Les députés veulent que le donneur d'ordre soit "responsable de l'environnement de travail"

Les députés veulent que le donneur d'ordre soit "responsable de l'environnement de travail"

26.07.2018

HSE

La commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur les pathologies professionnelles dans l'industrie a rendu hier ses conclusions. Inquiète de la "sous-traitance du risque", elle propose notamment de revoir l'organisation de la responsabilité de l'employeur, en s'appuyant sur le devoir de vigilance. Pour une meilleure traçabilité des expositions durant la vie professionnelle, elle insiste aussi sur la mise en place d'un nouveau dossier médical en santé au travail.

"Il a fallu y tenir pour s’y tenir", confie le député Pierre Dharréville (communiste rattaché au groupe GDR, Bouches-du-Rhône). Dans le foisonnement de l’activité du Palais Bourbon ces dernières semaines, la commission d’enquête "sur les maladies et pathologies professionnelles dans l’industrie et les moyens à déployer pour leur élimination", présidée par Julien Borowczyk (LREM, Loire) et avec Pierre Dharréville comme rapporteur, a donc tenu bon. Après 6 mois de travail, elle a présenté son rapport mercredi 27 juillet 2018.

Élan et rassemblement

Alors qu’une négociation sur la santé au travail est annoncée pour la rentrée, que les conclusions de la député Charlotte Lecocq (missionnée par le gouvernement) sont fébrilement attendues, et que le rapport de Paul Frimat sur l’exposition aux agents chimiques dangereux semble dormir dans un tiroir du cabinet de Muriel Pénicaud depuis 3 mois, Pierre Dharréville espère que le travail de la commission d’enquête "marquera un nouvel élan".

Julien Borowczyk assure même que cela pourra aboutir à des propositions législatives "concrètes" qui ne pourront qu’appeler "un large rassemblement politique". "Du moins je l’imagine", précise-t-il.

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Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement. 

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Externalisation du risque

La commission fait plusieurs constats, à commencer par le phénomène bien connu des acteurs de la santé au travail et des pouvoirs publics : la sous-évaluation et la sous-déclaration des maladies professionnelles – même si certains, étonnamment et à l’encontre des chiffres, continuent de soutenir le contraire.

La sous-évaluation est-elle liée à une forme d’invisibilité des salariés exposés ? L’hypothèse peut être avancée. Cela passe notamment par, décrit Pierre Dharréville, la "sous-traitance du risque, avec de gros donneurs d’ordre qui font venir des sous-traitants, parfois des intérimaires, pour les travaux les plus pénibles et comportant des risques". Un constat récurrent lors des auditions et qui a particulièrement marqué les députés.

Jean-Pierre Bonin, conseiller maître honoraire à la Cour des comptes, y préside la commission chargée d’évaluer le coût réel de la sous-déclaration des AT-MP pour la branche maladie. Auditionné, il décrit "des malins qui ont développé des stratégies d’évitement" pour "se décharge[r] sur d’autres du risque professionnel".

Il a par exemple pu l'observer en 2012 parmi les industries pétrolières autour de l'étang de Berre, à l'occasion d'un rapport sur la sous-déclaration, et ne pense pas que les choses se soient beaucoup améliorées depuis. "Il est clair, a-t-il déclaré aux députés, que les principaux employeurs s’y étaient délestés sur des sous-traitants, qui eux-mêmes se délestaient sur des intérimaires, des travaux les plus dégoûtants et les plus dangereux – tels que le curage des cuves."

Unité de travail = unité d’exposition

Ce phénomène d’externalisation du risque a inspiré à la commission le fait d'"introduire dans le droit la notion de 'responsable de l’environnement de travail'". Avec des "conséquences pratiques en terme de devoir de vigilance et de responsabilité en cas d’exposition à des risques professionnels ne relevant pas de la décision de l’employeur", écrit le rapport.

Le principe de responsabilité de l’employeur, façonné lorsque tous les travailleurs d'une usine étaient employés par le propriétaire de cette manufacture, serait aujourd'hui obsolète face au développement de la sous-traitance et de l'intérim. Cet employeur se retrouve aujourd'hui à être "garant d'un milieu de travail qu'il contrôle de moins en moins".

La déclinaison législative reste à préciser, tout comme l'articulation avec la réglementation actuelle. L'idée serait d'astreindre ce responsable de l'environnement de travail à un "devoir de vigilance, avec obligation de produire périodiquement des rapports sur les actions entreprises". Ou bien d'en faire un "responsable de second rang de la santé des travailleurs" : en cas de défaillance de l’employeur des travailleurs concernés, il devrait "assumer l’intégralité des devoirs relatifs à la santé et à la sécurité des travailleurs".

"Unité de travail = unité d’exposition, il n’y a pas débat là-dessus, déclare Julien Borowczyk. Aujourd’hui, nous avons des systèmes qui fonctionnent en parallèle, en silos, et qui font que l’on passe au travers de nombreuses expositions." Au sein même de l’unité de travail, la commission propose de réorganiser la réglementation de la santé au travail autour de la notion de poste de travail, "en veillant à la cohérence des documents exigés de l’employeur".

Partage et réseau

En tant que médecin généraliste, Julien Borowczyk défend particulièrement une amélioration de la traçabilité et un lien "renforcé entre la médecine de ville et la santé au travail", en misant sur le dossier médical partagé, le DMP – qui s'appelle désormais le "dossier médical personnel" et doit normalement être déployé par l'assurance maladie d'ici la fin de l'année. Il serait couplé au DMPST, dossier médical personnel en santé au travail.

Ce DMPST, "alimenté par les informations permettant de connaître le parcours professionnel, les expositions passées et les actes de suivi de la santé du salarié par la médecine du travail", prendrait le relais de l'actuel DMST pour lequel la commission fait un constat d'échec. Il serait "lié à la personne pour l’intégralité de sa vie active et post-active – et non au travailleur exerçant dans un emploi déterminé".

"Une nécessaire réflexion doit être menée sur l’avenir des services de santé au travail, dont le problème d’indépendance a été posé par un certain nombre d’intervenants", expose Pierre Dharréville. Les solutions n’ont pas fait consensus dans la commission. "Faut-il réinterroger leur forme, aller vers la construction d’un service public sous l’égide de l’assurance-maladie ? Dans un premier temps, nous proposons de créer une plateforme pour les rassembler, les mettre en réseau."

"Si l’on veut faire de bonnes lois…"

En tout, le rapport présente 43 propositions, organisées autour du triptyque "connaître, reconnaître, prévenir", répète Pierre Dharréville. Quel sera leur avenir ? La fin de l’année le dira peut-être.

Le président de l'Assemblée François de Rugy, participait hier à la conférence de presse présentant le rapport, soucieux, a-t-il assuré, de valoriser le travail des commissions d'enquête, ce "droit de tirage des parlementaires qui existe et est exercé" – toute référence à l'actualité étant voulue et affirmée.

"Si l’on veut faire de bonnes lois, il faut d’abord avoir évalué la situation", a insisté François de Rugy mercredi."C’est bien de déposer des amendements demandant au gouvernement de faire des rapports, c’est encore mieux de les faire nous-mêmes".

Élodie Touret
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