Tourbillon médiatique et déontologie médicale

19.10.2018

Droit public

Alors même que des patients auraient sciemment recherché la médiatisation et consenti à la révélation de leur identité, le concours apporté par le médecin à la divulgation de leur identité à l’occasion d’émissions ou d’articles est constitutif d’une violation du secret médical.

Dans un arrêt du 26 septembre 2018, le Conseil d’Etat, statuant en matière disciplinaire, confirme sa conception absolue du secret médical et apporte d’intéressantes précisions sur l’interdiction faite aux médecins d’user de procédés publicitaires.
 
En l’espèce, un chirurgien plasticien a participé à des émissions télévisées pour lesquelles il a accepté d’être filmé pendant des interventions chirurgicales et des consultations, dont il a commenté le succès sur son « profil facebook » professionnel. Il a également donné une interview dans un magazine portant en une de couverture le titre « Nabila, la vérité sur ses seins », dans lequel il est présenté comme « le chirurgien esthétique des stars ». Poursuivi par le Conseil départemental de la Ville de Paris de l’Ordre des médecins, il est condamné en appel par la Chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins à la sanction de l’interdiction d’exercer la médecine pendant deux ans dont un an assorti du sursis. Il se pourvoit devant le Conseil d’Etat.
 
Le Conseil d’Etat rejette le pourvoi, sur le fondement des articles R. 4127-4, R. 4127-19 et R. 4127-20 du code de la santé publique.
Étendue du secret médical
La Haute juridiction rappelle en effet que le secret médical couvre « tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l'exercice de sa profession ». Il en résulte que l’identité des patients est une information secrète et par extension, la possible identification des patients – en l’occurrence lors de la diffusion des images – heurte ce principe.
Indifférence du consentement du patient
Le Conseil d’Etat réaffirme également à cette occasion que le consentement des patients est sans influence sur la commission du manquement aux règles déontologiques : il rejette le pourvoi alors même que comme il le relève expressément, les patientes concernées ont en l’occurrence sciemment recherché la médiatisation et consenti à la révélation de leur identité.
 
Il confirme ainsi sa conception très rigoureuse du secret médical, à une époque où la Cour de cassation semble divisée sur la question, la Chambre criminelle maintenant une conception absolue tandis que les deux premières chambres civiles admettent le caractère opérant du consentement de l’intéressé (Cass. 1re civ., 22 mai 2002, n° 00-16.305 ; Cass. 2e civ., 19 févr. 2009, n° 08-11.959).
La médecine n'est pas un commerce
S’agissant du mode de communication mis en œuvre par le chirurgien poursuivi, le Conseil d’Etat rappelle l’article R. 4127-19 du code de la santé publique, selon lequel « La médecine ne doit pas être pratiquée comme un commerce. Sont interdits tous procédés directs ou indirects de publicité […] ». Il rappelle également qu’aux termes de l’article R. 4127-20, le médecin doit veiller à l’usage qui est fait de son nom. Il trace ensuite la frontière entre publicité et information, faisant ici application de sa propre doctrine, développée dans une étude adoptée le 3 mai 2018, intitulée « Règles applicables aux professionnels de santé  en matière d’information  et de publicité » (La Documentation française). Dans cette étude, le Conseil d’Etat souligne que l’encadrement de la publicité pour les professionnels de santé est conforme à la Constitution et au droit interne de la concurrence, tout en précisant que le droit français pourrait être remis en question par la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne : par son arrêt « Vanderborght » du 4 mai 2017 (aff. C-339/15), elle  a jugé que le droit de l’Union s’opposait à une législation nationale interdisant de manière générale et absolue toute publicité relative  à des prestations de soins. Au regard de cette jurisprudence, le Conseil d’Etat considère qu’il devrait être introduit dans le droit français un principe de libre communication des informations encadré par le respect des règles déontologiques. Il s’agit cependant de permettre la diffusion au public de certaines informations, à l’exclusion de la véritable publicité à caractère commercial.
 
Ici, le Conseil d’Etat n’est pas saisi de la contrariété du droit français au droit européen puisque cet argument est évoqué pour la première fois en cassation. Il n’a donc d’autre choix que de le rejeter. Il prend cependant le soin de préciser que les émissions diffusées au sujet du chirurgien poursuivi n’avaient pas un caractère purement informatif et revêtaient au moins pour partie un caractère publicitaire.
 
Entre rigueur et modernité, le Conseil d���Etat a ainsi un pied solidement ancré au sol, concernant le secret médical, et de l’autre semble vouloir faire un pas en avant en distinguant soigneusement information et publicité. Il faudra sans doute attendre d’autres arrêts pour que se précise cette distinction.

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Maïalen Contis, Docteur en droit, avocat au barreau de Toulouse
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