Loi Travail : quelle majorité appliquer aux accords qui portent sur plusieurs sujets ?

Loi Travail : quelle majorité appliquer aux accords qui portent sur plusieurs sujets ?

08.11.2016

Convention collective

Si la loi Travail généralise le principe des accords majoritaires, ce n'est que progressivement. Résultat : il sera compliqué jusqu'au 1er septembre 2019 de conclure des accords qui portent sur plusieurs sujets, dont la durée du travail, alors que la loi Rebsamen y incite pourtant.

La loi Travail modifie les conditions de validité des accords collectifs en généralisant, progressivement, l'accord majoritaire. Depuis le 9 août 2016, la règle s'applique aux nouveaux accords de préservation de l'emploi. A partir du 1er janvier 2017, ce sont les accords qui portent sur la durée du travail et les congés qui y seront soumis avant une généralisation à l'ensemble des accords à partir du 1er septembre 2019.

En instaurant plusieurs dates d'entrée en vigueur de la règle majoritaire, le législateur n'a pas simplifié la tâche des DRH, surtout lorsque les discussions couvrent plusieurs sujets. Quelles règles de majorité appliquer lorsqu'un accord traitera, avant la généralisation de 2019, de durée du travail mais aussi de salaire par exemple ? Les DRH ont-ils intérêt à scinder les sujets de discussion ?

Aymeric Hamon, directeur associé au cabinet Fidal et Elisabeth Laherre, avocate associée au sein du cabinet Coblence, délivrent quelques conseils aux entreprises pour négocier, avec le plus de précautions possible, pendant ces périodes transitoires.

Conclure des accords séparés

A compter du 1er janvier 2017, la règle est claire : les entreprises qui signent un accord sur la durée du travail devront recueillir la signature d'organisations syndicales représentant au moins 50% des suffrages exprimés au premier tour des élections professionnelles en faveur des organisations syndicales représentatives. Mais comment procéder lorsque l'entreprise souhaite aborder plusieurs thèmes au cours d'une même négociation ? Face au silence de la loi sur ce sujet, Elisabeth Laherre recommande de retenir la solution la plus sécurisée. "Je préconise de conclure des accords séparés qui seront alors conclus selon des modalités distinctes", même si, comme elle tient à le rappeler, "en matière de durée du travail, les entreprises signent souvent des accords séparés".

Les regroupements de négociation prévus par la loi Rebsamen

La question se pose d'autant plus que la loi Rebsamen du 17 août 2015 y incite. En effet, elle opère le regroupement de négociations obligatoires autour de trois grands thèmes : "rémunération, temps de travail et répartition de la valeur ajoutée", "égalité professionnelle qualité de vie au travail", "gestion des emplois et des parcours professionnels". La NAO doit donc, en principe, porter aussi sur la durée du travail, sauf à adapter autrement les négociations obligatoires par accord majoritaire.

D''ailleurs, d'un point de vue de stratégique et politique, la loi Rebsamen présente des avantages, comme le souligne Aymeric Hamon. "Raisonner par blocs peut faciliter un accord à 50%" car cela permet des contreparties et des concessions réciproques plus facilement que lorsqu'on négocie sur un seul sujet".

Elisabeth Laherre approuve. "Signer sur plusieurs thèmes est plus simple car il y a moins de risques de blocage que lorsqu'on négocie thème par thème. Des organisations syndicales peuvent être prêtes à faire des concessions sur la durée du travail en échange de mesures salariales par exemple. Des accords séparés rendent cet équilibre de la négociation plus difficile".

Aymeric Hamon constate que "les DRH sont très partagés depuis la loi Rebsamen. Certains trouvent utile de pouvoir segmenter les accords, ils y voient un gain de temps et la possibilité d'entrer dans une logique gagnant-gagnant. Tandis que d'autres entreprises n'ont pas encore fait la mue de la loi Rebsamen".

Signer un accord de méthode ou un accord cadre

Signer thème par thème semble donc être la seule solution sécurisée jusqu'au 1er septembre 2019. Si d'autres mécanismes peuvent être envisagés, ils portent une part de risque non négligeable.

Une des possibilités envisagées peut être de conclure un accord de méthode, propose Aymeric Hamon. "L'accord de méthode listera les thèmes de négociation et renverra à des accords particuliers. L'accord salarial pourra être signé à 30% et l'accord sur la durée du travail respectera bien la règle majoritaire".

Elisabeth Laherre n'écarte pas non plus cette option en privilégiant plutôt la signature d'un accord-cadre mais elle met toutefois en garde sur cette pratique. "Il faudra prévoir des accords séparés, pas des avenants car ces derniers obéissent à la même règle de majorité que le texte initial qu'ils révisent. Or, si l'accord-cadre est signé à 30 % et certains des avenants à 50%, cela pourrait être source de contentieux".

Les accords d'anticipation dans le cadre de restructurations

La même question se pose s'agissant des accords conclus dans le cadre d'une restructuration.

La loi Travail permet de négocier des accords d'anticipation ou d'adaptation dans le cadre de restructurations d'entreprise. Dans ces situations, c'est souvent l'ensemble du statut collectif qui est remis à plat, ce qui soulève également la question des accords "mixtes".

Aymeric Hamon se félicite que la loi El Khomri entérine cette pratique qui existait déjà, mais qui n'était pas sécurisée, et permette désormais de rendre l'accord applicable avant la fin du préavis de 3 mois, dès la date de réalisation de l'événement ayant entraîné la mise en cause des accords collectifs. En revanche, la nécessité de signer certains accords majoritaires va selon lui compliquer la tâche des négociateurs dans des situations déjà souvent délicates. "Il est déjà compliqué lorsque des entreprises fusionnent d'avoir d'emblée un accord au cordeau ; si on ajoute les 50% ça va être délicat. Il va falloir essayer d'anticiper le plus en amont afin d'obtenir les 50%".

Là encore, signer plusieurs accords semble être la voie la plus sécurisée.

Les accords conclus pendant la période transitoire du 9 août au 31 décembre 2016

En attendant le 1er janvier 2017, une question se pose pour les entreprises qui étaient ou sont au cours de négociation alors que la loi Travail est entrée en vigueur.

"Elles peuvent déjà faire application des dispositions de la loi Travail sur la durée du travail et les congés, applicables depuis le 9 août dernier, mais quelle majorité appliquer pour signer un tel accord ?", s'interroge Aymeric Hamon. "Si l'accord est conclu avant le 1er janvier 2017, il y a un risque juridique à le signer à seulement 30%, si l'accord déroge au droit actuel et à l'accord de branche. Si la lettre de la loi permet de rester à 30%, tel n'est peut-être pas le cas de l'esprit de la loi qui nécessite de sécuriser ces accords et de renforcer leur caractère majoritaire", insiste-t-il.

 

Convention collective

Négociée par les organisations syndicales et les organisations patronales, une convention collective de travail (cct) contient des règles particulières de droit du travail (période d’essai, salaires minima, conditions de travail, modalités de rupture du contrat de travail, prévoyance, etc.). Elle peut être applicable à tout un secteur activité ou être négociée au sein d’une entreprise ou d’un établissement.

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Florence Mehrez
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