Devoir de vigilance : 2018 sera une année d’application imparfaite

Devoir de vigilance : 2018 sera une année d’application imparfaite

17.04.2018

HSE

Quelques mois après la promulgation de la loi sur le devoir de vigilance, la cartographie des risques sur toute la chaîne de valeur des entreprises semble être le point noir des premières ébauches de documents de référence. Même Essilor, plutôt en avance, confie ses difficultés sur ce point. Au cabinet EY, Éric Mugnier constate des retards, mais voit aussi des promesses d'avancées.

Les premiers rapports documentant la manière dont certaines multinationales évaluent et préviennent les risques sociaux et environnementaux liés à leur activité, dans le cadre de la loi sur le devoir de vigilance, doivent paraître cette année. Après avoir relu les documents de référence de plusieurs entreprises, Éric Mugnier, associé au cabinet EY, constate qu'"elles sont en retard par rapport aux exigences de la loi, mais promettent d’avancer en 2018".

Il observe, à l'occasion d'une intervention au salon Produrable qui s'est tenu à Paris les 4 et 5 avril 2018, que les entreprises ont compilé leurs achats responsables, mais que leurs cartographies des risques ont souvent été faites pour l’entreprise en général.

La loi exige des multinationales concernées une cartographie des risques, des procédures d'évaluation régulières, un mécanisme d'alerte et de recueil des signalements, des actions d'atténuation des risques ou de prévention des atteintes graves, ainsi qu'un dispositif de suivi et d’évaluation des mesures mise en œuvre.

 

► Lire aussi : Devoir de vigilance : le risque est-il moins important que prévu ?

 

Selon Éric Mugnier, les meilleures pratiques sont relevées chez celles qui ont déjà répertorié leurs risques théoriques, ou inhérents : elles contractualisent avec leurs fournisseurs des exigences de pratiques responsables et les auditent, elles disposent de charte ou codes éthiques, et se soumettent à une évaluation de type Ecovadis.

Il leur reste à estimer leurs risques résiduels, par exemple celui du travail des enfants chez des fournisseurs de textile en Inde.

Atténuation et prévention des risques encore à la peine

Les procédures d’évaluation régulière sont encore en cours de construction, décrit Eric Mugnier :

"Les entreprises élaborent des plans audits sur 3 à 5 ans, car il y a beaucoup de travail à réaliser pour traiter tous les risques et tous les fournisseurs. Quant aux actions de prévention et d’atténuation des risques, on en est encore loin. Je n’ai pas trouvé de plans d’actions vraiment bien formalisés. C’est compliqué car il faut impliquer beaucoup de monde : audit interne, achats, RSE, qualité, etc."

Avec les toutes les données que doivent remonter les entreprises, elles sont aussi incitées à recourir à des outils informatiques dédiés. Également pour assurer une meilleure traçabilité des fournisseurs et être capable de descendre au-delà du rang 1.

Certaines choisissent des solutions collectives pour mieux contrôler la chaîne d’approvisionnement, comme par exemple la récente "Mica initiative", qui réunit 20 entreprises de secteurs différents mais utilisant ce même minerai produit surtout en Inde du Nord.

"Cartographies imparfaites"

Une approche qu'envisage Essilor, "car on ne peut pas aller vite seuls, étant donné la complexité de la collecte des données dans la supply chain", affirme Xavier Galliot, directeur du développement durable du groupe.

Chez le spécialiste mondial de l’optique ophtalmique, le plan de vigilance vient d’être publié, mais "nous avons encore à apprendre et nous avons dû faire des choix", reconnaît le responsable.

"Deux cartographies imparfaites ont été réalisées, pour toutes les opérations et pour la chaîne de fournisseurs, avec pour cible le rang 1 et quelques secteurs d’activité et zones sensibles a priori."

Essilor ne part pas de rien, elle a déjà par exemple un code éthique et une charte fournisseurs. En 2014, l’entreprise avait réalisé une cartographie des risques liés aux droits humains sur son propre périmètre – sachant que sur les 34 usines du groupe, la plupart sont en Asie. Cela lui a permis de mieux appréhender les enjeux et de voir les thématiques sur lesquelles elle peut avoir un impact.

Groupe de travail transverse

L'an dernier, Essilor a aussi créé un groupe de travail opérationnel qui rassemble notamment des responsables des DRH, des achats, du développement durable, de HSE et de la compliance.

Récemment, l’équipe d’audit interne s’est renforcée sur le sujet des droits de l’homme ; des audits "terrains" sont menés. L’entreprise a aussi déployé un système d’alerte pour faire remonter les préoccupations des salariés – imposé par la loi Sapin II –, y compris en matière de droits humains.

"Un des challenges du devoir de vigilance est notre décentralisation, relève Xavier Galliot, avec 170 000 personnes, réparties dans plus de 600 sites et 100 pays. De plus, nous sommes en perpétuelle croissance, non par acquisition mais en mode de partenariat." Pour l’avenir, Essilor se fixe pour objectif de travailler sur les risques résiduels, et d’analyser ses processus existants.

HSE

Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement. 

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Virginie Leblanc
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