Articulation entre accords de branche et accords d'entreprise : les points de friction

Articulation entre accords de branche et accords d'entreprise : les points de friction

27.10.2017

Convention collective

Les ordonnances sur le code du travail précisent l'articulation entre les accords de branche et les accords d'entreprise. Toutefois, les nouveaux rapports entre ces deux niveaux de négociation pourraient bien se gripper. La notion de garanties équivalentes ou bien encore l'accord des routiers en sont deux exemples.

Les ordonnances réformant le code du travail redéfinissent l'articulation entre les accords d'entreprise et les accords de branche et donnent une primauté plus étendue aux accords d'entreprise. Le défi est de taille pour les entreprises comme l'a souligné, mercredi dernier, le directeur de cabinet de la ministre du travail Antoine Foucher, lors d'un colloque organisé par la CCI d'Ile-de-France en partenariat avec le cabinet Fidal et les Editions Législatives (*). Il a pu constater un "vertige" auprès des 3 000 DRH et directeurs des relations sociales rencontrés après la publication des ordonnances, face à ce surplus de liberté conventionnelle.

"C'est un pari et le pari n'est pas gagné. Pour une fois, les mutations juridiques précèdent les mutations comportementales, se félicite pour sa part Paul-Henri Antonmattei, professeur de droit à l'université de Montpellier. Si les acteurs ne s'approprient pas le sens de la réforme et les libertés données, ils appliqueront les dispositions supplétives". Plus ferme encore, Antoine Foucher prévient les entreprises : "Si vous ne vous en saisissez pas, rien ne changera. Si ce n'est pas possible, c'est parce que vous n'aurez pas réussi à signer un accord et non parce que cela n'est pas possible. N'attendez pas de l'Etat qu'il règle vos problèmes".

 La primauté plutôt que le principe de faveur

La primauté donnée à l'accord d'entreprise pose la question de la place accordée à la branche professionnelle. "Nous avons fait le pari de la négociation d'entreprise, sans renier le rôle de régulation de la branche", explique le conseiller social d'Emmanuel Macron, Pierre-André Imbert. "Passer à un principe de primauté de la négociation d'entreprise ne veut pas dire que la branche ne sert à rien. Nous n'avons rien enlevé à l'entreprise pour le donner à un autre niveau", insiste Franck Morel, conseiller social d'Edouard Philippe.

Pour Paul-Henri Antonmattei, intervenu également hier dans le cadre du Club des branches du cabinet d'avocats Barthélémy, les ordonnances, pas plus que la loi Travail, n'inversent la hiérarchie des normes. "Il est question de rapports entre les accords. Nous avons vécu des années pendant lesquelles les conflits de normes conventionnelles étaient la règle et se réglaient par le principe de faveur. Cela a fonctionné pendant ces dernières décennies car la fonction de la négociation collective était d’améliorer les droits. A partir du moment où nous sommes passés à des accords organisant le travail, rechercher l’avantage le plus favorable n’a plus de sens".

La primauté, établie dès 2008, écarte ce risque de conflit, soutient-il. Une primauté qui est la conséquence, selon lui, du fait que la plupart des branches n'ont pas joué le jeu en 2004 et ont verrouillé une grande partie de leurs dispositions.

Convention collective

Négociée par les organisations syndicales et les organisations patronales, une convention collective de travail (cct) contient des règles particulières de droit du travail (période d’essai, salaires minima, conditions de travail, modalités de rupture du contrat de travail, prévoyance, etc.). Elle peut être applicable à tout un secteur activité ou être négociée au sein d’une entreprise ou d’un établissement.

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Apprécier la notion de garanties équivalentes

Mais il existe des points de frictions dans cette articulation qui pourrait bien gripper la mécanique.

Le premier est lié à la notion de "garanties équivalentes". L'accord d'entreprise peut en effet étendre son rayonnement au-delà du seul bloc 3 dès lors qu'il présente des "garanties au moins équivalentes" à celles prévues par les accords de branche dans les domaines listés par les blocs 1 et 2. Reste que cette notion de "garanties équivalentes" est bien floue.

Pour Franck Morel, rien de vraiment nouveau toutefois. "L'exercice auquel va se livrer le juge est le même que celui exercé pour le principe de faveur. Il va se livrer à un exercice de comparaison pour voir si l'accord d'entreprise n'est pas moins-disant. La comparaison se fera dans les mêmes conditions", a-t-il expliqué mercredi lors du colloque de la CCI Ile-de-France. Sauf que - rappelons-le - il ne s'agira pas de rechercher quelle est la disposition la plus favorable au salarié mais de vérifier qu'il existe bien des garanties au moins équivalentes dans l'accord d'entreprise à celles prescrites par la branche.

Paul-Henri Antonmattei rappelle que le rapport au Président de la République sur l'ordonnance 1 prévoit une comparaison "domaine par domaine". S'agissant d'un accord d'entreprise qui traiterait de plusieurs thèmes du bloc 1, il estime qu'il "est possible de soutenir que c’est l’ensemble des stipulations qui doivent être au moins équivalentes en raison de l’indivisibilité des stipulations de l’accord. L'équivalence sera alors appréciée en additionnant des stipulations portant sur des matières différentes".

Tours de passe-passe entre les blocs

De vifs débats sur cette articulation ont aussi émergé à la suite de l'accord signé dans le secteur des transports routiers. Mercredi, lors du colloque de la CCI Ile-de-France, le conseiller social de Matignon a défendu l'accord des routiers par rapport à la logique des ordonnances : "Il ne ne rajoute rien aux 17 items des blocs 1 et 2. La question est de savoir ce qu'on met dans chaque item". Selon lui, les routiers n'ont fait "qu'utiliser quelque chose qui est très ancien : la définition de l'assiette du salaire minimum hiérarchique". Et d'insister : "C'est un montant et non une structure qui a été verrouillé dans l'accord".

Paul-Henri Antonmattei est plus circonspect. "Est-ce qu’on peut manipuler le concept de salaire minimum hiérarchique ? Même si le ministère a répondu oui et qu'il étendra l’accord, ce n’est pas pour ça que le débat est clos. Il n’a jamais été question de faire entrer toutes les primes dans le salaire minimum de branche. On a incontestablement une difficulté devant nous".

Une pratique qui risque en tous cas de faire tâche d'huile dans d'autres branches...

 

(*) actuEL-RH est une publication des Editions Législatives.

Florence Mehrez
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