourrait poser un problème d’interprétation en droit interne. En effet, les opérateurs chargés du premier accueil doivent-ils être regardés, au sens de l’interprétation de la Cour, comme une « autorité publique » ?
 
Des éléments de réponse se trouvent dans les conclusions de l’avocat général qui a notamment évoqué les formulaires que les demandeurs remplissent « avec l’assistance d’organisations non gouvernementales ou des autorités compétentes de l’État membre ».
 
En ce sens, une personne chargée d’une mission de service publique (tels que le sont les opérateurs chargés du premier accueil, la procédure d’asile se rattachant directement à l’exercice de prérogatives de puissance publique), pourrait être considérée comme une autorité compétente, et publique, au sens du règlement.
Remarque : cette question pourra sans doute être posée à la Cour à titre préjudiciel, compte tenu des divergences d’interprétation que cette notion ne manquera pas de susciter en raison même de ses conséquences sur l’organisation administrative de l’enregistrement des demandes d’asile en France.
Une solution susceptible de remettre en cause le dispositif français
En France, il est généralement admis que c’est au moment de la remise du formulaire d’admission au séjour au titre de l’asile, prévu à l’article R. 741-3 du Ceseda, lors du rendez-vous au guichet unique que la demande d’asile est considérée comme introduite.
 
Or, au regard de la solution dégagée par la Cour et compte tenu de l’organisation de l’enregistrement des demandes d’asile en France, la procédure de détermination de l’État responsable pourrait désormais être comprise comme débutant dès que l’opérateur chargé du premier accueil transmet les informations aux services préfectoraux en vue du rendez-vous au guichet unique.
 
Autrement dit, tout rendez-vous réalisé plus de deux mois après cette transmission d’information (pour les personnes se relevant positives lors de la consultation du fichier Eurodac), ou trois mois (pour les autres), pourrait mettre fin, de fait, à la procédure de détermination.
Remarque : on notera que le système français est proche du système allemand sur lequel repose la solution de la Cour, dès lors que ce dernier distingue la démarche consistant à « solliciter l’asile », généralement effectuée auprès d’une autorité autre que l’Office fédéral de la migration et des réfugiés, de l’« introduction d’une demande formelle d’asile » auprès de cet office. Selon la juridiction de renvoi, l’intéressé est d’abord orienté vers un centre d’accueil qui lui remet une attestation de déclaration en tant que demandeur d’asile et en informe l’office. Une obligation difficilement respectée en raison de l’augmentation du nombre de demandeurs d’asile en Allemagne. Demandeurs qui, dans ce contexte, ont dû attendre plusieurs mois pour introduire officiellement leurs demandes d’asile...

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Christophe Pouly, avocat
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